Agir maintenant pour un tourisme durable
L’importance des liens. Entre les humains et avec la planète. Voilà ce que je retiens du deuxième symposium de Tourisme durable Québec, qui a eu lieu le 1er novembre au Monastère des Augustines, à Québec, et que j’ai eu le privilège d’animer.
Une chose m’apparaît encore plus évidente après avoir entendu les différents intervenants de cette journée riche en échanges: les populations locales doivent aussi bénéficier des retombées du tourisme ou, à tout le moins, ne pas en souffrir.
Parce que tout est lié, justement.
«Les gestes individuels ne suffisent pas, croit l’écosociologue et auteure Laure Waridel, qui a présenté une conférence sur le changement de paradigmes. Il faut créer des liens.»
Professeure associée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) spécialisée en développement international et en environnement, elle a souligné l’importance de «penser ensemble à l’architecture des choix qu’on propose» pour le tourisme, mais aussi pour la population, «parce que ça va ensemble».
«Il faut faire en sorte que les choix les plus écologiques soient aussi les moins chers, les plus agréables et les plus faciles, croit-elle. Tant que la voiture sera la meilleure façon de se rendre du point A au point B, ça ne fonctionnera pas. On va continuer d’aller vers ça.»
Des pistes de solutions? «Ça prend des game changers majeurs. Par exemple, imaginez si on avait un TGV entre Montréal et Québec, qui ferait en sorte qu’on pourrait se rendre d’une destination à l’autre en une heure. Les gens ne prendraient plus leur auto pas seulement pour des raisons écologiques – on voit bien que ça ne suffit pas –, mais aussi parce qu’ils gagneraient du temps. L’idée d’avoir un système de transport en commun qui serait gratuit partout, où on n’aurait pas à se badrer d’avoir la carte, l’argent… mais il faut que la qualité soit là.»
L’exemple de Baie-Saint-Paul
La Ville de Baie-Saint-Paul fait figure de pionnière en matière de tourisme durable au Québec. Directrice des communications et du développement durable depuis plus de 15 ans, Luce-Anne Tremblay a notamment évoqué l’importance de l’accès à la nature et aux paysages si prisés des artistes. «En moins de 15 minutes à pied, on a accès à nos quais, à la berge du Saint-Laurent. On peut se promener et emprunter le sentier Transcanadien, qui nous mène jusqu’à Petite-Rivière-Saint-François.»
Selon elle, il est essentiel de sensibiliser les visiteurs et de demander leur collaboration afin de préserver l’environnement. Tourisme Charlevoix, qui met de l’avant des valeurs de tourisme durable, consulte par ailleurs les résidents de la région afin que visiteurs et visités puissent vivre une cohabitation saine et harmonieuse.
Québec, un «Walt Disney de carton»?
Impossible de ne pas évoquer l’épineux sujet des croisières à Québec. Le maire Bruno Marchand a abordé le sujet de front, dès l’ouverture du symposium. L’exemple de Dubrovnik, en Croatie, lui semble particulièrement inspirant. Rappelons que la Ville s’est dotée d’un projet stratégique multidisciplinaire pour un tourisme durable, Respect the city.
Depuis 2019, Dubrovnik limite notamment le nombre de bateaux de croisière et de passagers qui peuvent faire escale dans la ville. Les horaires ont également été repensés afin que les arrivées des paquebots ne se chevauchent pas.
«On leur a annoncé la catastrophe que Dubrovnik allait mourir, lance Bruno Marchand. Des années plus tard, ils ne reviendraient pas en arrière. Oui, ils continuent d’accueillir des gens, mais en évitant cette espèce de surconsommation qu’on peut avoir dans un cadre touristique quand on devient la saveur du mois. Ils ont réussi à faire quelque chose qui n’est pas parfait, mais qui est très inspiré.»
Craint-il de voir Québec passer par des étapes similaires? «Même si on peut être très populaire dans cette relance et qu’on l’a été avant, même si Québec est une destination assez prisée, il n’en demeure pas moins que plusieurs signes démontrent qu’il y a un risque de devenir un "Walt Disney de carton", soit une belle ville avec de belles pierres, mais plus tellement de ciment entre les pierres. Ce ciment entre les pierres, ce sont des gens qui vivent avec une culture, une langue française, qui font ici un métissage extraordinaire, qui partagent leur musique, leur bouffe, leurs idées, leur grandeur et qui font que quand tu arrives ici, tu t’abreuves de quelque chose qui est unique au monde.»
«Si les gens désertent le Vieux-Québec parce qu’on vit ici à la façon touristique du consommer-jeter, je ne pense pas que c’est bon ni pour la planète, ni pour nous, poursuit-il. Ça annonce déjà notre fin, cette tendance inéluctable de devenir un Disney de carton et un moment donné les gens vont se tanner.»
Selon lui, le touriste de 2030-2040 honnira ce type de destination «parce que la tendance va nous obliger à penser différemment notre façon de se déplacer lorsqu’on va vouloir rencontrer d’autres cultures, découvrir autre chose. Ça veut dire que c’est à nous d’être bons, et bons maintenant, parce qu’une fois qu’on sera très loin de la saveur du mois, ce sera très dur de revenir en arrière. C’est à ça qu’on travaille».
Comment éviter que Québec perde son essence? «On veut ramener 500 résidents dans le Vieux-Québec, dit-il. Quel est le rapport avec le tourisme? Ç’a énormément rapport avec le tourisme! On veut en faire un milieu de vie. Un lieu où les familles reviennent. Où il y a des services. Un lieu où on peut grandir. Un lieu où l’on veut vivre. Ça suppose probablement – on a des idées de grandeur – une piétonnisation du Vieux-Québec. Ça suppose des idées qui vont faire en sorte qu’on va contrôler comment on peut venir vivre ça. On sera toujours accueillant, mais comment on peut installer ça dans un cadre durable?»
La transition, c’est maintenant
Pour Laure Waridel, investir maintenant apparaît nécessaire. «Les économistes qui font les analyses sur les coûts, par exemple de la crise climatique, vont nous dire que ne pas agir va coûter infiniment plus cher.»
Selon le maire Marchand, préférer l’imperfection au néant est aujourd’hui une obligation. «Le plus grand risque qui nous guette, comme idéaliste, comme personne en avant de la parade, c’est d’avoir le jugement facile sur ceux qui ne bougent pas, sur ce qui n’est pas parfait. […] Je pense que chaque fois qu’on fait ça, on a un grand risque de créer de l’inertie. Je pense qu’il faut accepter de préférer l’imperfection. Ce ne sera jamais parfait. Se mettre en mouvement veut dire qu’on fait un choix. On ne marche peut-être pas exactement vers la bonne destination, mais on corrigera en chemin. Je pense que c’est vraiment mieux d’être en mouvement qu’être arrêté à attendre la perfection pour se mettre en mouvement.»
Chose certaine, entre les panels, les nombreuses questions aux intervenants et les discussions de corridor, l’envie de faire mieux semblait portée par ce même élan.
P.S. J’aurais pu citer de nombreux autres intervenants très pertinents, mais il m’était impossible de prendre des notes en animant!