La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Saut dans le temps à Sainte-Pétronille

Que se cache-t-il derrière la façade des demeures cossues de Sainte-Pétronille, à l’île d’Orléans? Lors d’un récent séjour à Québec, j’ai pu pousser la porte de la résidence d’été d’une des familles anglo-saxonnes tombées sous le charme du «bout de l’île» au tournant du XXe siècle.



La vue imprenable sur le Saint-Laurent nous fait rapidement comprendre pourquoi de nombreuses familles aisées ont pris leurs quartiers dans le village de Sainte-Pétronille à la fin des années 1800. Si, dès 1648, l’endroit est occupé en permanence par des colons français, il faut attendre la construction d’un quai et l’ajout d’une liaison fluviale avec Québec pour voir la villégiature prendre son essor dans ce secteur de l’île peu propice à l’agriculture, mais doté d’un microclimat. Charmée par ses anses et ses points de vue sur le fleuve, la bourgeoisie de Québec, principalement anglophone, y fait construire des villas. 

En franchissant le portail du domaine du financier Charles Porteous, on ne soupçonne pas tout ce qui nous attend à l’intérieur du bâtiment. Aujourd’hui, des retraitants viennent s’offrir des moments de pause et de silence dans ce décor suranné. Les jardins à l’italienne autrefois entretenus par cinq jardiniers sont devenus des lieux de recueillement.

En franchissant le portail du domaine du financier Charles Porteous, on ne soupçonne pas tout ce qui nous attend à l’intérieur du bâtiment. Photo: Marie-Julie Gagnon

Le père Germain Grenon me fait visiter une première section de l’actuel Foyer de charité construite en 1959-1960, après le départ de la famille Porteous. «Une communauté religieuse a acheté en 1959, raconte-t-il. En 1980, ils ont vendu à un groupe d’hommes d’affaires de Québec qui ont fait une corporation et en ont fait un foyer de charité, une organisation internationale présente dans 40 pays.»

Le père Germain, guide lors de la visite de notre journaliste. Photo: Marie-Julie Gagnon

Dans la salle de séjour, les chaises berçantes dans lesquelles les prêtres fumaient la pipe face au fleuve sont toujours alignées. Aujourd’hui, ce sont les retraitants qui viennent y contempler le fleuve en silence. «Le foyer est pour tous ceux qui cherchent à donner un sens à leur vie», poursuit-il, ajoutant que l’objectif premier reste l’approfondissement de la foi.

La salle de séjour est l'endroit parfait pour contempler le fleuve. Photo: Marie-Julie Gagnon 

Alors que je ne peux détacher les yeux du fleuve, il poursuit: «J’aime dire que les premiers missionnaires sont passés par ici, tout comme Champlain et Jacques Cartier.»

L’omniprésence de l’art

Dans la chapelle, des créations d’une voisine, l’artiste Louise Lanier, côtoient celle du sculpteur Lauréat Vallière, qui a aussi exécuté les cinq statues de la façade principale de l’église de Sainte-Famille à l’île d’Orléans. Dans la bibliothèque des Porteous, le meuble dans lequel s’alignaient jadis les livres est utilisé comme vaisselier. On voit encore les inscriptions destinées à identifier les différentes sections.

Parfaitement intégrées au décor réalisé sur mesure entre 1896 et 1907, des scènes rurales et maritimes témoignent des préoccupations de l’époque, dans l’esprit du mouvement Arts and Crafts qui faisait alors fureur au Royaume-Uni. Dans le hall d’entrée, les couleurs sombres de Maurice Galbraith Cullen se fondent parfaitement aux boiseries. «Ça représente le cap Diamant et le séminaire, avec les bateaux qui arrivent dans le fleuve et l’arrivage des colis, les chevaux avec une carriole…»

Dans le hall d’entrée, les couleurs sombres de Maurice Galbraith Cullen se fondent parfaitement aux boiseries. Photo: Marie-Julie Gagnon

Des œuvres de Homer Watson, William Brymer et Harriet Ford ornent aussi les murs. «Dans les années 1900, on allait vers les villes. C’était l’industrialisation. Il y avait comme un mouvement de résistance à la terre et à la nature. Toutes les peintures de Brymer que nous avons ici louent l’attachement à la terre.» 

Des œuvres de Homer Watson, William Brymer et Harriet Ford ornent aussi les murs. Photo: Marie-Julie Gagnon

Dans la salle à manger, une scène de pêche à l’anguille rappelle l’importance de cette activité à l’époque où les Porteous sont arrivés dans le secteur. Le choix des matériaux – le bois d’acajou, la pierre, le cuivre, la laine tissée qui tapisse certains murs, la peinture à l’huile sur toile marouflée… – ne laisse planer aucun doute sur le statut social de cette famille d’origine écossaise, qui transportait ses pénates à l’île d’Orléans pendant la belle saison. 

Un décor unique

«Outre le fait qu’elles sont des réalisations uniques et représentatives de la carrière de ces artistes, ces peintures constituent l’un des rares exemples de décoration peinte dans une résidence privée conservés jusqu’à ce jour», souligne le répertoire du ministère de la Culture et des Communications, qui a inscrit le décor intérieur de la maison Porteous au Registre du patrimoine culturel en 1984.

À l’image de la noblesse européenne, certains objets arborent le monogramme et le blason de la famille. Des souvenirs rapportés de voyage par le financier, comme des chaises sculptées et un jeu d’échecs, dénotent aussi une curiosité pour l’Orient à une époque où voir du pays impliquait de longs séjours en mer. Bien que considérée comme petite pour cette famille nombreuse, la maison semble avoir abrité de nombreux moments heureux.

On quitte l’endroit avec l’impression d’avoir pu regarder quelques instants par le trou de la serrure…

 

Photo: Marie-Julie Gagnon

En vrac:

  • Il n’est pas possible de réserver pour une visite ni de prendre rendez-vous, mais le père Germain m’assure que les curieux qui s’y arrêtent peuvent découvrir l’endroit si quelqu’un est disponible.
  • À Sainte-Pétronille, l’auberge La Goéliche se trouve à l’endroit où une première auberge attirait les voyageurs dès 1880. Ravagé par un incendie en 1894, l’établissement a été reconstruit sur quatre étages. De style victorien, le Château Bel-Air est rapidement devenu le repère chic des villégiateurs. Entre 1920 et 1960, une clientèle fidèle de vacanciers aisés, notamment en provenance des États-Unis, la fréquentait. Au fil des décennies, l’établissement a cependant perdu de son lustre. Puis, au début des années 1990, La Goéliche a entamé un nouveau chapitre de son histoire. Après un incendie en 1996, l’auberge a connu une nouvelle vie dès 1997. Il est actuellement possible d’y séjourner et de manger à son restaurant réputé. Il est possible de commander des plats pour emporter cet été et de les déguster sur la terrasse ou dans la salle à manger.
  • Sainte-Pétronille compte aussi un vignoble très populaire qui porte le nom du village, d’où l’on peut apercevoir la chute Montmorency. Depuis trois ans, Saint Pierre Le Vignoble, juste à côté, accueille aussi les visiteurs.
  • Le plus ancien golf d’Amérique du Nord se trouve à Sainte-Pétronille.
  • • Si visiter des demeures d’autrefois vous intéresse, sachez qu’une ancienne résidence seigneuriale érigée en 1734, le Manoir Mauvide-Genest, à Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans, est aujourd’hui un musée.
  • Pour plus d’info sur le Foyer de la charité de l’île d’Orléans, le mieux est de consulter le site web.

Merci à François Jacques de Destination Île d’Orléans pour la mise en contact.