La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Les lettres et les cartes postales ont-elles toujours leur place en 2015?

Je ne me rappelle plus trop comment tout a commencé. Une petite annonce dans un magazine pour ados, je crois. Puis, le dépliant d’une agence internationale, offert par une amie. À cette époque, je n’osais même pas rêver de fouler le sol de tous ces pays qui m’intriguaient tant, mais j’avais envie de tout connaître d’eux. Qui étaient ces gens qui vivaient de l’autre côté de la Terre? Que mangeaient-ils au petit déjeuner? Qu’apprenaient-ils à l’école?

Bien avant l’arrivée d’Internet, mes multiples correspondants m’ont fait voyager. D’abord dans la région de Montréal, moi qui rêvais d’y vivre depuis que j’en connaissais l’existence, puis aux quatre coins du monde. Je couchais sur du papier à lettres orné de petites fleurs pastel les banalités de mon quotidien d’ado un peu trop timide et intello pour mon bout du monde. Car j’en étais persuadée avant même l’âge de six ans: le bout du monde c’était mon rang, au Lac-Saint-Jean. Comment expliquer autrement le décalage avec les personnages que je voyais évoluer dans mon petit écran? Moi, je voulais jouer dans la ruelle avec Ti-Brin. Pas de chausser des raquettes dans la forêt alors qu’il faisait -1000.

Dans mon foyer bien sédentaire, mes correspondants ont été ces fenêtres ouvertes sur d’autres univers. D’abord au Québec, puis en France, en Grèce, en Autriche… Avec mon anglais plus qu’approximatif, j’avais confondu «Austria» avec «Australia». Non, je n’ai rien appris sur les kangourous cette année-là.

Aucune de ces amitiés n’a survécu au passage à l’âge adulte. Par contre, l’acte de choisir mon papier à lettres, de recopier mon brouillon, puis de lécher le timbre a contribué à rendre mon secondaire plus supportable. Je ne savais pas que je verrais du pays «pour de vrai» un jour, mais à travers mes échanges épistolaires, j’ai compris qu’il y avait mille façons de vivre et que l’extraterrestre des uns est le voisin «beige» des autres (et vice-versa).

En tombant sur un article du Nouvel Observateur à propos de la transformation des cartes postales, je me suis demandé si la correspondance avait toujours sa place alors qu’on peut avoir des conversations instantanées grâce à Skype et aux autres réseaux sociaux. Le plaisir, jadis, résidait autant dans l’attente que dans l’acte d’écriture.

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L’agence qui m’a fait tant rêver, adolescente, a fermé ses portes en 2008. En googlant, j’ai tout de même trouvé une page Facebook pour les fans du service, où en 2015 des gens publient encore des annonces.

Et les cartes postales? On en vend maintenant 250 millions par année, alors qu’on en échangeait 800 millions entre 1900 et 1914…

Pendant plus d’une décennie, écrire des cartes postales faisait partie de mes rituels de voyage (car oui, j’ai fini par aller le parcourir, ce monde qui m’appelait tant!). Puis, dans le tourbillon, j’ai diminué la cadence. J’en envoie parfois à ma fille de huit ans quand je voyage sans elle, à mes parents, à mes grands-mères… Mais pas assez souvent.

Quand, sur Facebook, je demande qui prend encore la peine de se livrer à l’exercice, les réponses ne tardent pas à fuser. «Oh que oui! répond spontanément Slê Ve. Pour moi, écrire des cartes postales, c'est comme un rituel qui symbolise les vacances!»

«C'est l’un de mes plaisirs en voyage! confie pour sa part Caroline Lacroix. Je ne pars jamais sans ma liste d'adresses postales (amis, famille, boulot...) et, parfois, je m'en envoie une à moi-même pour la recevoir une fois de retour.»

«Pendant nos trois mois en Belgique, les petits choisissaient des cartes, les postaient, et on demandait à la famille d'envoyer une vidéo ou une photo avec la carte, raconte pour sa part Pascale Langlois. Ils adoraient!»

Un copain facteur m’écrit: «La partie de mon travail que je préfère: arrêter de classer le courrier pour regarder les cartes postales que j'ai à livrer! Mais je ne les lis pas, juré! (Sauf peut-être si le pays m'intéresse, comme la carte de la Norvège que j'ai livrée cette semaine…)»

Stephanie Spaargaren, elle, va plus encore plus loin. «Je fais partie de postcrossing.com. Je me suis fait des amis autour du globe et, lorsque je voyage, je vais à leur rencontre!» Postcrossing permet de recevoir des cartes postales des quatre coins de la planète, de façon aléatoire. Chaque membre doit faire parvenir une carte à l’adresse qui lui est attribuée. N’est-ce pas un fabuleux pied de nez à cette époque numérique?

Si les longs échanges épistolaires se font de plus en plus rares, la carte postale semble avoir toujours sa place, si petite soit-elle. Courte et sans fioriture, elle s’écrit rapidement et permet de maintenir le contact avec les proches. En y pensant bien, n’est-ce pas là l’ancêtre du tweet ou du SMS?