Les Jardins de Métis d’hier à aujourd’hui
Aucune visite aux Jardins de Métis n’est la même. Le paysage se transforme au gré des floraisons et du moment de la journée. En plus des incontournables jardins historiques imaginés par Elsie Reford à partir de 1926, le Festival international de jardins propose chaque année de nouvelles œuvres.
En cette matinée de juin, la pluie diluvienne laisse présager le pire. Parviendrons-nous à profiter pleinement du site? Comme c’est souvent le cas dans le secteur, moins d’une heure plus tard, nous nous trouvons devant un tout autre tableau. Exacerbées par l’averse, les couleurs et les odeurs apparaissent encore plus vives. L’exploration se poursuit sous un soleil éclatant.
«Cette année, les fleurs sont plus hautes que jamais, s’étonne Alexander Reford, qui voit fleurir tous les étés depuis 30 ans les jardins créés par son arrière-grand-mère. La saison 2024 est exceptionnelle, on est vraiment plusieurs semaines d’avance. Nous avons eu un printemps hâtif et un mois de juin assez chaud. La floraison est très avancée. On dirait que les plantes ont gonflé. Elles sont très généreuses. La chaleur les a amplifiées.»
Il donne l’exemple des pivoines, qui ont fleuri trois semaines plus tôt, et des désespoirs du peintre – Saxifraga umbrosa ou London Pride, en anglais –, composés d’une multitude de petites fleurs visibles à peine 10 jours par année et actuellement dans toute leur splendeur – elles apparaissent habituellement en juillet.
Après la pluie
Alors que des gouttelettes sont toujours accrochées aux pétales, nous découvrons les iconiques pavots bleus, qu’Elsie Reford est parvenue à voir éclore contre toute attente. «C’est l’une des plantes les plus compliquées à faire pousser au monde, souligne l’historien et directeur des jardins. […] Quand on regarde une carte du monde, elle pousse dans l’ouest de l’Écosse, de l’Irlande, en Nouvelle-Écosse, à Vancouver, Victoria, Seattle… les zones un peu fraîches et humides, parce qu’elles n’aiment pas la sécheresse. Donc, le climat maritime est parfait.»
Même s’il a raconté son histoire des centaines de fois, Alexander Reford parle toujours de son arrière-grand-mère avec la même ferveur. «Ce jardin est issu d’une femme passionnée. Elle a tout fait elle-même, à partir de l’âge de 54 ans. Le jardin était comme un laboratoire. Le Jardin botanique de Montréal n’existait pas encore. Il y avait peu de connaissances. À l’époque, il y avait cette idée que rien ne pousse au Québec. Elle a combattu d’énormes préjugés pour constater que notre climat n’est pas si mal, avec la neige en hiver et le climat estival. On réalise aujourd’hui avec les changements climatiques que c’est la chaleur qui tue, pas le froid. Le froid va tuer si les plantes sont écloses, mais si elles sont recouvertes par la neige, c’est parfait.»
Même en 2024, l’air pur de Grand-Métis ne fait aucun doute. Sur les branches des azalées, plantées il y a plus de 90 ans, on remarque de la mousse. «C’est signe d’un environnement sans pollution», souligne M. Reford.
En traversant l’allée royale, où l’effet du soleil est bien visible sur le côté le plus exposé, je me demande ce qu’aurait pensé Elsie Reford des changements climatiques. Nul doute que cette grande voyageuse aurait été très sensible à ses effets…
Les expos de la Villa Estevan
Autour de la Villa Estevan, léguée à Elsie Reford par son oncle George Stephen, fondateur du Canadien Pacifique, la blancheur des pivoines Paeonia – Bride’s Dream contraste avec ses voisines aux tons de roses et fuchsia.
À l’intérieur, je découvre les deux expositions temporaires de l’été. La première, La lumière et la brume, met en lumière le travail de deux femmes, Anna Lois Dawson Harrington, qui a peint le paysage environnant pendant 40 ans, et la photographe Ewa MoniKa Zebrowski, inspirée elle aussi par la lumière du bord de mer.
