La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Le touriste, c’est l’autre

Déchets abandonnés, bruit à toute heure du jour et de la nuit, surconsommation d’alcool… Les comportements irresponsables des touristes laissent des traces. À une époque où les voyageurs servent souvent de bouc-émissaires, comment éviter de contribuer aux problèmes liés au surtourisme?



Parmi les images qui m’ont le plus marquée lors du visionnement de la série documentaire Surbooké, sur Tou.tv (aussi sur Apple TV), il y a celle de ce père à vélo qui doit fendre la foule de l’iconique parc Güell, à Barcelone, pour aller reconduire son enfant à la garderie. Imaginez: se frayer un chemin à travers la cohue matin et soir pour atteindre sa destination. Tous. Les. Jours.

Je me suis souvent demandé si les résidents des secteurs qui se trouvent à proximité d’un lieu très prisé des touristes en voient toujours la beauté. L’exceptionnel ne devient-il pas banal quand on l’a sous les yeux au quotidien? Si imaginer le bruit constant des valises roulant sur les pavés du Barri Gotic suffisait à me rendre pleine d’empathie pour les résidents de ce quartier où Airbnb a fait des ravages, j’avoue que je n’avais jamais songé à ce genre de scénario du quotidien.

Je me suis souvent demandé si les résidents des secteurs qui se trouvent à proximité d’un lieu très prisé des touristes en voient toujours la beauté. Photo: Sung Shin, Unsplash

On est tous le touriste de quelqu’un

Comme vous, il m’arrive d’oublier que je suis moi-même une touriste. Que je contribue au problème, même en tentant d’éviter les périodes de pointe. Aurais-je vu ce père zigzaguer avec son enfant si je m’étais trouvée sur sa trajectoire, un matin? Sans doute que non, trop occupée à contempler les mosaïques de Gaudi… et à tenter de contenir mon impatience envers ces touristes trop nombreux.

Voilà sans doute le nœud du problème: notre propension à nous déresponsabiliser dès qu’on se trouve loin de chez soi. Bien qu’il n’excuse rien, l’état d’insouciance dans lequel on se retrouve en voyage explique peut-être certains dérapages. On se sent si LIBRES! On en oublie de jeter l’emballage de son repas à emporter dans la bonne poubelle et de baisser le ton quand, sous l’effet du décalage horaire, on raconte sa journée avec beaucoup d’enthousiasme sur FaceTime au milieu de la nuit. On oublie que la «vraie vie» existe aussi ailleurs. Que des parents jonglent, là aussi, avec la gestion du quotidien. Pour ma part, j’aurai une pensée pour ce père chaque fois que je déambulerai près d’un site populaire.

Barcelone, Paris ou Playa del Carmen ne sont pas seulement des destinations populaires: ce sont d’abord des milieux de vie. Il suffit de demander à n’importe quel résident de n’importe quelle ville ayant vécu à proximité d’un logement loué sur Airbnb pour comprendre à quel point le va-et-vient perpétuel peut irriter. Heureusement, les règles des locations à court terme ont été resserrées un peu partout sur la planète, y compris à Montréal (même si peu d’amendes sont distribuées…).

Dans Surbooké comme dans de nombreux reportages publiés ces dernières années, les plateformes de location à court terme sont montrées du doigt pour expliquer l’embourgeoisement de certains quartiers. En nous faisant croire qu’on pouvait être chez nous partout, Airbnb a fait en sorte que les habitants des villes surfréquentées ne se sentent plus chez eux nulle part. «Le tourisme se dévore lui-même», croit l’anthropologue Saskia Cousin, interviewée dans Surbooké.

Bien qu’il n’excuse rien, l’état d’insouciance dans lequel on se retrouve en voyage explique peut-être certains dérapages. Photo: Melissa, Unsplash

Alors le tourisme, c’est mal?

Souvent démonisé, le tourisme de masse n’est pourtant pas à rejeter en bloc. Le problème, c’est quand les habitants atteignent un ras-le-bol si grand qu’ils se mettent à manifester comme ce fut le cas en Espagne l’été dernier. On ne devrait jamais se rendre là. Ce n’est pas à nous, simples visiteurs, de fixer les limites, mais bien aux autorités qui connaissent les limites à ne pas franchir.

Au cours des six (excellents) épisodes de Surbooké, la question du surtourisme est déclinée sous différents prismes: le point de saturation, l’économie, les impacts environnementaux et l’illusion culturelle. On s’y balade dans quelques-unes des destinations souvent citées quand il s’agit de décrypter le phénomène comme Amsterdam, Venise et Bali. On replonge aussi dans l’histoire de Cancún, créée pour les touristes à l’époque où Acapulco avait atteint son point de saturation. Au nord-est de la péninsule du Yucatán, Cancún s’approche de la croisée des chemins évoquée par le géographe Richard W.Butler, qui a établi un modèle d’évolution des lieux touristiques en 1980: le déclin ou le renouvellement.

Ce que je retiens de la série, mais aussi de toutes mes recherches et entrevues des dernières années: l’importance de maintenir l’harmonie entre les visiteurs et les populations locales. Ça commence en demandant l’avis de ces dernières. En s’informant adéquatement, aussi. Je ne dis pas de cesser de visiter les lieux les plus fréquentés: seulement d’essayer d’éviter les pics touristiques, dans la mesure du possible.

Si, en plus, on peut passer plus de temps au même endroit pour tisser des liens plus profonds, on n’oubliera peut-être pas de jeter nos déchets dans la bonne poubelle la prochaine fois.