La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

L’Acadie, pays de cœur

Le 15 août, j’ai vécu mon premier tintamarre à Caraquet. En compagnie de 20 000 personnes (dont le premier ministre Justin Trudeau), j’ai défilé dans les rues de la ville en faisant le plus de bruit possible. «C’est pour montrer que nous sommes toujours là», m’a résumé Serge Collin de Tourisme Nouveau-Brunswick. Toujours là, et toujours fiers.



Cette fierté, je l’ai perçue dans le cœur qu’ont mis les Acadiens à se faire entendre, mais aussi dans les décorations aux couleurs du drapeau, dans les costumes parfois très élaborés et dans le simple fait d’être là, un soir d’été, prêt à crier, chanter et tambouriner sitôt le signal donné à 17h55.

L’événement clôture le Festival acadien, qui a célébré son 50e anniversaire en 2012. Pendant deux semaines, différentes activités mettent en valeur la culture: soirées musicales (populaire, classique et jazz), feu d’artifice, bénédiction des bateaux, «méchants partys»… C’est aussi à ce moment que se déroulent le Festival acadien de la poésie et le Gala de la chanson de Caraquet.

Photo: Facebook Festival acadien de Caraquet.
Photo: Facebook Festival acadien de Caraquet.

La déportation

Quelques jours auparavant, j’avais entendu l’accent si particulier des Acadiens de Chéticamp, à l’île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Après la déportation, ces derniers ont quitté les côtes sud de l’île et de l’Île-du-Prince-Édouard pour cette bourgade qui se trouve sur la mythique Cabot Trail. Détail intéressant, depuis 2012, les francophones et francophiles de la Nouvelle-Écosse peuvent se procurer une plaque d’immatriculation en français, qui arbore le drapeau acadien.

Pour bien comprendre l’importance du tintamarre et de tous ces symboles, il faut se rappeler l’épisode de la déportation. En 1749, l’Angleterre fonde la ville de Halifax, qu’elle peuple de colons. Les Acadiens déjà présents sont forcés de prêter allégeance à la Couronne britannique. En 1755, le lieutenant-gouverneur de la colonie, Charles Lawrence, décide d’expulser plus de 12 000 Acadiens et d’exproprier leurs biens et possessions. Ils sont envoyés dans les treize colonies, entre le Massachusetts et la Géorgie, aux États-Unis, mais aussi en Europe.

Certains fugitifs sont faits prisonniers, mais d’autres parviennent à rester libres. En 1763, une soixantaine de familles installées dans les environs de Boston décident de revenir à pied. À l’arrivée, elles constatent que leurs terres ont bien changé. Des anglophones habitent désormais leurs maisons. Ces familles s’établissent tout de même dans les parages, mais pas forcément sur les terres qui ont vu naître leurs ancêtres.

Le drapeau acadien a été choisi le 15 août 1884, afin que le peuple puisse s’identifier à un symbole fort. L’étoile posée sur le drapeau tricolore représente Stella Maris («étoile de la mer»), qui guide les marins pendant les tempêtes. Elle démontre aussi l’attachement du peuple à l’Église catholique, qui a joué un rôle important dans l’histoire de l’Acadie.

Photo: Facebook Tourisme Péninsule Acadienne.
Photo: Facebook Tourisme Péninsule Acadienne.

Les Acadiens de Moncton

Deux jours après la Fête des Acadiens, je m’arrête au Pays de la Sagouine, à Bouctouche. C’est l’un des endroits répertoriés par le journal Acadie nouvelle pour célébrer la Fête nationale du 15 août.

J’y fais la connaissance de Dorine, adorable guide, qui m’initie à quelques spécialités locales comme la fameuse poutine râpée et la bagosse, alcool servi à l’époque de la prohibition. Je craque tout de suite pour le côté bon enfant du site, tout à fait à l’image des personnages d’Antonine Maillet. «Alors que le Village acadien met l’histoire de l’avant, ici, c’est la joie de vivre des Acadiens qui est mise en valeur», résume Dorine.

Tout se passe en français au pays de la Sagouine. Pas étonnant que tant de Québécois aiment visiter l’endroit! Le français, pourtant, a longtemps été parlé exclusivement à la maison par les Acadiens des environs. Ils switchaient à l’anglais sitôt le pas de la porte franchi. «C’est seulement depuis le Sommet de la Francophonie de 1999 que nous sentons la fierté acadienne dans la région de Moncton», observe Dorine.

Depuis cinq ans, Moncton a même un festival, Acadie Rock, dont le point culminant est un grand spectacle gratuit le 15 août.

Moi qui n’aime pas particulièrement les foules et encore moins le bruit, je me suis laissée portée par le grand tintamarre, mais surtout par la fierté des participants et de tous les gens rencontrés en Acadie. En criant avec eux, c’est mon amour du français et de mes propres racines que j’ai célébrés, bien qu’issue d’un autre coin du pays. Car c’est ma langue qui m’a toujours servi de point d’ancrage, et non des lignes tracées sur une carte. En ce sens, je me sens un peu Acadienne à ma façon.

alt="marie-julie-caraquet"