La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Un monde à voir, Carolyne Parent

À défaut de repartir à la découverte du monde, les Québécois semblent avoir développé un appétit grandissant pour les récits de voyage. Parmi les œuvres du genre qui se sont démarquées au cours des derniers mois, Un monde à voir, 100 aventures à vivre au temps nouveau du voyage de Carolyne Parent occupe une place à part. La couverture cartonnée aux coins arrondis nous propulse dans les sillons d’une plantation de thé du Nantou, à Taïwan. Avant même de tourner les premières pages, le voyage s’annonce délicieusement dépaysant.



Il faut dire qu’en matière de dépaysement, Carolyne Parent s’y connaît. Elle parcourt inlassablement la planète depuis 1996 pour les médias québécois les plus prestigieux. Au menu de ce quatrième livre signé par la journaliste: 100 destinations dans 55 pays et territoires comme autant d’instantanés qui nous transportent tantôt dans le Grand Nord québécois, l’Arctique canadien et le Groenland à la recherche d’ours polaires et entouré de moustique «gros comme des Smarties», tantôt en Polynésie française, «enguirlandée de coquillages» dans un spectaculaire hôtel sur pilotis.

On s’étonne moins de ce choix de vie en plongeant dans le premier récit: «En 1969, j’avais l’âge de raison, et mes parents toujours pas de bungalow. Mes bobos avant la lettre possédaient par contre une Pontiac Parisienne aussi vieille que moi. Et c’est chargée comme trois mulets qu’un beau matin de décembre, elle entreprit son plus long périple hors garantie. Cap sur Acapulco ma cocotte, tu te reposeras dans trois mois!»

L’auteure confie n’être jamais tout à fait revenue de cet Acapulco «pré-Costco et, surtout, pré-narcos», et garde en mémoire «le goût des bâtonnets d’igname, assaisonnés de jus de lime, de sel et de piment» dégustés comme des frites.

Au fil des 352 pages de cette collection de courts récits, Carolyne Parent nous entraîne d’un continent à l’autre avec, toujours, la curiosité de la fillette qui contemplait le Pacifique et se dandinait sur Proud Mary de CCR. Sa capacité d’émerveillement semble être restée bien intacte, malgré plus de 120 pays au compteur.

Lors d’une escale à Carmelo, bourgade située à 250 kilomètres de Montevideo, en Uruguay, elle écrit par exemple: «Dans cette campagne qui fait penser à un mini-Chianti, des eucalyptus montent la garde. Des oliveraies et des vergers pointillent l’azur. Les chevaux des gauchos manucurent les pâturages, tout comme les vaches Angus, qui finiront dans l’assiette. Et ça et là, une demi-douzaine de vignobles donnent dans l’œnotourisme à l’ombre d’Irurtia, l’un des plus grands producteurs au pays.»

On aime les photos et les citations en exergue, superbement mises en valeur tout au long du livre, la variété d’expériences – un hôtel-boutique «beau comme un mirage» du Chili, la redécouverte du Vieux-Montréal la nuit tombée, un passage chez Agatha Christie sur la riviera anglaise, une route étroite du Bhoutan qui grimpe au-dessus des vallées, une promenade dans une forêt nipponne pour observer les différentes sortes de mousse, loupe à la main… – et les conseils pour bourlinguer de manière plus consciente et responsable offerts en guise de conclusion. Parce qu’aimer voyager ne veut pas dire oublier tout le reste. Selon la journaliste, il apparaît essentiel de donner plus de sens à nos partances et de reconnaître que nous faisons partie de ceux que nous souhaitons éviter ailleurs. «Un premier pas vers une prise de conscience visant à contrecarrer les méfaits du surtourisme», croit-elle.

Parmi les destinations que je me promets maintenant de visiter, il y a désormais Cabo Polonio, en Uruguay, où les gens se déplacent à pied ou à cheval, la Sardaigne, où l’on trouve «un chapelet de criques où la mer se hisse sans faire de vagues» et l’intrigant pays Bassari, au Sénégal.

«Quand on me demande d’où me vient ce besoin de courir le monde, d’Alger à Zakopane en passant par le cap Horn, j’ai envie de répondre: ça me vient de trois mois d’enfance, les plus beaux, glisse-t-elle. D’un lever de rideau précoce sur le bonheur des errances insouciantes. De souvenirs qui décident d’un avenir et qui font que je n’ai toujours pas de bungalow.»

On referme le livre avec l’envie de le laisser traîner pour s’y replonger lors d’un prochain coup de blues.

Un monde à voir, 100 aventures à vivre au temps nouveau du voyage, Carolyne Parent. KO éditions. 2021. 352 pages.