Ferris Bueller, le meilleur ambassadeur de Chicago?
On ne peut jamais deviner l’impact qu’aura un film des décennies après sa sortie. Nombre de longs métrages tournés à Chicago dans les années 1980, dont Les Blues Brothers et Les incorruptibles, montrent différentes facettes de la ville, toujours bien identifiables aujourd’hui. Mais pour moi, aucun n’aura aussi bien «vendu» Chicago que La folle journée de Ferris Bueller, sorti en 1986. Avertissement: Cette chronique contient une bonne dose de nostalgie et dévoile mon côté légèrement obsessif quand il s’agit d’art, de cinéma et de voyage.
«Il y a plusieurs images de Chicago. C’est ma ville et je voulais la montrer sous son meilleur jour», a dit John Hugues dans les commentaires ajoutés en bonus dans le DVD sorti en 1999. C’est ce Chicago que j’ai voulu retrouver lors de ma récente visite de la ville. Un Chicago à la fois intemporel et nostalgique, avec des incontournables touristiques comme la Willis Tower et où l’art joue un rôle central.
C’est qui, Ferris Bueller?
Sorti en 1986, Ferris Bueller’s day off (le titre original) de John Hugues est l’un des films phares des ados de la génération X. On y fait la connaissance de Ferris (Matthew Broderick), l’ami qu’on aurait tous voulu avoir au secondaire. Toujours prêt pour l’aventure, il décide de faire l’école buissonnière. «How could I possibly be expected to handle high school on a day like this?» lance-t-il à la caméra, après avoir jeté un coup d’œil par la fenêtre de sa chambre.
Usant de mille et un stratagèmes, il fait croire à ses parents qu’il est malade et entraîne son meilleur ami, le dépressif Cameron (Alan Ruck, qu’on a redécouvert avec grand bonheur dans Succession), et son amoureuse, Sloane (Mia Sara, disparue du grand écran), dans une journée à travers Chicago. Mais sa sœur Jeanie (Jennifer Grey – qui était en couple avec Broderick à l’époque) et le directeur de l’école, Ed Rooney (Jeffrey Jones), ne sont pas dupes…
Comment un film pour adolescents dont le premier jet a été écrit en sept jours peut-il avoir eu un tel impact sur toute une génération? Justement parce qu’on y trouve ce qui a fait le succès du scénariste-réalisateur: une bonne dose d’émotions à travers l’humour. Beaucoup de vérités, aussi. Le fait qu’une grande partie des scènes aient été tournées en extérieur n’est certes pas étranger à son succès. En devenant le décor dans lequel évolue le personnage le plus sympathique de l’histoire du cinéma américain (bon, je m’emballe… vous ai-je dit que j’aurais aimé avoir Ferris comme ami?), Chicago apparaît comme une ville où il fait bon vivre. Oui, on est loin d’Al Capone!
Le Chicago de John Hugues
De passage à Chicago en janvier pour une seconde visite, j’ai voulu suivre les traces de Ferris et sa bande. Je ne soupçonnais pas à quel point je sortirais bouleversée par mes trouvailles. À la suite d’une promenade avec Dan Goldrosen, guide d’On Location Tours, entreprise très connue pour offrir des visites sur les lieux de tournage à New York qui propose des visites à Chicago depuis 2023, je me suis rendue à deux reprises à l’Art Institute of Chicago, où l’une des scènes les plus marquantes du film a été tournée, et j’ai poursuivi mes recherches pour tenter de comprendre pourquoi cette scène, plus précisément, a connu un tel impact.
«John Hugues avait l’habitude d’aller à l’Art Institute of Chicago quand il était adolescent, m’a raconté mon guide. Il connaissait toutes les toiles.» Je l’avoue: je n’avais pas réalisé la charge émotionnelle de cette scène avant de la décortiquer.
En tout, la séquence au musée dure un peu moins de deux minutes. On aperçoit les trois protagonistes près des lions du musée, à l’entrée principale, puis à l’intérieur, au son de Please, Please, Please Let Me Get What I Want de The Smiths reprise par le groupe The Dream Academy. Les images n’évoquent pas les vidéoclips et leur rythme saccadé. On a droit à des plans assez longs pour bien voir certaines œuvres, les favorites de John Hugues.
Quand le trio se joint à la ribambelle d’enfants, c’est l’émouvante Paris Street; Rainy Day de Gustave Caillebotte qu’on aperçoit derrière. Aujourd’hui, c’est la première toile qu’on voit en entrant dans la salle consacrée aux impressionnistes. L’application mobile du musée – qui ne parle pas de Ferris Bueller – l’a d’ailleurs incluse dans la visite des incontournables. «À cause de sa taille presque grandeur nature, c’est une toile dans laquelle on veut entrer, lance Gloria Groom, curatrice. On pense presque à un arrêt sur image dans une séquence de film, dans lequel les personnages sont figés.»
