Du FOMO au JOMO: on n’est pas obligé de tout voir
Je passe beaucoup (trop) de temps à regarder les stories Instagram d’amis et de voyageurs de tous horizons. J’adore voir le monde à travers d’autres yeux. Découvrir d’autres perceptions. Malgré tout, une chose me saute aux yeux depuis quelques mois: je ne ressens plus le besoin de tout voir. C’est grave, docteur?
Je l’admets, c’est facile à dire pour quelqu’un qui a la chance de voyager souvent. Mais au-delà du travail, j’ai longtemps souffert du FOMO – «Fear of missing out» ou la peur de manquer quelque chose. Aller à Paris sans tester la dernière pâtisserie tendance, boire un verre dans un bar chaudement recommandé ou visiter l’expo dont tout le monde parle? Impensable. Traverser la moitié de la planète et ne pas profiter de chaque seconde pour emmagasiner le maximum d’images, d’odeurs et de saveurs? Tout autant. Des copains font la fête sans moi dans un lieu improbable? Alors que j’oscillais avant entre le bonheur de les voir si heureux et la frustration d’être en train de manquer quelque chose d’important, je n’esquisse aujourd’hui qu’un sourire et passe à autre chose.
Le début de la sagesse? Non. Plutôt une folle envie de m’émanciper des «il faut» une bonne fois pour toutes. Les injonctions touristiques m’apparaissent plus que jamais comme des prisons. L’essence du voyage est pour moi l’inattendu. Le chemin de traverse découvert par hasard. La liberté de changer d’itinéraire parce qu’on a découvert un lieu intriguant au détour d’une discussion impromptue. Planifier un peu, d’accord. Mais m’imposer un horaire militaire sous prétexte que je ne reviendrai peut-être pas dans un coin de pays? Et si je passais à côté de l’essentiel en le cherchant dans des listes créées par d’autres?
Ne vous méprenez pas: j’adore voir des expos, m’intéresser à l’architecture des villes, aux coutumes locales et visiter certaines attractions. Mais ma définition d’une journée réussie n’implique pas d’être passée à travers une liste de choses à faire, surtout si elle est dictée par je-ne-sais-qui.
Depuis la pandémie, je constate que je suis peu à peu passée au JOMO – «Joy of missing out». Voir défiler des images à répétition ne m’excite plus: j’ai au contraire envie d’aller ailleurs ou carrément de rester tranquille à la maison. Regarder les stories des autres me suffit parfois. À quoi bon se ruer là où il y a foule? Pourquoi s’imposer des visites qu’on ne ferait même pas dans sa propre ville? Et surtout: pourquoi le «must» de quelqu’un serait-il forcément le mien?
«JOMO, c’est être capable d’être ici et maintenant, a dit Tali Gazit, professeur associé en sciences de l’information à l’université israélienne Bar-Ilan au Washington Post. Il faut pouvoir profiter de ce que l’on fait maintenant sans regarder à gauche et à droite et être jaloux ou anxieux de manquer quelque chose.»
Si mon amour du voyage provient de mon désir de «ressentir» les lieux que je visite, mon travail m’a souvent amenée à survoler plus qu’à approfondir. Plus que jamais, j’ai envie que mon «ici et maintenant», qu’il se trouve au Québec ou ailleurs, soit d’abord guidé par un désir qui vient de l’intérieur.
C’est ce que je me souhaite pour les prochaines décennies et vous souhaite aussi: aller plus loin, autant chez nous qu’au bout du monde. Ça ne crée pas toujours de belles stories Instagram, mais ça redonne un sens à nos déplacements.