Haida Gwaii, l’intrigant archipel
Haida Gwaii. Un nom qui évoque le bout du monde. Pourtant, il n’est même pas nécessaire de dégainer son passeport pour accéder à l’archipel qu’on appelait autrefois «Îles de la Reine Charlotte». On s’y rend en deux heures de vol depuis Vancouver. Mieux vaut toutefois prendre le temps si l’on cherche à percer son mystère.
«Tu verras!» C’est la troisième fois qu’Aay Aay, mon interprète culturel, me lance cette phrase et je suis dans son coin de pays depuis moins de trois heures. J’ai devant moi quatre petites journées pour explorer des îles où tout incite à ralentir. Je me rends à l’évidence: ici, on se fiche bien des listes et des horaires. Le temps s’écoule sans égard aux sabliers. Tant pis pour les journalistes pressées!
J’oublie l’itinéraire prévu et décide de me laisser porter par la suite.
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«Notre terre». C’est ce que signifie le nom que s’est réapproprié la nation haïda en 2010, après avoir porté celui d’une reine anglaise depuis 1787. Ce désir d’être soi, on le constate partout. Les totems, interdits par les Anglais au XIXe siècle, tout comme la pratique du potlatch, forme d’échanges de dons, ont repoussé devant les maisons. C’est l’histoire des familles qui est ainsi gravée dans les immenses troncs.
Aay Aay m’emmène du côté de Cooper Bay, où seules quelques cabanes sont plantées çà et là au bord de l’eau. Il me raconte la légende de ces deux femmes aux pouvoirs surnaturels qui ont enseigné à son peuple comment pêcher. Quand je lui demande qui sont les habitants permanents de ce secteur isolé, il me répond simplement: «Certains n’ont pas envie d’être trouvés…»
Nous filons ensuite vers la Haida House, splendide petit hôtel en bois rond où je logerai pour les trois prochaines nuits.
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Les jours suivants, je découvre que l’art est partout à Haida Gwaii. «L’art fait tellement partie de notre vie que nous n’avions même pas de mot pour le définir», explique Aay Aay au petit groupe de touristes auquel je me suis jointe. Une visite au Haida Heritage Centre est nécessaire pour comprendre l’ampleur de cette affirmation. J’en apprends un peu plus sur les traditions haïdas, les différentes légendes, la fabrication des canots… Notre guide résume l’histoire des différentes familles racontée par les totems érigés tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.
Nous rendons aussi visite à quelques artistes, dont Jim Hart, qui était l’un des protégés de Bill Reid, artiste autochtone dont la réputation dépasse les frontières canadiennes. «Personne ne peut se mettre entre mon travail et moi, pas même une femme», lance-t-il après nous avoir raconté qu’il a dû, un jour, choisir entre son amour de la pêche et celui de la sculpture. À son tour mentor de jeunes artistes, il en accueille plusieurs dans son atelier.
Je m’approche de la seule femme en train de travailler le bois. Raven Leblanc a étudié à la Freda Diesing School of Northwest Coast Art de Terrace, en Colombie-Britannique. «Il y a de plus en plus de femmes sculptrices, me confie-t-elle. Quand l’école a ouvert ses portes, il y avait surtout des hommes, mais quand j’ai obtenu mon diplôme, il y a trois ans, nous étions majoritaires.»
Nous concluons la journée chez Keenawaii Olson, dont le nom haïda est Keenawaiis. Dans sa cuisine, la dame – certains prétendent qu’elle a plus de 80 ans, mais on lui en donne 20 de moins – concocte des plats traditionnels qu’elle partage avec une tablée de visiteurs d’un peu partout. Nous dégustons algues, saumon et autres spécialités locales dans sa salle à manger avec vue sur les corbeaux et les aigles qui planent au-dessus de l’eau.
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J’ai l’impression d’être à peine arrivée qu’il me faut repartir. Dehors, la pluie n’a pas cessé depuis deux jours. J’aurais aimé emprunter les sentiers de la réserve de parc national, réserve d’aire marine de conservation et site du patrimoine haïda Gwaii Haanas et poursuivre les discussions avec les artistes. J’aurais aimé mieux comprendre la culture, mais aussi cet environnement unique. J’aurais aimé étirer le temps et me foutre de tous les sabliers.
Surnommé la «Galapagos du nord», Haida Gwaii s’avère aussi fascinant d’un point de vue écologique. Épargné par la glaciation, l’archipel compte de nombreuses espèces uniques au monde, dont un ours noir plus gros que le Nord-Américain appelé taan. Les Haïdas vouent un profond respect à l’animal, refusant d’en faire la chasse. Une légende raconte même qu’il fait partie de leurs ancêtres…
Alors que je me dirige vers l’aéroport à bord d’un minibus, je pense à toutes ces légendes que je ne me lasse pas d’entendre. Où prennent-elles leurs sources? Comment peuvent-elles rester si vivantes à une époque où tout semble évanescent?
Le véhicule ralentit soudainement. «Un ours!» Je tourne la tête et j’aperçois l’animal qui traverse la route. J’y vois une invitation à revenir…
«Tu verras!»
Pratico-pratique:
- Haida House fait partie de Haida Enterprise Corp., qui appartient à la nation haïda et propose différents forfaits écotouristiques axés sur la culture et la nature à partir de 2155$ pour trois nuits, incluant le vol de Vancouver à Sandspit.
- Haida Enterprise Corp. a vu le jour afin de créer des emplois valorisants pour les citoyens haïdas et non haïdas vivant à Haida Gwaii.
- Les pêcheurs préfèrent quant à eux Ocean House, gîte flottant isolé accessible en hélicoptère.
- En 2020, la compagnie Outer Shores Expeditions offrira des croisières à Haida Gwaii.
- Pour en savoir plus, consultez les sites d’Autochtone Canada et de Go Haida Gwaii.
Merci à l’Association touristique autochtone du Canada (ATAC) et à Go Haida Gwaii pour l’aide à l’organisation de ce séjour.