La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Sur la Grande Barrière de corail

J'ai eu la chance de découvrir Lizard Island, une île de la Grande Barrière de corail dans le Queensland, en Australie. Récit.



– Soyez prudente, nous avons aperçu un crocodile dans le secteur un peu plus tôt.

– Un crocodile?

Envolée, l’excitation à l’idée de plonger enfin dans la Grande Barrière de corail. Dévorée par une bestiole dont je ne soupçonnais même pas l’existence quelques minutes plus tôt, alors que je m’apprêtais à enfiler mon Itsy bitsy petit bikini.

– Mais il est tout petit, précise la guide.

– Ah. OK.

Je viens de survoler la Grande Barrière de corail en rêvant au moment où je pourrais enfin barboter parmi les poissons multicolores. J’étais même parvenue à me convaincre que les requins n’étaient pas friands de dévoreurs de poutine. Et voilà qu’un croco de moins de deux mètres – je l’apprendrai plus tard – venait d’avaler mon enthousiasme avant même de m’avoir prouvé son existence.

Vue sur la Grande Barrière de corail depuis l'avion. Photo: Marie-Julie Gagnon

«Petit»… Comment suis-je supposée savoir ça veut dire quoi, moi, «petit», quand il s’agit d’un crocodile? Et puis, s’il avait envie de mordiller mes orteils fraîchement peints en rouge? Ou de grignoter l’un de mes petits bourrelets «pandémiques»?

Je suis allée réfléchir dans ma (fort jolie) chambre. Rapidement, j’ai convenu de ne pas laisser ce vulgaire Itsy bitsy petit crocodi assombrir mon séjour sur cette île en retrait du monde. 

Ma (fort jolie) chambre. Photo: Marie-Julie Gagnon

Vous avez dit «paradisiaque»?

Lizard Island a tout du paradis tel qu’on l’imagine: des plages désertes à perte de vue, une eau cristalline, la tranquillité et une vie sous-marine aussi captivante à observer qu’à dévorer une fois sur terre (ben quoi!).

Lizard Island a tout du paradis tel qu’on l’imagine: des plages désertes à perte de vue, une eau cristalline, la tranquillité et une vie sous-marine aussi captivante à observer qu’à dévorer.

L’hôtel d’une quarantaine de chambres où j’ai jeté l’ancre est le plus au nord sur la Grande Barrière de corail, dans le Queensland. N’importe quel bateau peut naviguer dans le secteur, mais ne débarque pas qui veut sur les plages privées. Le site qui a servi de lieu de tournage au film Fool’s Gold mettant en vedette Kate Hudson et Matthew McConaughey accueille une poignée de visiteurs à la recherche d’un lieu retiré du monde. «Le lodge occupe 17% de l’île», précise Geoff Pilbeam, directeur des ventes et du marketing.

On ne s’étonne pas d’apprendre qu’Orlando Bloom, Katy Perry, Bill Gates et Jeff Bezos aient été parmi les premiers à séjourner à The House, luxueuse demeure perchée sur une péninsule aussi gérée par l’équipe de Lizard Island. Inaugurée en juillet 2022, la résidence à la déco et au design exceptionnels se loue à plus de 10 000$ la nuit – avec un minimum de trois. Parmi les inclusions, mentionnons les repas et le service.

On ne s’étonne pas d’apprendre qu’Orlando Bloom, Katy Perry, Bill Gates et Jeff Bezos aient été parmi les premiers à séjourner à The House, luxueuse demeure perchée sur une péninsule aussi gérée par l’équipe de Lizard Island. Photo: Marie-Julie Gagnon

Un centre de recherche consacré aux coraux se trouve aussi sur l’île nichée dans le Great Barrier Reef Marine Park. Également un musée, l’endroit accueille les visiteurs curieux d’en savoir plus sur la faune marine des environs.

Un jardin de palourdes

J’ai la chance d’occuper l’une des 14 superbes suites qui font face à l’océan. Il me suffirait de faire quelques pas pour aller plonger avec les tortues. Mais pourquoi diantre ce croco briseur de rêves est-il venu foutre le bordel dans les films que je me fais depuis l’enfance?

