La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Pour ou contre la bucket list?

La bucket list, c’est la fameuse liste de choses à faire avant de mourir. Très tendance, le thème a même inspiré une application mobile, BUCKiTDream. Pour certains, c’est une façon de se fixer des objectifs. Pour d’autres, de se raccrocher à ses rêves pendant une période difficile ou carrément de trouver un sens à leur vie. Est-ce une si bonne chose de dresser la liste de ses envies comme on aligne les achats à faire à l’épicerie? Tout dépend de l’angle sous lequel on aborde la question.

Les blogueurs voyages raffolent des bucket lists. Plusieurs publient la leur et s’amusent à biffer les rêves qui ont franchi la frontière de la réalité. C’est le cas de Corinne de Vie nomade, de Jennifer de Moi, mes souliers, de Jérémy alias Djisupertramp, de Sylvain de Tourdumondiste, de Thibault du blogue Le tour du monde de mes pieds ou encore d’Amandine et François d’Un sac sur le dos.

Chacun a sa manière de voir les choses. Pour Jérémy, les rêves doivent absolument être réalisés. «Rêver, c’est tenir en haleine cette excitation qui s’éveille en nous lorsqu’on pense à ce précieux, cette vibration qui résonne jusqu’au jour où l’on s’apprête à le vivre», écrit-il.

Pour Corinne, coucher ses souhaits sur écran n’entrave en rien la liberté et l’évolution. «Cette liste de choses à faire avant de mourir n’est pas figée: elle s’enrichit régulièrement de nouveaux rêves, de choses accomplies un peu incroyables. Elle s’allège aussi parfois, de trucs qui ne bottent ma foi plus tant que ça. Les objectifs de cette bucket list ne sont pas activement poursuivis, mais les écrire m’a parfois donné le courage de sauter un pas, ou m’a conféré la fierté d’un petit accomplissement souhaité depuis longtemps, mais toujours mis de côté.»

Les contre

À l’opposé, Claudia du blogue Les Baroudeurs affirme ne jamais avoir eu envie de voir de voir le Taj Mahal ou de gravir l’Everest. «Si je n’avais que dix rêves, je m’attacherais à ne pas les écrire pour ne pas les réduire, écrit-elle dans un billet intitulé «Heureux qui comme Ulysse a fini sa bucket list». Je m’attacherais à n’en pas faire une liste pour n’avoir jamais le malheur de les barrer. Je m’attacherais à ce qu’ils soient vraiment miens, qu’ils ne m’aient pas été suggérés ou imposés.»

Elle poursuit: «En les alignant sur une liste, ces moments, ces endroits, ces monuments, perdent instantanément leur grandiose. Il faut les regarder, les vivre comme s’ils étaient fugaces, témoigner de leur beauté et faire en sorte qu’elle s’imprime dans nos cœurs par leur unicité. Il ne faut pas les aligner, encore moins essayer, sur une liste, de les cocher.»

Elle admet toutefois rêver de conversations dans des huttes, dans le désert ou au coin du feu. Pourquoi la liste des choses à faire avant de mourir devrait-elle être exclusivement composée de sites ultra-touristiques ou de monuments célèbres? N’est-ce pas à chacun de déterminer les balises de sa propre route?

À mi-chemin

Pour ma part, je me livre à deux exercices chaque année depuis la fin des années 2000: un bilan de mes voyages en décembre et la liste des destinations qui seront dans ma mire pour les mois suivants, en janvier. C’est une manière de mesurer le chemin parcouru, un peu comme en semant des cailloux. À l’approche du Nouvel An, je dresse la liste de mes envies, pêle-mêle. Certains souhaits reviennent d’année en année. Ceux-là, je les appelle «mes évidences». Des lieux que je sais que je visiterai. Paradoxalement, ce sont souvent ces destinations que je mets de côté quand j’ai des choix à faire, parce que j’ai la certitude que j’irai un jour. Pourquoi passer à côté d’occasions de me rendre dans des contrées dont je n’ai même jamais pensé fouler le sol? J’aime les détours imprévus, les élans du cœur et les envies spontanées. Mon plus grand plaisir? Voir la magie surgir là où je ne l’attends pas.

«À mon sens, les bucket lists sont un rappel salutaire que nos rêves improbables sont souvent composés de tout petits rêves réalisables, croit Corinne Stopelli. Il faut bien commencer par quelque chose, se prouver que l’on peut réussir, pour ensuite passer à quelque chose de plus fort et de plus grand.» Point de vue intéressant.

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Bali

Doit-on réaliser tous nos fantasmes?

Je rêve d’aller à Bali depuis toujours. Mes attentes sont si grandes que le risque d’être déçue est plus élevé que pour n’importe quelle destination. Je me demande même si je finirai par y aller tant j’ai «vécu» ce voyage en rêve. Parfois, quand le choc de la réalité risque d’affadir le rêve, ne vaut-il pas mieux se vautrer dans la perfection de nos scénarios? (Je me passais la même réflexion, adolescente, quand je craquais pour un garçon, mais c’est une autre histoire.)

Longtemps, j’ai concocté des itinéraires de tours du monde quand j’avais le cafard. C’était ma manière à moi de m’évader pendant ces moments où il m’était impossible de mettre les voiles. De rêver fort, toujours plus fort. Je n’ai jamais ancré ces moments de rêverie dans la réalité et ne m’en porte pas plus mal. Au contraire: ces heures à élaborer des trajets m’ont permis d’avancer à ma manière et retrouver le sourire dans les moments de sédentarité forcée.

Mon meilleur guide à ce jour a toujours été le hasard (certains préfèrent parler de destin, mot que je trouve un peu pompeux). C’est lui qui m’a appris à avoir la foi. L’assurance qu’il y a toujours quelqu’un, quelque part, même si je n’ai aucune idée où je m’en vais. La confiance, aussi. En moi et en ma sensibilité. Une sensibilité qui ne me sert pas toujours dans la «vraie vie», mais qui me permet de ressentir les choses avec une acuité qui m’est toujours salutaire sur la route. Je sens, je sais. Alors pourquoi tout décider d’avance?

J’aurai toujours des rêves, mais ils ne sont pas immuables. À 12 ans, je me voyais au bras d’un prince charmant blond aux yeux bleus. À 25, il était clair que je préférerais les ténébreux. Mes rêves se meuvent au rythme des battements de mon cœur. Certains me suivent depuis l’enfance et m’accompagneront probablement jusqu’à ma mort. Est-ce triste de ne pas tous les réaliser? Pas du tout, puisque cela signifie que d’autres seront apparus au fil des rencontres et des événements. J’aime l’idée que de nouveaux rêves se juxtaposent aux anciens et me pointent des directions encore inconnues. Me laisser porter par l’état de grâce d’un instant encore plus parfait que n’importe quelle scène issue de mon imagination (plus que débordante).

L'impossible? Je le laisse aux autres. Moi, j’ai le hasard.

(Merci à Sarah Dawalibi, qui m’a entraînée sur la piste des Baroudeurs. C’est la lecture de leur billet qui a déclenché mon envie d’écrire sur le sujet.)


Pour en savoir plus

Bora Bora is the most popular travel fantasy on bucket list app

AFP Relaxnews

22 septembre 2015

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