La chronique Voyage de Marie-Julie Gagnon

Auteur(e)
Photo: Mélanie Crête

Marie-Julie Gagnon

Auteure, chroniqueuse et blogueuse, Marie-Julie Gagnon se définit d’abord comme une exploratrice. Accro aux réseaux sociaux (@mariejuliega sur X et Instagram), elle collabore à de nombreux médias depuis une vingtaine d’années et tient le blogue Taxi-brousse depuis 2008. Certains voyagent pour voir le monde, elle, c’est d’abord pour le «ressentir» (et, accessoirement, goûter tous les desserts au chocolat qui croisent sa route).

Il était un lac

Une odeur de conifère et de mousse après la pluie. Alors que je m’approche du lac, le mugissement du ouaouaron s’intensifie. On eût dit une alerte pour tous les habitants du secteur. Sorte de croisement entre ceux d’une vache, d’un âne et d’une tuyauterie défectueuse, son cri détonne avec la perfection du chant des oiseaux. Est-ce ma présence qui fait ainsi la manchette?



Dans le reflet du lac, les nuages ondoient doucement. Je suis venue lire un peu avant de commencer ma journée de travail, mais me voilà à taper à deux pouces des notes dans mon téléphone. Je n’ai aucun talent pour le dessin, alors je peins avec mes mots.

Je suis arrivée hier soir à Rivière-à-Pierre, dans Portneuf, où je suis passée des dizaines de fois en train sans m’arrêter. On ne vient pas ici par hasard: il faut avoir une raison de venir y jeter l’ancre.

Inauguré en octobre 2022, Escale au Lac avait tout pour me plaire: des hébergements écologiques, Internet haute vitesse, la possibilité de commander des plats avant l’arrivée et très peu d’humains. Et puis, ils m’ont toujours intriguée, ces noms de gares en pleine forêt. Allais-je résister à une pareille invitation? Bien sûr que non.

Escale au Lac a tout pour me plaire: des hébergements écologiques, Internet haute vitesse, la possibilité de commander des plats avant l’arrivée et très peu d’humains. Photo: Marie-Julie Gagnon

Loin… mais pas trop

En voiture, il faut compter environ 3h30 depuis Montréal pour effectuer le trajet. Par moment, on a l’impression que la route est sans fin. Puis, à Saint-Raymond, la civilisation réapparaît. On trouve une épicerie, une Société des alcools et la charmante Épicerie l’Ambroiserie, pour dénicher des produits québécois. Une autre demi-heure de route est nécessaire avant d’arriver à Escale au Lac. Encore cette impression de rouler vers l’infini...

Plateau aux saveurs locales de l'Épicerie l'Ambroisie. Photo: epicerie_lambroisie

Je ne le savais pas au moment de confirmer la réservation, mais le site compte un autre atout de taille: le potentiel de me faire DORMIR. Moi qui ai du mal à fermer l’œil plus de cinq ou six heures par nuit, je viens de roupiller pendant plus de neuf heures.

Quand j’en fais la remarque à Jade Dussault, qui a cofondé Escale au Lac avec son conjoint, Anthony Roy, elle éclate de rire. «Des gens viennent parfois me voir en panique à 11h30 parce qu’ils ont dormi passé l’heure de départ.»

Jade Dussault, qui a cofondé Escale au Lac avec son conjoint, Anthony Roy Photo: Michel Dussault

Du cirque à la forêt

Québec a longtemps été le camp de base de ce couple issu de l’univers du cirque. Acrobate, la jeune femme a fondé Flip Fabrique il y a une douzaine d’années. Directeur technique, Anthony l’a rejointe dans ses aventures il y a plus d’une décennie.

Trente-quatre pays, une pandémie et deux enfants plus tard, Escale au Lac est né. «Nous souhaitions construire un chalet pour décrocher entre nos tournées, relate Jade. Nous voulions être au milieu de nulle part, mais que ce soit tout de même accessible. […] Nos critères étaient difficiles: un lac, une forêt, un grand espace pour éventuellement avoir des animaux… Quand nous sommes tombés sur ce site, nous nous sommes dit que ce serait égoïste de le garder pour nous.»

