La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Devrons-nous présenter une preuve de vaccination pour voyager?

De nombreux médias et experts prédisent que les passeports vaccinaux feront partie de nos vies au cours des prochaines années. Alors que l’éventuelle instauration d’un outil numérique fait couler de plus en plus d’encre au Québec, différentes destinations ont déjà annoncé avoir levé la quarantaine pour les voyageurs qui peuvent présenter une preuve d’immunité. Tour d’horizon.



Plus d’une vingtaine de pays proposent à leurs habitants d’obtenir des passeports sanitaires ou sont en voie de le faire. Parmi les premiers à en détenir un, les Israéliens peuvent par exemple visiter la Grèce sans se soumettre à la période d’isolement obligatoire en présentant leur Green Pass, preuve numérique qu’ils ont reçu les deux doses du vaccin. Peu importe leur provenance, tous les touristes vaccinés, immunisés après avoir guéri de la COVID-19 ou présentant un test de dépistage négatif qui visiteront la Grèce au cours des prochains mois pourraient aussi subir un test aléatoire.

L’Islande a également annoncé la suppression de la quarantaine obligatoire pour les voyageurs vaccinés, tout comme l’Estonie, la Roumanie, la Pologne et la Géorgie. Les Seychelles et le Liban laissent quant à eux entrer les voyageurs détenant une preuve de vaccination sans imposer de quarantaine, mais un test PCR continue d’être exigé.

Alors que le G7 se penche sur la question du passeport vaccinal, l’Union européenne a annoncé l’entrée en vigueur de son certificat vert numérique en juin, qui attestera que son détenteur a été vacciné contre la COVID-19, qu’il a passé un test PCR négatif ou qu’il est immunisé après avoir été infecté.

L’Union africaine a aussi créé son passeport numérique pour simplifier les déplacements à l’intérieur du continent. Depuis son lancement en mars, la plateforme gratuite Trusted Travel, une initiative de l’agence sanitaire principale de l’Union africaine, a permis de réduire considérablement les retards et les longues files d’attente dans les aéroports.

Des croisiéristes, dont Royal Caribbean, qui souhaite reprendre ses activités dans les Caraïbes en juin, exigeront par ailleurs que tous les passagers adultes soient vaccinés.

Plus d’une vingtaine de pays proposent à leurs habitants d’obtenir des passeports sanitaires ou sont en voie de le faire. Photo: Depositphotos

Et au Canada?

Bien que moins de 30% de la population adulte au Québec et qu’à peine 15% dans l’ensemble du Canada ait reçu une première dose du vaccin (à titre de comparaison, au Royaume-Uni, une première dose avait été administrée à 60% de la population adulte au moment de rédiger ces lignes), il apparaît de plus en plus pressant de créer un certificat de vaccination qui pourra faciliter autant la vie des personnes immunisées que celles des agents qui devront procéder à des vérifications. Il ne s’agit pas de l’imposer, mais bien d’offrir cette option à ceux qui souhaitent pouvoir circuler plus librement – sans pour autant oublier les mesures sanitaires, puisqu’on ne sait toujours pas s’il est possible de transmettre le coronavirus même une fois vacciné.

Partagé sur la question, le premier ministre Justin Trudeau a évoqué la possibilité de l’exiger pour les voyages internationaux, mais peut-être pas pour fréquenter certains endroits à l’intérieur du pays, craignant qu’il soit discriminatoire.

Des entreprises et associations travaillent aussi à la création de leurs propres outils. C’est le cas de l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui représente plus de 290 compagnies aériennes dans le monde. La «Travel Pass» permet de présenter une preuve fiable de test négatif ou de vaccin en format numérique. Il suffit de se rappeler l’épidémie de faux documents de confirmation de tests de dépistage émis en plein chaos, en janvier dernier, pour saluer l’initiative, qui simplifiera le travail de vérification des employés des compagnies aériennes, qui ont vu cette «autre tâche connexe» pelletée dans leur cour.

