La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Qui a vraiment envie d’un voyage dans l’espace?

Au moment où le Québécois David Saint-Jacques fait rêver une nouvelle génération d’enfants captivés par l’espace, on n’a jamais autant entendu parler de voyages spatiaux. Mais entre la fascination pour l’infinité du ciel et un réel désir de troquer ses vacances au soleil pour quelques minutes dans l’espace, il y a tout de même une marge... pour ne pas dire des années-lumière.



Le 13 décembre dernier, Virgin Galactic a envoyé un premier vaisseau conçu pour emmener les voyageurs au-delà des frontières de l’espace. C’était aussi la première fois qu’un appareil spatial décollait du sol américain depuis 2011 (techniquement, VSS – Virgin Space Ship – Unity n’a pas décollé de la Terre, puisqu’il a été emporté par un avion-transporteur parti au-dessus du désert de Mojave, en Californie, qui l’a largué avant que les deux pilotes allument le moteur-fusée…). Durée de l’aventure? Moins d’une minute.

La photo Instagram ultime?

Vous avez bien lu: ce voyage dont tous les médias du monde ont fait grand cas a duré moins d’une minute. Loin de moi l’idée de minimiser l’exploit. Considérant les multiples reports de la date du premier vol commercial de Virgin Galactic et le décès d’un pilote en 2014 lors d’un vol d’essai, on ne peut que saluer la réussite de l’expédition, si courte fût-elle.

Mais je ne peux m’empêcher de me demander ce qui peut bien avoir poussé 600 personnes à réserver leur place à 250 000$ avec la compagnie du Britannique Richard Branson, alors qu’on en est encore aux balbutiements du tourisme spatial. L’honneur d’être parmi les premiers touristes de l’espace? L’envie d’épater la galerie? Une vraie curiosité? Ces futurs passagers sont-ils à ce point blasés des voyages terrestres qu’il leur faille repousser les limites du possible?

J’écris ces mots et je me juge moi-même. La question ne peut-elle pas aussi se poser quand on pense à l’exploration de notre propre province ou pays au détriment du reste de la planète, qui nous apparaît comme le véritable dépaysement? Si l’on voit du pays (ou, devrais-je désormais dire, «de l’espace»?) pour vivre des expériences ou être transformé, le voyage spatial est sans doute l’escapade ultime. Alors quand on en a les moyens, pourquoi pas?

N’empêche, une part de moi continue d’y voir une autre manifestation de cette obsession de l’exclusivité, si caractéristique des années 2010. À une époque où tous les sentiers semblent avoir déjà été battus, n’est-ce pas là une façon de se démarquer? Le prix et les effets d’un tel voyage sur le corps (bon, d’accord, on parle ici de vols très courts, alors rien à voir avec ce que vivent les astronautes) m’apparaissent toutefois bien élevés pour quelques clichés Instagram.

Je ne suis pas la seule à démontrer un certain scepticisme face à tout ce bruit puisqu’un récent sondage d’Easyvoyage a révélé que le voyage spatial est une utopie pour 46% des Français. Malgré tout, Booking.com considère qu’il pourrait marquer l’année 2019.

Photo: NASA, Unsplash

Pourquoi t’es dans la lune?

D’autres gros joueurs se sont aussi lancés dans la conquête du tourisme spatial. Aussi ambitieux que Sir Richard Branson (peut-être plus?), le milliardaire d’origine sud-africaine Elon Musk, patron de Tesla et de SpaceX, souhaite pour sa part offrir des escapades autour de la Lune dès 2023. Il a aussi affirmé vouloir coloniser Mars d’ici 2024 (et commercialiser la «Teslaquila», mais c’est une autre histoire)…

En 2015, le nom Blue Origin, compagnie pilotée par Jeff Bezos, d’Amazon, était sur toutes les lèvres après l’atterrissage réussi d’une fusée à la suite d’un vol suborbital non habité. Au moment de rédiger ces lignes, la compagnie venait de reporter le lancement de la navette New Shepard à cause d’un problème au sol.

Non, rien n’est simple dans le merveilleux monde des voyages spatiaux, même si Jeff Bezos y investit une partie de sa fortune personnelle – estimée à 165 milliards de dollars – depuis près de 20 ans. Plus discret que ses deux concurrents, ce dernier compte malgré tout rafler ce marché, comme l’a rapporté L’Express en octobre.

Dès 2019, les premiers clients de Blue Origin devraient pouvoir réaliser leur fantasme en prenant place à bord de New Shepard, qui doit son nom au tout premier astronaute américain. Durée du vol? Quatre minutes. Le prix du billet? 200 000$. Comme les fusées sont réutilisables, l’investissement pourrait devenir payant.

L’histoire qui se répète?

J’ai par moment l’impression que mes propres réflexions font écho, avec quelques siècles de décalage, à celles des détracteurs des frères Wright et autres visionnaires qui ont traversé les époques. Les inventeurs et les idéalistes se sont toujours fait traiter de fous. Pourtant, ce sont plutôt des sceptiques dont on se moque gentiment, quelques centaines d’années plus tard, en regardant par le hublot de notre avion.

En cette fin d’année 2018, j’aimerais partager l’enthousiasme des astronautes du dimanche et, surtout, voir autre chose dans ces multiples rebondissements qu’une sorte de course entre milliardaires, tant du côté des initiateurs que des passagers, mais je n’y arrive pas. Pas encore.

En attendant de voir comment l’avenir se dessinera, je vais continuer à rêver à mes prochaines explorations terriennes et à suivre les aventures de David Saint-Jacques. Voyager par procuration peut aussi faire vivre de grandes émotions!

P.S.: Si, comme moi, vous vous demandez où «commence» l’espace, voici le résumé de l’Agence France-Presse: «La frontière de l’espace est communément admise comme se situant à 100 km de hauteur, mais l’armée américaine considère qu’elle se trouve un peu plus bas, à 50 miles (environ 80,4 km)». La Croix s’est aussi intéressée à la question.

P.P.S. : Joyeuses Fêtes!