La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Quand le voyage est un enfer

Le voyage, quand il est souhaité, est la plus belle chose au monde. Mais quand il relève de la survie, il se transforme en enfer. C’est ce que je ne cesse de me répéter en voyant les images de migrants en boucle à la télé et sur le Web.

J’ai beau être sensible au sort des réfugiés depuis longtemps, jamais leur réalité ne m’aura frappée aussi fort. Peut-être parce que j’étais dans cette gare où plusieurs ont transité, à Budapest, il y a quelques semaines à peine, puis au Palais des Nations à Genève quelques jours plus tard. Peut-être parce qu’il est plus facile de m’identifier aux Syriens de la classe plus aisée qu’aux réfugiés du Soudan du Sud, dont le quotidien est plus éloigné au mien. Peut-être parce que les médias nous inondent d’information et nous rappellent constamment que nous assistons à la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Peut-être parce que je ressens, comme plusieurs, une certaine culpabilité à avoir attendu aussi longtemps avant de réaliser l’urgence que nous avions pourtant sous les yeux.

La guerre. La crisse de guerre.  Un conflit complexe – ou plutôt des conflits ! –, qu’on peine à comprendre ici. «La guerre, qui épargnait encore certaines régions à ses débuts, comme la capitale, Damas, est désormais totale, rappelle Le Monde. Elle a causé la mort de plus de 240 000 personnes et a jeté sur les routes près de 12 millions de personnes – sur un total de 23 millions d’habitants, soit plus de la moitié de la population initiale. Le pays ne connaît plus d’activité normale, est dans une situation humanitaire et économique catastrophique et de plus en plus nombreux sont celles et ceux qui, après quatre ans de guerre, se résolvent à quitter le territoire. La situation y est tellement catastrophique que l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) octroie désormais automatiquement le statut de “réfugié” à toute personne fuyant la Syrie – alors que c’est habituellement une démarche individuelle –, quels que soient son groupe ethnique, sa religion ou ses opinions politiques.»

Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), 381 412 personnes ont risqué leur vie en traversant la Méditerranée pour rejoindre l’Europe depuis janvier. De ce nombre, 2850 n’ont pas survécu. La majorité est originaire de Syrie (53%). Les autres sont Irakiens, Afghans, Lybiens et Érythréens. Une fois sur la terre ferme, le voyage est loin d’être terminé, comme nous le rappellent constamment journaux et autres sites d’actualité.

Comment parler du bonheur d’être sur la route alors que ces familles ne rêvent que de s’arrêter et de trouver enfin la paix? Comment garder le cœur léger devant l’horrible défilé dont nous sommes témoins jour après jour? Comment continuer à vivre comme si de rien n’était, en faisant semblant de n’avoir rien vu?

Je ressens une certaine indécence à gambader en sifflotant alors que tant de Syriens marchent pour ne pas mourir. Un malaise à regarder ailleurs, là où le paysage est un aimant à «like» sur Instagram. Je n’ai pas envie de détourner les yeux. Ces cadavres sont là, bien réels, en direct sur mon écran. Des corps qui avaient l’âme d’un père, d’une mère, d’un frère, d’une sœur ou d’un enfant. Des morts qui auraient pu être mes proches si j’avais eu la malchance de naître du mauvais côté du monde.

Je n’ai pas envie de détourner les yeux parce que je n’en ai pas le droit. Depuis mon petit confort bien relatif, j’ai le devoir d’au moins m’informer. Quitte à verser quelques larmes au petit déjeuner.

Voyager? Oui. Mais réaliser la chance que nous avons de choisir de le faire. Savourer le luxe de vivre en paix, avec, comme plus grands questionnements, ce que nous allons manger pour souper ou s’il vaudrait mieux prendre le bus ou le métro pour aller au boulot. Rester conscient, parce que la mort des autres, c’est aussi un peu la nôtre. Et vivre encore plus fort pour la même raison.

P.S.: On ne peut pas faire grand-chose, mais si vous souhaitez faire un don, plusieurs pistes dans cet article. À lire également: Que faire maintenant?

P.P.S.: Je pars pour la Grèce dans trois semaines. Je ne vous dis pas les sentiments contradictoires qui m’habitent…


Pour en savoir plus

Comprendre la situation en Syrie en cinq minutes

Benjamin Barthe

29 juin 2015

Le Monde

Crise des migrants : toutes ces questions que vous vous posez peut-être (sans oser les demander)

Jean-Baptiste Duval

7 septembre 2015

Le Huffington Post

Migrants: 5 idées reçues sur l’espace Schengen

L'obs

11 septembre 2015

L'OBS