La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Qu’adviendra-t-il des Îles-de-la-Madeleine?

Après la frousse de ne pas pouvoir se rendre aux Îles-de-la-Madeleine en voiture, l’annonce d’Air Canada de suspendre ses vols à compter du 8 septembre a causé bien des remous, tant du côté des voyageurs que des différents acteurs de l’industrie touristique. Malgré les cafouillages et les incidents malheureux des dernières semaines, comment se vit l’été 2020 aux Îles?



Entre les directives contradictoires des provinces et les histoires rapportées par les médias, il est difficile d’imaginer la quiétude habituelle qui règne dans l’archipel. Pourtant, sur les réseaux sociaux, les images idylliques nous font presque oublier les imbroglios qui font les manchettes. Si les perceptions et les enjeux diffèrent selon la personne à qui l’on parle, un élément ressort: les problèmes liés au transport causent beaucoup plus de stress que la peur du coronavirus.

«Environ 95% des entreprises touristiques et des restaurants sont ouverts, observe Ariane Bérubé, directrice des ventes, marketing et communications pour les Hôtels Accents. Ça montre la résilience des Madelinots. On était loin de croire que ce serait possible en mai!»

«Les clients qui viennent ici cet été sont hyper-choyés, poursuit-elle. On a tellement eu peur de ne pas voir personne! On sait que les Madelinots sont accueillants. Cette année, c’est mille fois plus.»

La blogueuse et consultante Jennifer Doré Dallas, qui a transporté son bureau aux Îles pour une partie de l’été, s’étonne pour sa part que l’arrivée des touristes n’ait pas fait grimper le niveau d’anxiété des Madelinots croisés depuis le début de son séjour. «Les Madelinots ne semblent pas stressés par la COVID, dit-elle. Ils ne semblent pas tous conscients que le virus arrive avec les touristes. Je vois des rassemblements, mais d’autres font plus attention. Par contre, dans les commerces, les mesures sont plus serrées: le lavage des mains est exigé partout et des gens portent le masque.»

Directrice adjointe de l’auberge La Salicorne, Rosemarie Leclerc partage son année entre Québec et les Îles. Elle a fait la route pour se rendre dans l’archipel le 30 mai dernier. «On parle beaucoup de ceux qui ont des problèmes, mais pas de ceux qui n’en ont pas. Nous sommes partis avec un pique-nique et une glacière. Les gens que nous avons croisés sur la route ont tous été sympathiques. À l’auberge, je n’ai pas entendu d’histoires d’horreur non plus.»

Photo: Marie-Julie Gagnon

L’enjeu: le transport

Rappelons que seulement 35 0000 visiteurs pourront en théorie séjourner aux Îles cet été. En temps «normal», ils sont plutôt… 70 000. Transports Canada a par ailleurs imposé une réduction de 50% du nombre maximal de passagers pouvant être transportés à bord du navire.

Si les entreprises de location de chalets et de maisons semblent bien tirer leur épingle du jeu, ce n’est pas le cas de tous. «Cet été, on a le temps de dîner et le téléphone ne sonne pas le soir, souligne Ariane Bérubé. Dans notre cas, ce qui nous a beaucoup fragilisés est le fait que 50% de notre clientèle prend part à des circuits en autobus.»

Point positif dans le contexte actuel: les touristes qui visitent l’archipel l’été proviennent principalement du Québec. Le casse-tête du transport entraîne cependant son lot de défis. On a beau savoir que des chambres sont disponibles dans différents établissements, encore faut-il pouvoir s’y rendre… «Et puis, pour ceux qui se déplacent en avion, il faut aussi pouvoir louer une voiture!» renchérit Ariane Bérubé.

Directrice adjointe de l’Agence de location des Îles, qui loue différents types de véhicules, Marie-Ève Lapierre est pour sa part passée d’un extrême à un autre en quelques jours. Après avoir perdu environ 80% de son chiffre d’affaires mensuel depuis le début de la pandémie, elle est maintenant inondée d’appels. «D’habitude, le flux de voyageurs et les réservations montent doucement à la mi-mai. […] L’été a commencé du jour au lendemain. Nous avons appris le 30 juin qu’Air Canada opérerait deux vols de 78 passagers le 1er juillet, alors qu’il était prévu que 27 personnes arriveraient ce jour-là… Difficile de se retourner.»

