La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

La lumière au bout du tunnel

J’avais oublié. Entre les lectures scientifiques, les nouvelles en continu, la gestion familiale et le boulot, les derniers mois se sont mus en années, voire en siècles. Neuf mois comme neuf ans ou 900. Neuf mois à avancer dans un tunnel, à tâtons, sans apercevoir la sortie. Sans même savoir si elle existe. À reculer, parfois. Neuf mois à réapprendre à vivre dans le noir, dans un espace-temps où le voyage n’existe plus. Ensemble tout en étant séparés. Et pourtant loin, si loin, peu importe la géographie. Peu importe les élans du cœur. Puis, une lueur…



J’aimerais y voir une métaphore de la vie elle-même. Une sorte de renaissance de l’humanité après une gestation forcée en soi. Mais l’annonce des vaccins n’a pas mis fin à la pandémie. Elle insuffle tout juste l’oxygène nécessaire pour crapahuter jusqu’à la sortie. Un faisceau d’espoir au milieu de la nuit. Une perche tendue après s’être épuisés à patauger dans une eau saumâtre, sans trop savoir vers quelle rive se diriger. La promesse d’un peu d’humanité au-delà des écrans interposés.

L’annonce des vaccins a levé l’interdiction implicite que je m’étais imposée à mon insu, les yeux rivés sur un objectif beaucoup plus primaire: protéger les miens. Cette injection, avant même de traverser la frontière de ma peau, m’a autorisée à rêver à nouveau. Quelque part entre les calculs de probabilités, la brume de mes lunettes et mon masque sans émotions, j’avais oublié comment. Perdu le chemin qui mène aux idées de grandeur et aux bras tendus de tous ces ailleurs à chérir. J’ai cherché mon souffle dans l’évanescence du connu, avant de réaliser qu’il me fallait plutôt aborder l’incertitude comme un nouveau monde pour le retrouver. J’ose enfin regarder devant, les deux pieds bien ancrés dans le présent et la respiration un peu plus profonde.

Ces neuf longs mois ne m’ont peut-être pas transformée, mais ils m’ont ramenée à l’essentiel. Photo: David Marcu, Unsplash

Rêver de voyage

Selon une étude réalisée en août 2020 auprès de 263 Américains de 18 ans et plus par l’Institute for Applied Positive Research, fondé par la chercheuse en psychologie Michelle Gielan, 97% des répondants ont affirmé qu’avoir planifié un voyage, imminent ou pas, les rend plus heureux. Une belle grosse dose de joie avant même de monter dans l’avion. Des destinations comme Tahiti, le Bélize et la Barbade tablent d’ailleurs sur le bien-être pour convaincre les voyageurs d’élaborer des plans de vacances.

J’ai sondé mes amis sur Facebook pour savoir où ils souhaiteraient mettre le cap une fois vaccinés, si l’argent n’était pas un obstacle. L’éclectisme des réponses m’a ravie: Japon, Mongolie, Europe du Nord, Andalousie, Liban, Italie, Islande, France, Égypte, l’ouest et le nord du Canada… Plusieurs ont évoqué le besoin de faire le plein de câlins avant même de songer à mettre les voiles. Mais surtout, tous se sont donné le droit de rêver pendant quelques minutes. Il aura une fin, ce tunnel. Il aura une fin!

J’avais oublié. L’espoir a soufflé sur les braises. Le feu reprend tranquillement. Ces neuf longs mois ne m’ont peut-être pas transformée, mais ils m’ont ramenée à l’essentiel. Avant de faire des plans pour le bout du monde, je compte bien faire le tour de mon monde moi aussi. Serrer très fort parents et amis disséminés sur trois continents.

Ça prendra le temps que ça prendra. L’attente est plus supportable quand on commence à discerner le phare à l’horizon. Et l’idée de baguenauder entre les rendez-vous, plus invitante que n’importe quelle série sur Netflix.