La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Il faut qu’on parle d’Airbnb

C’est devenu un nom commun. On dit: «J’ai loué un Airbnb» comme on dit: «J’ai loué une chambre d’hôtel». Les controverses entourant la plateforme ont été nombreuses au fil des ans, mais l’incendie du Vieux-Montréal a mis en lumière certains aspects que plusieurs semblaient encore ignorer: à quel point même quand on tente de mettre de l’ordre dans ces plateformes dites «collaboratives», le chaos est encore bien présent.



Vous avez sans doute, comme moi, lu les nombreux articles et chroniques publiés au cours des derniers jours à propos de la situation dans la métropole québécoise. L’incendie d’un immeuble du Vieux-Montréal où des appartements ont été loués à des fins touristiques illégalement – la location temporaire est interdite dans ce secteur – a ravivé les débats qui semblaient s’être calmés depuis la première réforme de la Loi sur l’hébergement touristique adoptée en 2021.

En gros, cette loi stipule qu’un propriétaire peut louer son logement s’il détient une attestation de classification et un numéro d’établissement. En pratique, Airbnb ou toute autre plateforme de location à court terme peut encore accepter de publier toutes les annonces, sans qu’il soit nécessaire de dégainer une quelconque preuve légale. Notons aussi qu’au début du mois, les médias ont été nombreux à rappeler le fait qu’à compter du 25 mars, une nouvelle loi allait permettre à la majorité des Québécois de louer leur maison ou leur appartement…

Ce matin, un communiqué de presse de l’Association Hôtellerie Québec soulignait que l’incendie a fait progresser le dossier de lutte à l’hébergement illégal «plus rapidement qu’on aurait pu l’espérer». Il faut dire que le non-respect de la Loi sur l’hébergement touristique par les loueurs Airbnb est connu depuis longtemps. Différents médias en ont fait état depuis son entrée en vigueur, soulignant le fait que plus de 90% des hébergements à court terme à Montréal sont loués sans permis.

Reste à voir si Québec passera des intentions à l’acte. Si c’est le cas, les plateformes de location temporaire seront tenues responsables des annonces illégales publiées sur leur site d’ici l’été, rapporte Radio-Canada. Le projet de loi forcera les sites à exiger un numéro d’enregistrement de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) avant de publier une annonce et à inclure une photo du certificat. Les amendes seront aussi plus salées.

L’incendie d’un immeuble du Vieux-Montréal où des appartements ont été loués à des fins touristiques illégalement – la location temporaire est interdite dans ce secteur – a ravivé les débats qui semblaient s’être calmés depuis la première réforme de la Loi sur l’hébergement touristique adoptée en 2021. Photo: Maxime Carrière, Association des pompiers de Montréal

On fait quoi, comme voyageur?

Alors que ces questions reviennent dans l’actualité, il me semble pertinent d’aborder l’épineuse question de nos habitudes de voyage. À l’émission Moteur de recherche, il y a quelques semaines, j’ai répondu aux questions d’un auditeur, Jean-Claude Boivin, qui demandait s’il est préférable de s’abstenir de louer des hébergements sur Airbnb d’un point de vue éthique et, si oui, de suggérer des options plus socioresponsables. Voilà des réflexions auxquelles on devrait tous se livrer de temps en temps, controverse ou pas. Les vacances sont peut-être faites pour décrocher, mais si on peut le faire en ayant un impact positif, c’est encore mieux, non?

Pour bien comprendre ce qui se passe maintenant, il me semble essentiel de faire un saut dans le temps. L’idée d’Airbnb est née à San Francisco en 2007 autour de quatre matelas gonflables, quand deux colocataires formés à l’école de design de Providence et colocataires à San Francisco – Joe Gebbia et Brian Chesky – ont accueilli chez eux des voyageurs. Le concept s’inscrivait dans l’esprit de l’économie collaborative, aussi appelée «économie du partage», de plus en plus en vogue à cette époque. Le concept: aller au-delà de l’expérience touristique et «vivre» les villes à la manière de leurs habitants. Parmi les objectifs: rendre les voyages plus accessibles et gagner un peu d’argent en louant une chambre ou son appart entier.