Dans une autre pièce, Studiolo, Vues sur les collections permet de découvrir des objets des immenses collections des jardins ainsi que leur interprétation par l’artiste et restaurateur d’art Mathieu Pennaroya. On aperçoit par exemple le carnet de Robert Reford, l’un des premiers photographes au pays, et celui imaginé par l’artiste contemporain. On en profite bien sûr pour monter et découvrir l’exposition permanente!
Un quart de siècle pour le festival
Dans la section des jardins modernes, les quatre œuvres lauréates de l’édition 2024 du Festival international de jardins ont trouvé leur place parmi celles des années précédentes. Le thème de cette année: Écologie des possibles. Les créations retenues proposent des réflexions sur le passé tout en étant tournées vers l’avenir.
«Le jardin actuel, qu’il soit privé ou public, nous apparaît comme ayant une responsabilité sociale, observe la directrice artistique, Ève De Garie-Lamanque. Durable, il préserve et soutient la biodiversité. La sélection des végétaux le constituant se fait après avoir considéré les besoins et comportements spécifiques à chaque espèce, puis dans leur interaction les unes avec les autres.»
En reproduisant un jardin des Flandres aux Jardins de Métis (Rue Liereman / Organ Man Street), le collectif belge Pioniersplanters réfléchit au rôle des jardins domestiques pour diminuer l’impact climatique. De son côté, Superstrata, du collectif italien mat-on, s’inspire du rhizome développé par les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari, «soit un système dans lequel les hiérarchies sont substituées par une structure horizontale permettant de nouvelles manières d’interchanger connaissances, connexions et possibilités». «C’est comme si l’on se déplaçait à l’intérieur d’une carte», observe la directrice artistique Ève De Garie-Lamanque en déambulant à travers les «X» qui composent l’installation.
Couleur Nature, de Vanderveken, Architecture + Paysage de Saint-Lambert, propose pour sa part «une réflexion par l’étrange sur la position du jardin dans notre société en confrontant les grands schèmes de la pelouse utilitaire et de nos dispositifs de loisirs individuels». À côté d’un jardin clôturé aux allures de piscine, une statue de mouton a été déposée sur le gazon rose et, de l’autre, l’eau semble avoir sauté du bassin pour colorer le sol de bleu.
Avec Future Drifts, l’Américaine Julia Lines Wilson a remonté le temps jusqu’à l’année de création du festival pour faire un lien avec aujourd’hui. En 2000, le Plan d’action Saint-Laurent Vision 2000 a identifié des espèces à protéger, dont faisait partie l’aster d’Anticosti (Symphyotrichum anticostense). «La plante est toujours menacée, mais elle vient de changer de statut au Québec, souligne Mme De Garie-Lamanque. Elle est encore menacée au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Angleterre et au Massachusetts, mais ne l’est plus au Québec.»
La directrice artistique du festival proposera deux visites guidées au cours du mois de juillet. «Et il y a toujours au moins deux guides-animateurs dans la section consacrée au festival pour répondre aux questions des visiteurs», ajoute-t-elle. Je ne saurais trop vous recommander la visite guidée: se faire raconter les œuvres permet de mieux comprendre la démarche de chaque créateur.
Chose certaine, peu importe le temps qu’il fait, rien ne devrait freiner notre envie d’explorer les jardins!
Pratico-pratique:
- La 25e édition du Festival international des Jardins bat son plein jusqu’au 6 octobre.
- La lumière et la brume et Studiolo, Vues sur les collections sont présentées jusqu’au 6 octobre à la Villa Estevan.
- La buvette qui se trouve dans les jardins, à côté de la Villa Estevan, est ouverte cet été pour la première fois depuis la pandémie.
- À écouter pour se préparer à la visite: les balados De Downtown Abbey aux Jardins de Métis et Les fabuleux jardins d’Elsie Reford, produite par Ohdio (et auquel j’ai collaboré à titre de recherchiste).
J’étais l’invitée des Jardins de Métis et de Tourisme Gaspésie, qui n’ont eu aucun droit de regard sur ce texte.