«Quand nous sommes tombés sur ce site, nous nous sommes dit que ce serait égoïste de le garder pour nous.» Photo: panoramax.portneuf

C’était en 2018. «Nous nous sommes alors demandé: “est-ce qu’on change toute notre vie?” Après nous être assis au bord du lac pendant cinq minutes, nous nous sommes regardés et nous avons su.»

La pandémie a accéléré ce qu’ils s’imaginaient mettre en branle une dizaine d’années plus tard. Il faut dire qu’au moment de monter dans le dernier avion à quitter Paris pour le Québec, le 20 mars 2020, ils n’avaient aucune idée qu’ils ne reprendraient pas le spectacle alors présenté dans la Ville Lumière...

Pour le moment, deux refuges pour deux personnes (avec salle de bain partagée) sont en location, en plus d’un loft avec un lit deux places, deux lits superposés, l’eau courante et une salle de bain privée. Le fait d’avoir dormi dans différents types d’hébergements, mais aussi d’avoir été témoin de tant de gaspillage dans le monde culturel, a convaincu le tandem de miser sur l’autonomie énergétique et des pratiques responsables tant d’un point de vue environnemental qu’humain. «La durabilité est dans notre ADN», répète Jade.

Le salon du loft. Photo: Marie-Julie Gagnon

L’autonomie énergétique présente tout de même quelques défis. Ainsi, le sauna et le spa qui devaient à l’origine être alimentés grâce à des panneaux solaires le sont plutôt par le bois, histoire de ne pas défigurer le paysage. «Il aurait fallu 21 panneaux solaires, sinon.»

Le spa, alimenté par le bois. Photo: Marie-Julie Gagnon

Au bord du lac

L’alerte ouaouaron retentit à nouveau. Tout autour du lac, des crapauds moins en voix lui répondent. Leurs sons me rappellent ceux d’une corde de guitare maladroitement tirée par un enfant trop brusque… Je ne parle pas crapaud, mais je n’ai pas l’impression qu’ils sont au diapason avec les oiseaux, qui continuent de pousser la chansonnette comme si de rien n’était.

D’ailleurs, elles m’ont toujours un peu agacée avec leurs prouesses vocales, les créatures ailées. Dans une chorale, la fausse note m’est toujours apparue plus émouvante que l’unisson ou un solo réussi. J’imagine un peu les oiseaux comme les beaux gosses arrogants des films pour ados et les amphibiens, comme les rebelles un peu punks… mais je m’égare (et j’ai clairement trop regardé Les contes de la forêt verte dans les années 1980).

Le lac a retrouvé sa noirceur. L’odeur de mousse se fait encore plus intense. Tiens, des patineuses. Elles glissent sur l’eau par mouvements saccadés, détonnant elles aussi avec la grâce des lieux.

Plouf! Une truite? Je me retourne toujours trop tard pour identifier la source des clapotis.

Alors que je me dis qu’il est temps de remonter au chalet, le ouaouaron-roi actionne à nouveau la pompe à sons étranges.

Oui, moi aussi j’aimerais bien rester, l’ami.

Pratico-pratique:

  • Escale au Lac est ouvert toute l’année.
  • Prix d’une nuitée en refuge: à partir de 165$.
  • L’expérience thermale (sauna et bain) est incluse dans le séjour. Il est possible de louer des peignoirs et des sandales (12,50$ + taxes).
  • Des embarcations (kayak, canot, planche à pagaie, quai flottant et pédalo) peuvent être louées pour 22,50$ par personne pour toute la durée du séjour.
  • Des repas peuvent être commandés concoctés par l’Épicerie L’ambroisie à l’avance par l’entremise du site Web (plus avantageux qu’arrêter à l’épicerie comme nous l’avons fait).
  • La réception est ouverte entre 10h et 16h.
  • En été, le taux d’occupation frôle les 90%.
  • En train, le trajet vers Rivière-à-Pierre dure plus de cinq heures depuis Montréal, mais les retards sont presque la norme. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui retardent la mise en marché des forfaits auxquels rêve Jade Dussault. «C’est une gare sans services. Il n’y a pas de réseau cellulaire dans le secteur ni de Wi-Fi à bord du train.» Voilà qui complique la coordination du transport pour la petite entreprise...