La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Voyage

Les voyages qui changent la vie

«Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait.»



Pour bien des voyageurs, cette phrase tirée de L'usage du monde de Nicolas Bouvier résume l'essence du voyage. On part pour aller cueillir des réponses; on revient avec encore plus de questions. On trouve des choses qu'on n'a pas cherchées, à commencer par soi, plus grand cliché de la Terre, mais aussi grande vérité.

alt="wild"Pour Cheryl Strayed, auteure du roman Wild, que de nombreux cinéphiles ont découverte grâce au film produit par Reese Witherspoon et réalisé par Jean-Marc Vallée, la traversée de la Pacific Trail est teintée par le deuil et le désir de reprendre les rênes de sa vie après avoir consommé de l'héroïne.

Nombreux sont ceux qui se sont reconnus dans l'aspect initiatique du voyage, la drogue en moins. C'est le cas de mon amie Marie-Ève, aujourd'hui journaliste, blogueuse et auteure. «Il y a quelques années, je suis partie backpack camper dans les Rocheuses canadiennes, seule durant trois semaines. C'était si peu comparé à la Pacific Crest Trail! N'empêche, le défi et les objectifs étaient sensiblement les mêmes. En regardant le film, je me suis revue montant ma tente trop lourde et trop vieille, seule au beau milieu de nulle part, marcher avec un sac trop lourd [...], à me faire à manger le soir avec mon réchaud et mon calepin d'écriture. Cette drôle de sensation de m'enregistrer avant de partir seule dans l'arrière-pays. Ce cow-boy qui m'a appris à pêcher à la mouche le saumon. Ou la frayeur lorsque j'ai croisé des grizzlys. C'est l'un des moments les plus éprouvants et le plus beau de ma vie, seule, face à mes peurs, face à moi-même.»

Ce que ce voyage a changé? «J'ai pris cette décision instinctivement, alors que j'étais en peine d'amour, raconte-t-elle. J'ai compris que la nature pouvait guérir des blessures. Qu'il faut s'écouter même si ça ne fait pas de sens aux yeux des autres. Ça m'a confrontée à mes limites. Être seule dans une tente dans le bois t'oblige à apprendre à être bien avec toi-même. J'ai apprivoisé la solitude. Au bout de trois semaines, j'ai accepté qu'il était temps de revenir parce que j'étais épuisée et mal équipée, mais j'étais satisfaite et fière parce que j'avais confronté plusieurs peurs. Aujourd'hui, j'ai toujours des peurs, mais elles sont plus tempérées. Ce voyage m'a aussi appris à mieux m'équiper!»

L'expédition a-t-elle eu un impact sur la peine d'amour? «Ça m'a contrainte à porter mes émotions et à les regarder en face plutôt que les accumuler et les fuir. Je me sentais mieux malgré tout parce que j'avais pleuré ma vie toute seule dans ma tente!»

Partir pour mieux revenir... ou repartir?

Pour certain, partir permet d'avoir le recul nécessaire pour mieux comprendre des aspects de sa vie qu'on n'arrive pas à voir à force d'avoir le nez collé dessus. Pour d'autres, il fait ressortir des traits de caractère qu'on a toujours ignorés et met en perspective des situations qui nous dépassent. Sortir du contexte, observer, puis replacer les pièces du puzzle au bon endroit. Voyager, c'est faire de soi le rat de son propre labo. À coup d'essais et d'erreurs, on trouve quelques pistes plus prometteuses.

Un tour du monde

Alors qu'elle travaillait en publicité, la Française Adeline Gressin a fait un voyage de 10 jours en Jordanie avec un copain, qui lui a lancé à brûle-pourpoint: «tu ne réfléchis pas et tu réponds à ma question: si tu devais changer de vie, que ferais-tu?»

Sa réponse spontanée: un tour du monde. Elle est rentrée en France déterminée à réaliser son rêve. En décembre 2009, à 36 ans, elle quittait son emploi. Le mois suivant, elle entamait son périple. «Le 5 janvier, je dansais dans une chambre d’hotel de Chennai, persuadée d’avoir pris la bonne décision», écrit-elle.

Depuis, elle s'est trouvée une nouvelle carrière: blogueuse voyage. «En partant pour mon tour du monde, je me lançais dans le vide, je ne savais pas ce que j’allais faire par la suite. Je voulais le trouver sur la route. Me trouver pour me (re)créer. J’avais pour idée de créer un blogue voyage mais je ne savais pas si j’étais capable de conter le voyage. J’ai donc bien réfléchi en amont sur ce que je voulais en faire, ce qui me ressemblait le plus et finalement ce fût ma meilleure carte de visite. Au retour, mes quelques lecteurs m’ont encouragée à continuer. Et s’il était là mon avenir?»