Après des tests concluants réalisés par Singapore Airlines pour les vols vers l’Asie du Sud-Est, puis entre Londres et la cité-État, le passeport numérique de l’IATA est maintenant également utilisé par Qatar Airways pour les vols entre Doha et Istanbul depuis mars. Korean Air a annoncé qu’elle emboîtera le pas pour ses vols Séoul-Los Angeles à compter de mai.

Oui, mais…

Bien entendu, pour pouvoir présenter une preuve, encore faut-il avoir eu accès au vaccin. À ce jour, l’objectif de vacciner 75% des Québécois est déjà atteint chez les 60 ans et plus, mais on est encore loin du but dans le reste de la population. N’empêche, un outil permettant de présenter une preuve numérique devrait déjà être à la disposition de ceux détenant le fameux sésame, non?

Je ne suis pas la seule de cet avis, si je me fie au sondage réalisé par La Presse auprès de ses lecteurs la semaine dernière. Plus de 1200 personnes se sont dites en faveur de la mise en place d’un passeport vaccinal.

L’industrie touristique abonde dans le même sens. «Nous devons développer ici sans attendre une preuve officielle et légitime de notre vaccination qui sera également reconnue ailleurs, tout comme nous exigerons des visiteurs qu’ils aient cette même preuve pour entrer au pays sans devoir se soumettre à une quarantaine», ont écrit Michel Leblanc, président et chef de la direction, Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Stéphane Paquet, président-directeur général, Montréal international et Martin Imbleau, président-directeur général, Administration portuaire de Montréal dans la section Opinion du Devoir le 10 avril dernier.

Les États-Unis disent non

Les frontières avec les États-Unis ne sont même pas encore rouvertes qu’on voit déjà des désaccords se profiler. La porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, affirme que le gouvernement ne soutient actuellement pas un système qui obligerait les Américains à posséder une telle preuve et n’a pas l’intention de le faire. En Floride, le gouverneur républicain Ron DeSantis a signé un décret interdisant un tel document au nom du respect des «libertés individuelles».

New York est le seul État à s’être doté d’un passeport numérique à ce jour, l’Excelsior Pass, que peuvent se procurer les personnes vaccinées sur une base volontaire grâce à un simple code QR. Il permet entre autres d’assister à des événements sportifs et de prendre part à des événements culturels.

Un sondage réalisé en ligne pour l’Association d’études canadiennes et l’Institut canadien de recherche en santé de l’Université du Manitoba en mars a mis en relief les divergences des Canadiens et des Américains sur la question. Plus de la moitié des répondants canadiens (52%) se sont dits favorables à la présentation d’une preuve de vaccination à la frontière, comparativement à 43% des Américains.

Et d’un point de vue éthique?

À CTV News, la bioéthicienne Alison Thompson a soulevé son inquiétude à propos des passeports sanitaires. Selon la chercheuse de l’Université de Toronto, l’accès au vaccin doit être équitable et rejoindre d’abord les communautés qui en ont le plus besoin. Un éventuel passeport vaccinal pourrait même à son avis empirer les inégalités observées depuis le début de la pandémie, «parce que nous savons que les gens qui sont frappés le plus durement par la COVID sont les moins susceptibles d’être vaccinés dans certains cas à l’heure actuelle».

De son côté, le Centre d’expertise et de référence en santé publique de l’INSPQ, qui procède à l’analyse éthique, penche vers le pour:  «Le CESP estime que, dans la balance, les bénéfices escomptés en termes de bienfaisance, de liberté et de solidarité sont légèrement plus importants que les inconvénients définis en termes d’équité, de respect de la vie privée et d’efficience dans les domaines du voyage et des activités de loisirs.»

Je reconnais l’importance d’offrir la vaccination aux populations les plus vulnérables et de préserver la vie privée, mais pourquoi tergiverser autant pour un outil facultatif qui ferait une énorme différence pour une grande partie de la population?