Samarcande, l’envoûtante
Marie-Julie revient tout juste d’Asie centrale, où elle a réalisé un vieux rêve: parcourir une partie de la mythique route de la soie. Au programme: le Kirghizistan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan. Elle est de retour en Ouzbékistan pour la dernière partie de son voyage.
Après quelques jours au Turkménistan, l’Ouzbékistan m’apparaît comme un lointain mirage. Le souvenir de Khiva semble s’être dissout dans l’incongruité des derniers jours. Et pourtant, dans quelques heures, je retrouverai ce pays qui m’a séduite au premier regard.
Mais pour quitter l’étrange planète turkmène, encore faut-il refranchir sa frontière. «Ce sera sûrement plus simple que pour entrer au pays!», me disais-je naïvement. Pas tout à fait…
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Boukhara. À elles seules, ces trois syllabes me transportent à l’époque des caravanes du désert. Bou-kha-ra.
Pour y être enfin, de longues heures de route à travers Karakoum, depuis la ville de Mary, sont nécessaires. La traversée de la frontière? Comme pour entrer au Turkménistan, de nombreux contrôles de passeport sont effectués pour en sortir. Sans parler du no man’s land entre les deux pays, le plus vaste que j’ai vu à ce jour. Deux navettes doivent tour à tour nous conduire d’une frontière à l’autre.
Je pousse un énorme soupir de soulagement une fois de retour en sol ouzbèque. Bien que fascinant, le Turkménistan n’est manifestement pas une destination reposante pour les anxieux aux tendances paranoïaques.
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Il me faut à peine deux minutes pour déclarer Boukhara le plus grand coup de cœur de ce voyage riche en découvertes. Plus touristique, certes – nous y croisons plusieurs groupes de voyageurs européens, surtout français –, le cœur historique se visite aisément à pied. Tout, du monument des Samanides érigé au IXe siècle aux vêtements, sacs et autres tapis vendus dans les bazars, m’enchante. Je me sens tout de suite sentie bien dans son atmosphère décontractée. Tout le contraire du pays voisin!
Si les visites des monuments célèbres m’ont ravie, c’est en flânant au hasard de mes pas que j’apprécie pleinement l’endroit. Me perdre dans les ruelles étroites du quartier historique, m’émerveiller en pénétrant dans un caravansérail qui abrite aujourd’hui boutiques et restaurants, écarquiller les yeux devant des bâtiments millénaires, négocier pour rapporter quelques souvenirs, manger seule sur une terrasse, livre à la main… J’aime chaque seconde passée dans le centre historique protégé, érigé il y a plus de 2000 ans.
C’est pour m’imprégner de l’atmosphère de ce genre d’endroit que j’ai tant rêvé de parcourir la route de la soie. «C’est l’exemple le plus complet d’une ville médiévale d’Asie centrale dont le tissu urbain est resté majoritairement intact, avec de nombreux monuments dont la célèbre tombe d’Ismaël Samani, chef-d’œuvre de l’architecture musulmane du Xe siècle, et de nombreuses medersa du XVIIe siècle», résume l’UNESCO.
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Cap sur Samarcande! Chemin faisant, nous arrêtons à Mitan, le temps de déguster le plov, à base de riz, de carottes et de viande (le plus souvent du mouton), chez l’habitant. Nous assistons à la préparation de ce plat traditionnel et du pain dans un four conçu avec de la terre et des poils de chameaux. Un délice! (Le pain, là, pas les poils de chameaux…)
Pour plusieurs voyageurs, Samarcande représente l’apogée d’un voyage sur la route de la soie. Son nom est associé à tant de légendes! Fantasme de Marco Polo et de nombre d’écrivains, la cité ne déçoit pas. De jour comme de soir, les touristes convergent vers le Registan, qui signifie «place de sable», ensemble de madrasas parmi les plus anciens encore debout – les autres ont été détruits par Gengis Khan. Centre marchand à l’époque médiévale, le site mérite qu’on s’y arrête à différents moments de la journée, histoire de le voir sous différents éclairages.