J’ai la chance d’occuper l’une des 14 superbes suites qui font face à l’océan. Photo: Marie-Julie Gagnon

Je décide de sauter quand même du bateau le jour suivant pour découvrir un jardin de palourdes géantes. Vêtue d’une combinaison destinée à me protéger des piqûres de méduses, je fais plouf! en galérant à ajuster mon masque, moi qui n’ai pas respiré sous l’eau depuis des années. Pendant que tous les autres plongeurs s’exclament devant les tortues géantes, je réalise que ma veste de sauvetage est trop grande, que ma palme gauche m’irrite le dessus du pied (ne manquerait plus que du sang pour attirer les requins) et que l’eau entre joyeusement par je ne sais quelle partie de mon masque. Un guide vient m’aider à ajuster mon équipement.

Tout. Va. Bien.

Je me rappelle comment respirer, même si je peine à retrouver la fluidité de mes mouvements de jadis (oui, j’ai 108 ans).

Les palourdes que j'ai sous les yeux sont immenses, colorés – verts, violets, cyan! –, et franchement impressionnants. Photo: Lizard island

Je rate les tortues, mais j’ouvre bien grand les yeux en apercevant les palourdes. Rien à voir avec les petits machins qu’on nous sert sur des canapés. Les mollusques que j’ai sous les yeux sont immenses, colorés – verts, violets, cyan! –, et franchement impressionnants. Je reconnais aussi les poissons avec lesquels j’ai fait connaissance lors de mes cours de plongée dans la mer d’Andaman, en Thaïlande, il y a plus de 20 ans: des poissons-clowns, des poissons-papillons… Je redoutais la déception – comme vous, sans doute, j’ai vu passer des dizaines d’articles à propos de la dégradation des coraux au cours des dernières années. Je me retrouve plutôt entourée de couleurs flamboyantes et de textures uniques. Les épisodes de blanchissement provoqués par des températures océaniques supérieures sont toutefois bien réels et directement liés au réchauffement de la planète.

Je me retrouve entourée de couleurs flamboyantes et de textures uniques. Photo: Marie-Julie Gagnon

Je me sens soudainement encore plus coupable de tous les vols qui ont été nécessaires pour m’emmener à cet endroit précis. «Le fait de voir soi-même la beauté de la Grande Barrière de corail permet de sensibiliser votre entourage à l’importance de diminuer votre empreinte carbone», ont souligné différents experts pendant mon séjour. Néanmoins, je ne peux m’empêcher d’y voir un cercle vicieux duquel il est difficile de sortir.

Le lendemain matin, après de gargantuesques repas essentiellement composés de poissons et de fruits de mer, j’enfile à nouveau combinaison et palmes, cette fois-ci juste devant ma chambre. Il faut moins de 30 secondes pour que Geoff, qui m’accompagne, pointe l’horizon: «Il y a une tortue ici!» Je cours dans l’eau avec l’élégance d’un pingouin saoul et plonge pour aller à la rencontre du reptile. Il n’y en a pas une, mais deux!

Voyant que je n’ai pas l’intention de les quitter de sitôt, Geoff va patauger un peu plus loin. Je reste avec mes deux nouvelles copines, le temps de les regarder tranquillement brouter les algues et de voir l’une d’elles sortir la tête de l’eau.

Je suis au paradis.

Je suis un vrai cliché.

Je suis cette touriste imbécile heureuse dénuée de toute grâce qui s’esclaffe sous l’eau.

Soudain, j’ai une pensée pour le croco. Le p’tit maudit.

Je décide de l’affronter mentalement (j’ai visionné au moins 20 fois Crocodile Dundee, ça compte, non?) et de replonger.

Mes tortues ont disparu.

Malgré tout, quand je sors de l’eau, mon sourire est au moins aussi grand que l’ennemi que j’ai anéanti dans ma tête.

Pratico-pratique:

  • De Cairns, un vol est nécessaire pour rejoindre Lizard Island.
  • Prix d’une nuitée pour deux personnes avec les repas et l’alcool: à partir de 2099 $AUS.
  • Air Canada propose des vols vers Brisbane depuis Vancouver. Le mieux est sans doute de s’arrêter à Cairns ou à Palm Cove avant de mettre le cap sur l’île.
  • Lizard est alimentée au diesel. Des projets misant sur l’énergie solaire sont toutefois prévus au cours des prochaines années.
  • Environ 50 espèces de requins fréquentent la Grande Barrière de corail.

J’étais l’invitée de Tourism Australia et de Tourism Queensland, qui n’ont eu aucun droit de regard sur cette chronique.