La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

De Montréal à Halifax en train

C’est chaque fois la même excitation. J’arrive à la gare Centrale de Montréal, sourire aux lèvres et sac rempli de croustilles, de craquelins, de graines de citrouille et de bouquins (on n’est jamais trop prévoyant). Ma destination: Halifax. Durée prévue du trajet: 24 heures.



C’est mon deuxième voyage à bord de L’Océan pour un trajet de 1346 kilomètres. La première fois, c’était avec ma fille, il y a douze ans. Cette fois-ci, j’occuperai une petite cabine pour une personne. Un rideau opaque me séparera des autres passagers.

L'Océan à la gare centrale de Montréal. Photo: Marie-Julie Gagnon

Avant même de monter à bord, on nous apprend que le train partira avec au moins deux heures de retard. La raison: nous devons attendre un autre train transportant des voyageurs qui partiront avec nous.

L’embarquement débute peu après l’heure prévue, mais le repas est servi avant le départ. Le serveur m’indique une table pour quatre, où trois personnes sont déjà installées. C’est l’un des aspects que je trouve toujours intéressant, tant dans les trains au long cours de VIA Rail que dans ceux d’Amtrak: on place les passagers au hasard. On se retrouve à se raconter des bouts de vie en commentant les repas – plutôt inégaux d’un train à l’autre.

La voiture-restaurant. Photo: Marie-Julie Gagnon

Manger avec des inconnus

Les autres convives: un couple de Campbellton et une dame d’Edmonton. Les Néo-Brunswickois viennent de passer une dizaine de jours à la Maison des greffés, où ils ont côtoyé des patients en attente d’une opération. Certaines histoires les ont particulièrement touchés, comme celle d’un homme qui venait de recevoir un organe après une attente de plusieurs mois. La dame, pour sa part, a quitté l’Alberta quelques jours plus tôt à bord du Canadien, qui l’a emmenée jusqu’à Toronto. Elle a ensuite mis le cap sur Montréal, où elle a passé quelques jours avant de monter à bord de L’Océan. «J’ai toujours voulu traverser le pays d’un océan à l’autre, nous confie-t-elle. Je n’ai pas pu aller jusqu’à Vancouver, mais je suis heureuse de faire le voyage jusqu’à Halifax.»

À quoi ressemble le menu? Bœuf braisé glacé aux champignons, saumon au beurre de dukkah accompagné de riz, raviolis à la courge musquée ou paneer tikka masala (fromage à pâte molle non salé servi avec sauce et riz). J’arrête mon choix sur le bœuf. J’avoue avoir beaucoup mieux mangé à bord du Canadien et en classe Affaires entre Montréal et Québec.

Le menu du souper. Photo: Marie-Julie Gagnon

Le train se met en branle alors que nous terminons le dessert (un gâteau au fromage beaucoup trop sucré). La nuit est maintenant tombée. Nous ne verrons ni le Bas-Saint-Laurent ni la vallée de la Matapédia. Si j’adore passer la nuit à bord des trains, j’ai toujours un petit pincement au cœur en pensant aux paysages traversés sans qu’on puisse les voir. De bonnes raisons de revenir dans ces régions que j’aime tant.

Je profite du calme d’un wagon désert pour abattre un peu de boulot avant la grande déconnexion des prochaines heures. Les signaux de cellulaire se feront rares pendant l’essentiel du trajet.

Une courte nuit

Moi qui roupille généralement bien sur les rails, ma nuit est plutôt courte. Le train ayant accumulé déjà beaucoup de retard, le doux bercement s’est mué en course contre la montre. Les vieux wagons – ils ont plus de 70 ans – sont ballotés d’un bord à l’autre. Au petit matin, des passagers bavards m’empêchent de faire la grasse matinée. Qu’à cela ne tienne: j’ai toute la journée pour rattraper le sommeil perdu! Je demande à la préposée de ne pas retransformer mon lit en fauteuil et je profite du rythme plus lent pour retrouver Morphée, bouchons bien vissés aux oreilles.

Mon lit. Photo: Marie-Julie Gagnon

À Campbellton, je sors me baigner dans la lumière d’août. Le soleil laisse présager une superbe journée d’été. J’en profite pour discuter avec l’agente de bord. «Nous avons maintenant trois heures et demie de retard», m’apprend-elle.

Arrêt à Campbellton. Photo: Marie-Julie Gagnon

Que ferai-je du reste de ma journée? Dur à dire. Je suis très douée pour glander. Je n’ai aucune notion du temps. Je pars dans la lune. Je pense. Je regarde par la fenêtre. Je somnole. Je lis. J’écris. Je constate à quel point les vitres sont sales (il faudrait d’ailleurs que je nettoie les miennes, à la maison). Je grignote. Je fais des listes. Je me blottis dans une mélodie de Satie. Je grogne quand le réseau disparaît. J’invente la vie des gens qui ont occupé mon espace. Je redécore mentalement. Je scrute les cours arrière des villes et des villages traversés. J’écoute les albums et les listes téléchargées sur mon téléphone. Lana Del Rey. Lou Reed. Isaac Delusion. Taylor Swift. Je fais danser mes orteils sur le mur. Je repars dans la lune…

Du Nouveau-Brunswick à la Nouvelle-Écosse

Je dîne dans un décor de carte postale, près de Restigouche. «Petit-Rocher, c’est la mer à votre portée, indique le dépliant distribué aux passagers. Ce sont des gens chaleureux qui aiment la vie et les visiteurs. Agréable en été et regorgeant d’activités en hiver, le village est un plaisir à visiter toute l’année grâce à l’accueil chaleureux de ses habitants et à ses multiples attractions touristiques. Chaque année, le 15 août, la fête nationale des Acadiens se célèbre ici en grande pompe.» C’est le 19e point de l’itinéraire. Suivront Bathurst, Miramichi et Rogersville, avant d’arriver à Moncton.

Vue sur Petit-Rocher. Photo: Marie-Julie Gagnon

Je retourne dans ma petite cabine. Je repars dans la lune. Je pense. Je regarde par la fenêtre. Je somnole… Chaque minute passée à ne pas travailler a des airs de plaisir coupable. L’ennui est un sacré beau luxe.

Le train entre en gare à Halifax passé 22 h, heure des Maritimes, plus de 27 heures et demie après l’heure de départ prévue. Et vous savez quoi? Je recommencerais n’importe quand.

Arrivée à la gare d'Halifax... 27 heures et demie plus tard! Photo: Marie-Julie Gagnon

Pratico-pratique

  • Les prix varient selon la classe choisie (économie, Affaires et Voiture-Lits Plus) et le moment du voyage. À titre d’exemple, un aller simple à la mi-septembre en classe économie tourne autour de 200$. La classe Voiture-Lits Plus affiche déjà complet à cette période.
  • Mieux vaut réserver le plus longtemps possible à l’avance pour avoir une petite cabine.
  • La meilleure manière de repérer des aubaines est de s’abonner à l’infolettre du mardi de VIA Rail.

J’étais l’invitée de Tourism Nova Scotia et VIA Rail, qui n’ont eu aucun droit de regard sur ce texte.