Le jet de Taylor
Ce que je retiens du Super Bowl de dimanche dernier? Que le trajet en jet privé de Taylor Swift de Tokyo à Las Vegas représente «l’équivalent d’une trentaine de véhicules qui vont rouler pendant un an». L’amour glamour rime-t-il forcément aussi avec pollution, toujours?
En même temps, je ne peux m’empêcher d’imaginer l’horreur de prendre un vol commercial pour une star que tout le monde reconnaît. Même Leonardo DiCaprio, qui milite pour l’environnement depuis longtemps, se déplace souvent en jet privé. En 2017, nombreux sont d’ailleurs les journalistes à avoir relevé le fait que l’ambassadeur des Nations unies sur le changement climatique a fait un aller-retour express à New York en jet privé en plein Festival de Cannes pour aller recevoir un prix soulignant son engagement écologique. Bonjour, la cohérence.
Harrison Ford, lui, n’hésite pas à exprimer ses inquiétudes à l’égard de l’environnement tout en collectionnant… les avions.
Les stars comme les politiciens n’en sont pas à une contradiction près. Lors de la 26e Conférence des parties (COP26) de Glasgow, en 2021, environ 400 jets privés ont emmené chefs d’État et autres participants du monde entier pour discuter du futur de la planète. Repentant, Leo a quant à lui opté pour un vol commercial, alors que la mairesse de Paris, Anne Hidalgo, et ses homologues de Barcelone et Londres, ont pris le train. Plus facile quand on est déjà en Europe, me direz-vous.
Jeff Bezos, dont la présence n’était absolument pas nécessaire à l’événement, s’y est aussi rendu à bord de son jet. «S’il a promis des investissements pour la protection de l’environnement à hauteur de 2 milliards de dollars à travers sa fondation Bezos Earth Fund, cela ne l’a pas empêché de célébrer fin octobre le 66e anniversaire de Bill Gates, le fondateur de Microsoft, sur un super-yacht au large de la Turquie, a rapporté Libération. Qu’il aurait rejoint… en hélicoptère, selon le Daily Mail.»
Si la question des jets est revenue lors des COP suivantes, c’est surtout l’emplacement de la dernière qui a été au cœur des discussions. «Organiser cette grande conférence sur les changements climatiques dans le paradis du pétrole de Dubaï était douteux, a écrit Guillaume St-Pierre dans le Journal de Montréal le 30 novembre 2023. Donner la présidence de la COP à un émir des hydrocarbures était pire.» Rappelons que la plus grande COP jamais organisée a attiré 70 000 participants, soit deux fois plus que celle de 2021 à Glasgow.
S’il semblerait qu’un moins grand nombre de jets ait volé vers l’Égypte pour la COP27, la COP28 a battu tous les records d’émissions de CO2. «Ainsi, encore plus que les éditions précédentes, la COP28 n’échappe pas aux critiques sur le nombre de vols empruntés par les délégations, ONG et patrons, et surtout les jets privés qui amènent certains participants, rapporte Les Échos. Ces derniers sont considérés comme cinq à 14 fois plus émetteurs de CO2 qu’un avion de ligne, selon la Fédération européenne pour le transport et l’environnement.»
De plus en plus de jets privés
Taylor Swift ne fréquente peut-être pas les conférences de ce genre, mais son influence reste immense. On le constate une fois de plus en se penchant sur les théories du complot la mettant en vedette!
Les agissements de la star sont scrutés dans leurs moindres détails. Son influence peut avoir du bon: elle a convaincu de nombreux jeunes Américains d’aller voter en 2020 et pourrait faire pencher la balance lors des prochaines élections. En matière d’environnement, toutefois, le bilan est moins reluisant. En 2022, GEO écrivait: «En haut du classement des personnalités les plus émettrices de CO2, on retrouve notamment Taylor Swift. La princesse de la pop est aussi la “figure de proue” des pollueurs depuis ce début d’année, avec pas moins de 170 vols, une durée moyenne en vol de 80 minutes pour 224,28 kilomètres. À elle seule, Taylor Swift représente 8 293,54 tonnes d’émissions de CO2, soit 1 184,8 fois la moyenne d’une personne lambda. Interrogés par le magazine Rolling Stone, les représentants de la chanteuse ont fait savoir que son jet était régulièrement prêté à d’autres personnes et qu’il est incorrect de lui attribuer la plupart ou la totalité des vols.» Dans ce classement des personnalités les plus émettrices en CO2 à cause de leurs jets privés réalisé en 2022, on retrouvait aussi le boxeur Floyd Mayweather, Jay-Z, Steven Spielberg, Kim Kardashian, Mark Wahlberg et Oprah Winfrey.
Il n’y a bien sûr pas que les gens riches et célèbres qui ont recours à des avions privés. À l’aéroport de Saint-Hubert, 7600 vols privés ont été enregistrés en 2023, ce qui équivaut à 20 arrivées et départs par jour. Je veux bien que l’utilisation du carburant SAF (de l’anglais sustainable aviation fuel) permette de diminuer l’impact environnemental de certains, mais si le nombre de jets ne fait que croître, on n’est pas plus avancés, non?
Et pendant ce temps, je suis là à me taper sur les doigts parce que je prends trop souvent l’avion – commercial et en classe économique la plupart du temps –, même si je n’ai pas de voiture. J’ai honte quand je prends un taxi et me sens coupable chaque fois que j’utilise un essuie-tout ou que je prends un bain. Cela dit, ce n’est pas une raison pour ne pas tenter de faire mieux, à mon échelle.
Point intéressant relevé par un professeur de sciences politiques de l’Université Brown, Jeff Colgan, dans un article de l’Associated Press: «Il est frappant que Mme Swift suscite autant d’indignation alors que les clients des jets privés sont majoritairement des hommes de plus de 50 ans.» Effectivement.
Par ailleurs, même si ces pratiques sont faciles à montrer du doigt, il reste important de relativiser. Selon Mehran Ebrahimi, professeur au Département de management de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile, l’aviation produit 2% des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle mondiale. De ce nombre, 2% des GES sont émis par les jets d’affaires. Ils produiraient donc 0,04% des émissions. «Il y a une augmentation [du nombre d’avions privés], mais ce n’est pas tant un phénomène qu’on remarque, observe M. Ebrahimi. [...] C’est important de mettre ça en perspective.»
Néanmoins, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en voyant passer cette phrase sur Instagram, après avoir lu un article faisant état des nombreux déplacements en jet de Taylor Swift pour assister aux matchs de son amoureux: «I wish Taylor Swift was in love with a climate scientist» (J’aurais aimé que Taylor Swift soit amoureuse d’un scientifique du climat). Imaginez…