Rapidement, Airbnb est devenu l’hébergement de prédilection de nombreux voyageurs qui, en posant leur sac à dos chez quelqu’un, avaient l’impression de ne pas être de simples touristes.

Les premières années, les prix étaient souvent alléchants. Puis, les coûts se sont mis à grimper. Si, au début, on parlait beaucoup des liens tissés entre hôtes et visiteurs et de la vie de quartier, avec le temps, ces rencontres sont devenues de moins en moins possibles. Le ras-le-bol des résidents dans certaines villes a aussi forcé l’instauration de nouvelles règles. Car bien que drapé dans de beaux discours idéalistes, Airbnb s’est rapidement révélé être un concurrent féroce des hôteliers, gîtes et autres types d’hébergements classiques sans pour autant se soumettre aux mêmes règles qu’eux.

La grogne s’est intensifiée un peu partout sur la planète. À La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, des rues entières se sont transformées en repaires de fêtards en cavale, privant les habitants de loyers à prix abordables. Même ces derniers ne pouvaient plus «vivre comme des locaux»! Ironique, dites-vous, alors que la compagnie en a fait son slogan?

À La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, des rues entières se sont transformées en repaires de fêtards en cavale, privant les habitants de loyers à prix abordables. Photo: Harold Wainwright, Unsplash

Assumons notre condition de touriste!

Dans la foulée des récents événements, une discussion de 2019 avec Martha Radice, professeure associée en sociologie et anthropologie sociale à l’Université de Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, m’est revenue en mémoire. Selon elle, il est absurde qu’un touriste cherche à s’affranchir de sa condition. On ne devient pas un «local» en passant quelques jours dans une destination! À son avis, il vaudrait mieux assumer sa condition et séjourner dans un hôtel ou autre lieu prévu pour les voyageurs. Elle fait cependant une distinction entre une chambre louée dans un appartement habité et la location d’un logement entier. Dans le premier cas, on ne prend pas la place d’un «local».

Les réglementations aux quatre coins de la planète

Au fil du temps, plusieurs villes ont conclu des ententes avec Airbnb et d’autres entreprises de location à court terme. En France, la location est limitée à 120 jours par année depuis 2019. Dans 18 villes, lorsqu’une résidence principale atteint cette limite légale, Airbnb bloque automatiquement l’annonce.

À Barcelone, sans doute l’une des cités qui a le plus souffert de l’immense popularité d’Airbnb, les particuliers ne peuvent plus louer une chambre pour moins d’un mois. En août 2021, la capitale catalane est devenue la première ville européenne où il est illégal pour un particulier de se livrer à cette pratique. «Une étude publiée en 2020 dans le Journal of Urban Economics a montré que les locations Airbnb sont à l’origine de l’augmentation des loyers (+ 7%) et du prix des logements à la vente (+ 17%) dans les quartiers de la capitale catalane les mieux représentés sur la plateforme. En outre, depuis l’été 2014, les protestations se sont multipliées contre les nuisances engendrées par le "surtourisme"», a rapporté Courrier international. Les seuls particuliers qui peuvent louer leur appartement pour quelques jours sont ceux qui possèdent la licence ad hoc.

À Barcelone, sans doute l’une des cités qui a le plus souffert de l’immense popularité d’Airbnb, les particuliers ne peuvent plus louer une chambre pour moins d’un mois. Photo: Ruggiero Calabrese, Unsplash

Soutenir l’économie locale tout en protégeant la qualité de vie des habitants: voilà une question dont on risque de reparler souvent au cours des prochains mois, voire années. Pour y arriver, non seulement un meilleur encadrement m’apparaît essentiel, mais aussi une certaine révision de nos pratiques individuelles. Aller fouiner sur Inside Airbnb permet notamment d’avoir un aperçu de la situation dans les villes où l’on compte se rendre.

Si l’on souhaite éviter de louer sur Airbnb, voici les deux pistes que j’ai suggérées à M. Boivin: Fairbnb et GreenGo. Cela dit, il ne faut pas s’attendre à l’abondance d’annonces d’Airbnb, qui n’a pas que des défauts – il faut tout de même le souligner.

Chose certaine, réfléchir à l’impact de nos choix m’apparaît toujours une bonne idée, qu’on aille dans la ville voisine ou au bout du monde.