N’empêche, devant la spectaculaire restauration de certains monuments effectuée à la suite des guerres et tremblements de terre, on se demande parfois si elle est trop belle pour être vraie, Samarcande. «Les Soviétiques ont certes réalisé un travail remarquable pour protéger et restaurer ces trésors en danger, mais ils ont aussi pris quelques libertés contestables comme l’ajout d’un dôme bleu à la madrasa Tilla Kari», écrit Lonely Planet à propos du Registan.
À la superbe mosquée Bibi-Khanym, l’éclat du site qui porte le nom de l’épouse favorite de Tamerlan laisse parfois perplexe, surtout quand on compare les bâtiments qu’on a sous les yeux aux photos des ruines de jadis. Dans la salle de prière de la médersa Tilla-Qari, recouverte d’or, on se demande ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Pour certains, «ces mosaïques, ces médersas ou ces mausolées restaurés sont devenus aseptisés, factices, comme les attractions d’un parc à thème plutôt que des sites historiques», rapporte National Geographic.
La magie opère-t-elle quand même? Et comment! Surtout quand on se laisse porter par les récits entourant les lieux visités. J’ai particulièrement aimé celui de la mosquée Bibi-Khanym, raconté par notre guide: «C’est la femme de Tamerlan qui a voulu la faire construire pour surprendre son époux parti en campagne militaire…» L’histoire raconte que l’architecte chargé de sa construction serait tombé amoureux de la belle, dont le visage aurait été dévoilé par un coup de vent. Il aurait profité d’une visite de Bibi-Khanym, impatiente de voir le monument complété au plus sacrant, pour lui demander un baiser. Je vous épargne les détails, mais elle aurait fini par consentir à la chose à travers un coussin. Sauf que celui-ci aurait été si brûlant qu’il aurait laissé une trace sur sa joue. Évidemment, c’est peu après que Tamerlan est revenu… Découvrant la brûlure, il a voulu faire exécuter l’architecte, qui s’est entre-temps fabriqué des ailes pour s’envoler.
C’est ici que j’écris le mot «fin». Je rentre à Montréal avec des images plein la tête et avec l’envie folle d’en savoir encore plus. Non, mon voyage n’est pas terminé.
Quelques observations, en vrac, sur l’ensemble du circuit:
- Le circuit sur la route de la soie de la collection Sélect de Groupe Voyage Québec dure 22 jours au total. Il y a un départ en automne et un départ au printemps. Des guides locaux font les visites en français.
- Ville la plus touristique d’Ouzbékistan, Samarcande est le seul endroit de tout le voyage où le grand nombre de touristes m’a par moments agacée. Elle reste tout de même incontournable à mon avis.
- Bien que j’aie l’habitude de voyager de manière indépendante, je n’aurais pas été à l’aise de me lancer dans l’exploration de ces quatre pays en solo, surtout pour la partie au Turkménistan, très complexe sur le plan logistique. Par exemple, pour pouvoir y obtenir un visa, il est nécessaire d’avoir une lettre d’invitation. Traverser la frontière terrestre sans l’aide d’un ou d’une guide parlant le français ou l’anglais m’apparaît franchement hasardeux, le personnel douanier étant loin de maîtriser l’une ou l’autre langue. Je recommande fortement de passer par une agence de voyages.
- L’endroit où j’ai envie de retourner? Le Kazakhstan! Le peu que j’ai vu m’a drôlement mis l’eau à la bouche.
- Bien que j’aie adoré l’Ouzbékistan, j’y ai fait tellement de visites guidées que je ne ressens pas le besoin de m’y rendre à nouveau. Mais il ne faut jamais dire jamais… J’aurais aimé passer plus de temps à Tachkent et m’arrêter dans plusieurs autres stations de métro, toutes plus impressionnantes les unes que les autres.
- J’ai beaucoup aimé découvrir le Kirghizistan, mais je crois qu’une visite m’a suffi. J’y retournerais peut-être pour faire plus de randonnée et passer une ou deux nuits dans une yourte, loin de tout.
J’étais l’invitée de Groupe Voyage Québec, qui n’a eu aucun droit de regard sur ce texte.