Pour admirer la mythique Nighthawks d’Edward Hopper, qu’on aperçoit ensuite dans Ferris Bueller’s Day Off, il faut non seulement changer de salle, mais aussi de pavillon. La toile représente quatre protagonistes silencieux dans un casse-croûte. «Nighthawks est vraiment une peinture fascinante, dit la curatrice Judith Berter. Son américanité se trouve dans tant de détails…»
S’enchaînent ensuite des œuvres de l’artiste d’origine russe Vasily Kandinsky, de Picasso, dont Nude under a Pine Tree et The Old Guitarist… Impossible de ne pas mentionner aussi la toile Equestrienne d’Henri de Toulouse-Lautrec, devant laquelle les trois amis posent à la manière du Portrait de Balzac d’Auguste Rodin vu dans l’image précédente.
Le moment le plus touchant reste pour moi quand Cameron fixe A Sunday on La Grande Jatte de George Seurat. On le voit seul, immobile, de dos, comme s’il s’apprêtait à pénétrer dans l’image. Plus la caméra s’approche de l’enfant qu’il fixe, moins on distingue ses traits. On ressent alors toute la détresse de Cameron. En alternant entre des images de Ferris et Sloane qui s’embrassent devant America Windows de Marc Chagall, le sentiment de solitude est encore plus marqué.
Dans l’épisode John Hughes Watches: Ferris Bueller's Day Off du balado The Side Track, on peut entendre les commentaires enregistrés par le réalisateur pour la sortie du film en DVD en 1999. Il dit à propos de Cameron: «Plus il regarde l’enfant de près, moins il le voit, bien sûr, avec ce style de peinture. Plus il le regarde, plus il n’y a… rien. Il craint que plus on le regarde, lui, plus on verra qu’il n’y a rien à voir. C’est lui.» Qui a dit que les films pour ados étaient superficiels?
Chicago et l’art public
Au fil de la balade avec On Location Tours, j’ai réalisé à quel point les multiples points de vue de la ville se sont insinués dans mon inconscient, au point de se mélanger à mes propres souvenirs. J’avais l’impression de reconnaître des coins de rue et des immeubles aperçus maintes fois au cinéma. Des œuvres d’art public, aussi, comme le Flamingo d’Alexander Calder et le Picasso sans nom de Daley Plaza, sur West Washington Street, m’étaient familières. Je n’ai pas pu m’empêcher de danser en chantant Twist and Shout, entonnée par Ferris lors d’une (véritable) parade dans le film, en descendant les escaliers de Chase Tower Plaza, près de la mosaïque The Four Seasons de Chagall.
Passer de l’écran au réel me fait chaque fois vivre une ville avec une intensité accrue.
Marcher sur les traces de Ferris et sa bande m’a ramenée à l’adolescence, à ses grandes joies comme à ses grandes peines. Parce que s’il y a une chose que le cinéma sait faire, c’est bien de fixer en nous des émotions intemporelles.
Pratico-pratique:
- La visite d’On Location Tour couvre plusieurs films. C’est un parcours à pied. On ne pénètre pas à l’intérieur du musée.
- Il y a une plaque au sommet de la Willis Tower (la Sears Tower, au moment du tournage) près de l’endroit où Ferris, Cameron et Sloane se collent le front à la vitre.
- Dans le cadre de ses visites, Dan Goldrosen fait référence à plusieurs films de gangsters, mais aussi à Batman et à différentes séries dérivées de superhéros. Aussi figurant, l’aspirant acteur ponctue sa visite de nombreuses anecdotes.
- Il existe bel et bien une visite guidée à l’intérieur du musée sur le thème de Ferris Bueller, mais elle a lieu seulement à certaines dates précises (les informations sont sur le site du musée).
- Les amateurs d’art public sont bien servis à Chicago. Choose Chicago recense les plus emblématiques sur son site, dont Moon, Sun, and One Star (Miss Chicago) de Joan Miró et Cloud Gate, mieux connue sous le nom de «The Bean», qu’on voit très peu en ce moment à cause des rénovations en cours au Millenium Park.
- L’école de Ferris Bueller est la même que celle d’un autre film culte de John Hugues, The Breakfast Club. On peut la voir dans la visite d’On Location Tour qui va jusqu’en banlieue.
- La séquence d’ouverture de Ferris Bueller’s Day Off a été filmée à Long Beach, en Californie, et non à Chicago, où se trouve la maison des Bueller.
- Je ne suis pas la seule à être obsédée par ce film. De nombreux blogueurs, dont Broken Girl Abroad, ont raconté avoir recréé la visite au musée, mais avoir eu du mal à y parvenir, puisque les œuvres ont changé d’emplacement depuis.
Message aux fans finis comme moi: J’ai été incapable de dénicher un t-shirt «Save Ferris» à Chicago, malgré des recherches approfondies. Le mieux est sans doute d’en commander en ligne, ou alors d’être à Chicago un 5 juin, décrété comme le «Ferris Bueller Day» par un statisticien du sport qui a retracé la date du match qu’on voit dans le film.
Ce voyage a été réalisé grâce à Choose Chicago, qui n'a eu aucun droit de regard sur ce texte.