La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Lettre à un touriste à Montréal

Cher touriste qui visite Montréal pour la première fois, j’aimerais te dire que ton atterrissage se fera en douceur. En général, c’est le cas, les bornes permettant un passage fluide aux douanes depuis quelques années. Il y a bien parfois des ratés en haute saison, mais j’ai, pour ma part, très rarement dû attendre longtemps à l’arrivée. Pour quitter l’aéroport, par contre, c’est une autre histoire.



Non, il n’y a pas de système de transport en commun rapide et efficace depuis YUL. La fameuse ligne du nouveau REM – le Réseau express métropolitain –, similaire à la Canada Line du SkyTrain de Vancouver que j’aime tant, ne sera pas accessible avant 2027. En attendant, si tu ne veux pas payer l’équivalent d’un repas dans un restaurant gastronomique pour te rendre au centre-ville, il te faudra prendre l’autobus 747. En théorie, c’est une bonne idée. En pratique, le service est loin d’être constant.

Avant même de faire la queue pour le bus, sache que pour te procurer un billet, il faudra te mettre en ligne à l’intérieur de l’aéroport, près de la sortie, devant l’une des bornes de la STM (Société de transport de Montréal). À moins que tu aies 11$ en espèces? Parce que, oui, il est possible de payer en argent comptant dans l’autobus, mais seulement avec des pièces et le montant exact – l’argent de papier est refusé. Et non, l’aéroport ne dispose pas de machines pour faire de la monnaie. Je le sais: j’ai posé la question à l’un des agents d’information qui errait près des bornes au début du mois.

Je les plains, d’ailleurs, les pauvres agents: ils doivent passer la journée à répéter les mêmes infos, mais ne peuvent même pas vendre eux-mêmes le précieux sésame. Si tu as fait un long vol, tu auras beau te dire qu’ils sont gentils, ce sera difficile de garder le sourire. Peut-être que, toi aussi, tu ne pourras pas t’empêcher de relever l’ironie d’être dans l’une des plaques tournantes des arts technologiques… où il n’est pas même pas possible d’acheter de simples billets de bus et de métro sur Internet.

Cela dit, tu peux aussi tomber sur un bon moment. En plein cœur de l’été, en juillet dernier, il n’y avait aucune attente devant les bornes quand je m’y suis présentée. Je me rappelle même avoir été impressionnée par le roulement des autobus: on s’assurait que tout le monde avait une place assise et, hop!, un autre véhicule prenait le relais. Rien à voir avec mes souvenirs précédents, quelques années plus tôt. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui m’a amenée à récidiver peu de temps après (ça et le coût de la vie – on coupe partout où l’on peut en période d’inflation).

La fois suivante a été moins heureuse. Quand j’ai demandé à l’une des agentes où je pouvais faire de la monnaie, elle m’a répondu: «En demandant aux commerçants autour.» Évidemment, aucun commerçant ne va ouvrir sa caisse seulement pour faire du change, surtout quand dans sa boutique aussi, il y a une queue. J’ai fini par convaincre un barman d’échanger son pourboire contre mes billets de papier.

J’ai aussi eu beaucoup de chance: le ticket qu’on achète dans la borne étant valide de façon illimitée pour une période de 24 heures tant à l’aéroport qu’au centre-ville, une gentille samaritaine qui venait d’arriver pour prendre l’avion m’a déjà refilé le sien, au hasard, me permettant d’aller faire directement la file dehors pour prendre le bus.

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Si tu ne te sens pas la force de gérer le bordel des bus, tu voudras peut-être prendre un taxi. Il fut un temps où il y avait une pénurie de taxis. La situation semble rétablie, mais le prix, lui, a grimpé comme tout le reste. Résultat: à l’heure de pointe, il ne faut pas s’étonner de voir la facture approcher des trois chiffres si tu vas jusqu’à traverser le pont Jacques-Cartier vers la Rive-Sud.