Six ans plus tard, son présent est composé d'écriture, de photographie et de voyages aux quatre coins de la planète.

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Voyage thérapie

La blogueuse suisse Corinne Stoppelli a quant à elle quitté son patelin comme d'autres partent en thérapie. «Il y a six ans, lors d’un trajet en bus anodin dans ma ville, j’ai eu l’impression que le ciel se décrochait: j’avais touché le fond. Je ne savais plus quelle était la vraie réalité. Ce que je vois? Ce qu’ils voient? Ce qu’on veut bien que l’on voie?»

Elle prend peu après la décision de traîner sa crise existentielle sur les routes du monde. «Le constat était le suivant: je ne sais plus qui est vraiment moi, car j’ai été trop moulée par mes expériences immobiles. Celle que voient les autres, ce n’est pas moi. C’est celle qu’ils veulent bien voir. Je voulais me détacher de ça, aller chercher d’autres regards, peut-être pour trouver le mien. Je pensais avoir trouvé une solution, et j’allais m’y jeter à corps perdu car j’en étais complètement convaincue. Je voulais prouver au monde qu’il n’y a pas besoin de se conformer, je voulais le crier sur les toits. J’ouvrirais la petite porte qui mène à cet arrêt de bus magique qui aurait très bien pu être un sourire, un ciel bleu, le toit d’un immeuble, une tomate verte.»

Six ans plus tard (dont quatre sur la route), elle mène une vie nomade, comme l'indique le nom de son blogue, où elle partage des billets très personnels, toujours empreints d'émotion. Partir a été la décision d'une vie, comme elle le raconte dans ce billet. «Sur la route, j’ai cessé de me haïr et j’ai commencé, tout doucement, à m’aimer. Et aujourd’hui, quand je lance un regard en arrière, sur ces quatre années de vie nomade, je me sens fière. J’ai accompli ce que je souhaitais: je suis enfin en paix avec moi-même.»

Mon chez-moi en Asie

Quant à moi, ma vie n'aurait pas été la même si je n'avais pas décidé de quitter Montréal en 2001 pour me lancer dans le vide. À l'époque, j'étais reporter et chroniqueuse pour une émission de télévision quotidienne sur la technologie, avec une équipe que j'adorais. Depuis quelques mois déjà, une petite voix me soufflait qu'il était temps d'arrêter de regarder les gens vivre dans mes reportages et de vivre à mon tour. J'avais tout misé sur la carrière jusque là. À 26 ans, j'avais réalisé tous mes rêves professionnels, mais seulement quelques voyages. Il était temps de m'occuper un peu de ma vie personnelle, non?

Au moment de renouveler mon contrat, je me suis vue répondre à la productrice de l'émission: «J'ai adoré mon expérience, mais je ne reviens pas. Je pars vivre à l'étranger pour une année, mais je ne sais pas encore où. »

J'ai mis le cap sur l'Asie quelques semaines plus tard. Après cinq semaines à bourlinguer surtout en Thaïlande, je suis rentrée à Montréal le temps de faire une grosse vente de garage, de sous-louer ma chambre et de dénicher un contrat d'un an de prof à Taïwan sur Internet. J'ai laissé mes étiquettes «à la maison» et suis partie explorer le monde, mais aussi cette fille qui rêvait de création, de passion et d'amour avec un grand A.

Je suis revenue 15 mois plus tard avec des souvenirs plein la tête, des tas de reportages publiés dans des journaux et des magazines du Québec et de l'étranger (je n'ai pas pu m'en empêcher: après 10 mois, je me suis consacrée à la pige, trop de sujets m'interpellaient!) et... un mari sénégalais rencontré là-bas (lui aussi prof).

En quoi ce voyage a-t-il changé ma vie, outre mon statut civil? J'ai appris à relativiser tant de choses! Moi qui étais si fière d'avoir collaboré très jeune à des médias prestigieux, j'ai découvert un monde où personne n'avait aucune idée de leur existence. Le Québec est une si petite goutte dans l'océan... Ce «zoom out» m'a permis de l'observer sous un autre angle. De devenir plus critique, aussi, face à ce qui m'avait toujours semblé des évidences. Voyager m'a appris l'humilité. À me construire une identité qui m'est propre. Et tant d'autres choses...

Et vous?


Pour en savoir plus

Partir seule: la meilleure décision de ma vie

Marie-Julie Gagnon

7 février 2013

Taxi-Brousse

Voyager seule: aller au bout de son rêve

Marie-Julie Gagnon

1er décembre 2013

Taxi-Brousse

Les voyages qui changent la vie

Marie-Julie Gagnon

19 mai 2013

Taxi-Brousse