Les listes d’attentes pour juillet et août fracassent des records, dépassant les 400 noms. «Toutes des réservations de dernière minute», précise-t-elle.

Pour la période estivale, Air Canada a proposé des billets à 450$, un prix considéré très bas par les habitués de la destination. «La demande est forte cet été, confirme Pascale Déry, directrice des relations avec les médias pour le Québec et l’Est du Canada. Traditionnellement, nous exploitions ces vols sur des DH3 de 50 passagers, mais cet été nous les exploitons sur des DH4 de 78 passagers.»

Photo: Marie-Julie Gagnon

Et maintenant?

Marie-Ève Lapierre compare la situation actuelle avec celle d’il y a… 40 ans. La suspension des vols d’Air Canada à partir du 8 septembre a entraîné l’annulation de la majorité des réservations de l’automne. «Alors qu’on travaille tous à développer le tourisme du début mai au début d’octobre, on retombe à seulement l’été. Pour une entreprise comme la nôtre, cela représente plusieurs centaines de milliers de dollars perdus en tout.»

Air Canada pourrait-elle revenir sur sa décision? Rien n’est moins sûr. «Comme nous l’avons déjà mentionné publiquement, Air Canada ne maintiendra que sa liaison saisonnière, soit celle qui relie Montréal aux Îles entre juin et septembre, soutient Pascale Déry. En dehors de cette période estivale, Air Canada a suspendu indéfiniment son service.»

Heureusement, il reste Pascan, compagnie aérienne basée à Saint-Hubert, qui propose des vols vers les Îles depuis une quinzaine d’années. Sa capacité est toutefois limitée (de 13 à 15 places).

Une lueur d’espoir, cependant: la compagnie aérienne a fait l’acquisition d’appareils pouvant transporter 34 passagers. «L’inauguration devrait avoir lieu en septembre», précise Mme Bérubé.

Nous avons aussi appris par l'entremise de différents médias qu'un groupe d'investisseurs souhaite lancer un nouveau transporteur aérien québécois sous la forme d'une coopérative appelée Treq, qui pourrait notamment assurer des vols vers les Îles à prix raisonnable.

Photo: Marie-Julie Gagnon

Des forfaits avantageux

Depuis plusieurs années, La Salicorne, qui a rouvert ses portes le 26 juin, propose des forfaits en partenariat avec Pascan. Les réservations vont bon train, mais il reste encore des disponibilités pour juillet et certaines semaines d’août et de septembre. «Nos forfaits sont vendus par Club Voyage des Îles, dit Rosemarie Leclerc. Grâce à Explore Québec, on obtient un rabais de 250$

En juillet, le taux d’occupation atteint près de 60%. La directrice adjointe constate une plus grande demande pour le camping que les années précédentes. Contrairement à d’autres sites, La Salicorne a d’ailleurs rendu son bloc sanitaire accessible aux visiteurs.

«Je comprends les gens d’avoir peur de venir, dit-elle, mais jusqu’à présent les commentaires sont très positifs et les gens se sentent bien accueillis.» Selon l’évolution de la situation et la disponibilité des employés, il est possible que la saison de La Salicorne soit prolongée jusqu’en octobre.

Ariane Bérubé croit pour sa part que bien des choses dépendront de l’évolution de la situation avec le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard. «Nous prenons une semaine et même une journée à la fois.»

Sur sa page Facebook, Joël Arseneau, député des Îles-de-la-Madeleine, a résumé les dernières nouvelles à propos du transport terrestre lundi dernier: «Il est maintenant possible de s’arrêter à l’Île-du-Prince-Édouard pour se reposer, voire y passer la nuit, selon l’information obtenue par CFIM. Le Secrétariat du Québec aux relations canadiennes confirme par ailleurs que l’Île-du-Prince-Édouard n’imposera finalement pas de formulaire supplémentaire aux Québécois en route vers les Îles. Le formulaire d’autodéclaration du gouvernement du Québec suffira. L’inscription en ligne auprès du gouvernement du Nouveau-Brunswick est toutefois maintenue.»

À suivre…