La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Le goût des villes

C’est sur une terrasse du Vieux-Québec, en septembre, que je l’ai sentie monter. Ma première vraie grosse bouffée de nostalgie de la vie d’avant.



J’ai beau aimer follement explorer la Belle Province, l’un de mes grands plaisirs de voyageuse reste de m’installer dans un café d’une ville inconnue et sentir battre son cœur. Devenir figurante de son quotidien. Regarder la vie qui passe. Tenter de voir son âme dans les yeux des passants. Être là – juste –, les sens en éveil, devant l’océan des possibles.

Me fondre aux foules denses des mégapoles asiatiques m’a toujours enchantée autant que de flâner dans les rues des villes européennes, grandes ou petites. Le chaos des marchés de nuit de Taipei m’envoûte, tout comme le mélange d’épices des bazars stambouliotes. J’oublie vite les ampoules aux pieds quand les parfums des glaces italiennes font frétiller mes papilles. Je chéris chaque pierre expliquée par un guide passionné, chaque immeuble qui semble contenir des milliers d’histoires, chaque nouvelle odeur qui chatouille mes narines. J’aime les villes grouillantes, foisonnantes, enivrantes.

Comme tout le monde, retrouver des coins de nature m’a fait un bien fou pendant l’été. Alors que je fais le deuil d’escapades aux quatre coins de la province pour admirer la flambée des couleurs, mesures sanitaires obligent, je repense à cet instant précis où, en buvant un verre de rouge – ô ironie! – près des fortifications, j’ai compris que même si je vis plutôt bien cette période de sédentarité forcée, arpenter les villes du monde me manque autant que mes gougounes rendu au mois avril.

La terrasse du Il Teatro, dans le Vieux-Québec, où je me trouvais au moment où j’ai ressenti ma grosse bouffée de nostalgie. Photo: Marie-Julie Gagnon

Pourquoi visiter Montréal?

Je ne suis pas la seule, d’ailleurs. Se définissant lui-même comme un touriste urbain, Paul Arsenault, titulaire de la Chaire de tourisme Transat et directeur du Réseau de veille en tourisme, admet avoir paniqué à l’idée d’enseigner à distance le printemps dernier. Maintenant bien installé dans ses pantoufles de télétravailleur, il a, comme nous tous, adopté une foule de nouvelles habitudes. Quand je lui demande dans combien de temps il estime que nous pourrons retrouver le plaisir de déambuler dans les villes, il hésite. «Ça va prendre du temps. Il n’y aura pas de magie.»

Montréal sans ses touristes internationaux et ses festivals a semblé bien triste au cours des derniers mois, malgré le coup de pep qu’on a tenté de lui insuffler depuis août. Le 26 septembre dernier, Radio-Canada a souligné la baisse de près de 92% de la fréquentation quotidienne du cœur de la métropole, alors que le taux d’occupation des hôtels «oscille entre 5 et 10% selon les données fournies à la mi-septembre aux élus du comité exécutif de la Ville». Il ne faut pas s’étonner de voir peu de visiteurs profiter des multiples (et fort chouettes, il faut le souligner) initiatives mises en place par la Ville pour convaincre les Montréalais de se réapproprier leur île: le taux d’occupation des immeubles de bureaux varie lui aussi entre et 5 et 10%, rapporte l’article. Sans raison de s’y rendre, rares sont les gens à faire le détour pour aller jeter un coup d’œil aux espaces créatifs et autres expos en plein air.

Sans raison de se rendre au cœur de Montréal, rares sont les gens à faire le détour pour aller jeter un coup d’œil aux espaces créatifs et autres expos en plein air.  Photo: Claude Deschênes

Paul Arsenault fait partie des travailleurs qui ne s’imaginent plus devoir se rendre tous les jours au centre-ville comme avant. Selon lui, Montréal «n’est pas une belle ville» et son centre-ville «ne se distingue pas de la plupart des villes nord-américaines». Je ne suis pas tout à fait d’accord: je lui trouve encore bien des charmes, du mont Royal aux rues du Vieux. Je prends plaisir à aller m’y balader en touriste de temps en temps, moi qui l’ai quittée il y a maintenant 13 ans. Mais il est vrai que je suis beaucoup moins portée à opter pour une virée au centre-ville quand je n’ai pas à m’y rendre pour le boulot. «On ne vient pas flâner à Montréal, croit le professeur: on vient pour prendre un verre sur les terrasses, pour aller d’un concert à l’autre, d’une prestation à l’autre…»

Lors d’une visite à Trois-Rivières pendant l’été, il a été séduit par certaines initiatives mises en place pour dynamiser la ville, constatant du même coup que les Trifluviens n’avaient pas de raisons de se rendre dans la métropole. «La rue des Forges était magnifique, dit-il. […] Des tables à pique-nique avaient été installées dans le parc portuaire, sur lesquelles on trouvait des menus de restaurants. La livraison se faisait en vélo électrique.»

Québec, Montréal, Trois-Rivières… Quand verrons-nous les gens d’ailleurs les prendre d’assaut de nouveau? Et nous, quand pourrons-nous retrouver l’aisance des balades dans les villes du monde? lui ai-je à nouveau demandé. Après des mois à craindre la proximité, Paul ne croit pas que nous serons à l’aise de retourner dans une foule compacte de sitôt. Il a raison. Certains réflexes resteront.

Malgré tout mon amour pour les cités animées, je m’imagine difficilement reprendre les choses à l’endroit où je les ai laissées. En février dernier, je baguenaudais dans les rues agitées de Bangkok. Quelques jours auparavant, j’étais dans un temple bondé au Sri Lanka, peinant à me frayer un chemin dans la marée humaine. Je frissonne juste à y penser…

«La bonne nouvelle, c’est que le tourisme va recommencer, croit l’expert en tourisme. Mais tant que ce ne sera pas vraiment réglé – pas seulement quand on aura un vaccin, mais quand on saura comment guérir le coronavirus –, il faudrait être naïf pour penser qu’on n’en a pas pour au moins deux ans à partir de maintenant. Je ne pense pas que nous pourrons visiter les villes de façon désinvolte avant 2023.»

La désinvolture. Voilà sans doute la chose qui nous manque le plus cruellement, alors qu’on se prend une nouvelle vague en pleine poire.

P.S. Québec et Montréal se trouvant toutes deux en zone rouge, les restaurants sont fermés du 1er au 28 octobre. Il est par contre possible de commander des plats à emporter ou à faire livrer dans plusieurs restaurants et les hôtels peuvent rester ouverts.