J’ai résisté à Uber pendant des années pour les mêmes raisons que j’essaie d’éviter Airbnb, mais j’avoue y avoir recours de plus en plus souvent depuis quelques mois puisque je connais le prix exact de la course avant même de mettre ma valise dans le coffre de la voiture. Avec tous les embouteillages, entre autres causés par les travaux, je paie facilement 20$ de plus, voire 30$, pour le même trajet entre Longueuil et YUL en taxi. Non, je n’ai pas toujours les moyens de suivre mes propres recommandations éthiques.

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Je n’ai aucun doute que ton séjour au Québec sera ensuite fabuleux. Du moins, si tu parviens à te déplacer... Je pourrais te parler longtemps de mes déboires pour explorer ma province sans voiture, un choix que j’ai fait des décennies avant qu’on commence à aborder la question de l’empreinte carbone du transport routier. La province recèle de merveilleuses options d’hébergement, de parcs nationaux et d’attraits pour tous les goûts, mais il faut pouvoir s’y rendre.

Si tu choisis de ne pas conduire, une piste intéressante pour des excursions d’un jour au départ de Montréal ou de Québec est la Navette Nature – NaNa, pour les intimes. J’adore cette entreprise née en 2015 qui permet d’aller passer la journée dans un parc. La semaine dernière, je suis même allée cueillir des pommes dans un lieu où l’on mange aussi divinement bien, Labonté de la pomme, après avoir flâné le long de la plage du parc national d’Oka. Pendant l’été, certaines navettes sur l’île de Montréal sont même gratuites.

J’aimerais te dire que le train est un incontournable pour se déplacer au Québec, mais c’est loin d’être le cas. Il y a bien quelques irréductibles comme moi qui continuent de le prendre chaque fois que c’est possible, même pour aller jusqu’à Jonquière, trajet que plusieurs trouvent interminable. Oui, c’est très long: les retards sont tellement fréquents qu’il vaut mieux ne rien prévoir à l’arrivée. Habituellement, il me faut une bonne douzaine d’heures pour atteindre Jonquière alors que le trajet en voiture prend moins de la moitié du temps. Mais pour moi, le roulis du train reste inégalable.

Les autobus interurbains sont aussi très complexes puisqu’opérés par des entreprises différentes. Trouver les informations, même en ligne, peut représenter un défi (non, je ne suis pas fan de Rome2Rio, qui m’a déjà plus compliqué la vie que simplifiée). Et puis, qu’on opte pour le train, le bus ou le covoiturage, une fois à destination, le transport en commun est généralement peu ou pas existant. Trouver un taxi? Quel taxi?! Ils se font rares dans bien des localités.

Bref, tu l’auras compris: on a encore bien du chemin à faire pour convaincre les gens de cesser de privilégier la voiture.

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Quand viendra le temps de rentrer au bercail, assure-toi de partir tôt – beaucoup plus tôt qu’on te le recommandera –, même si tu optes pour le taxi. Il m’est arrivé de rester coincée dans un bouchon devant l’aéroport – je l’apercevais, là, devant – pendant plus d’une demi-heure.

Un tuyau, si tu voyages pendant une période très occupée: le service YUL Express, qui te permettra d’accéder à une ligne prioritaire au point de contrôle grâce à un code QR distribué gratuitement si tu prends un rendez-vous sur le site d’Aéroports de Montréal. Ça ne vaut pas toujours la peine quand c’est calme, mais pourquoi se priver de la possibilité de gagner un peu de temps quand ça ne coûte rien?

Voilà. J’espère que je ne t’ai pas trop déprimé. Sache que cela ne m’empêche pas d’aimer follement Montréal, le Québec et le reste du Canada. Mais j’aimerais tant ne pas avoir à écrire 1300 mots pour te préparer à ton arrivée!

Au moins, j’entrevois une «année d’expiration» pour ces conseils: 2027. Je n’ose même pas imaginer un énième report…

Bon séjour chez nous malgré tout, là!

 P.S. Ne t’en fais pas si tu ne comprends pas trop la grille tarifaire des nouvelles zones du métro: nous non plus.

P.P.S.: Quelques heures après avoir écrit cette lettre, j’ai vu que l’aéroport de Montréal est l’un de ceux qui suscitent le plus d’insatisfaction de la part des passagers cette année en Amérique du Nord, selon une étude de J.D. Power.