Être en train: récits sur les rails, David Médioni
Parmi les choses qui m’ont le plus manqué depuis le début de la pandémie, il y a les déplacements en train, au Canada comme à l’étranger. J’étais déjà conquise avant même de plonger dans les récits sur rails du Français David Médioni, qui m’ont permis «d’être en train» dans une période où je contemplais surtout les paysages de Netflix.
C’est une discussion avec ses enfants qui a rappelé à l’auteur le plaisir d’observer la vie à bord. Le pétillement dans leurs yeux à l’évocation des voyages en train l’accompagnera pendant une année entière, où il notera ses impressions lors de ses fréquents déplacements par les rails.
«En observant attentivement et en écoutant ce qui se passe dans une rame de train, qu’elle soit de TGV ou de train Intercités, on se plonge dans un moment de vie. Les tics et les habitudes des autres apparaissent de manière plus ou moins prononcée selon que le trajet est long ou court. À force de voyager en train, on remarque également que les personnes sont différentes, mais que les habitudes sont similaires. Pas de doute, nous sommes tous et toutes des frères et sœurs humains.»
Suivront une série d’instantanés du train publiés sur son compte Instagram dont le succès l’étonne. Selon lui, de tous les moyens de transport, «seul le train permet d’être soi-même». «Dans ce moment de suspension du temps dans un espace clos, soit les masques tombent pour laisser place à une forme d’authenticité, soit ils ne veulent pas disparaître. Au contraire. Ils demeurent et deviennent des caricatures qui, elles aussi, nous racontent.»
Selon le moment de la journée, il constate des récurrences. Le roulis qui berce les voyageurs à demi réveillés dans les trains du matin et les autres, plus alertes, déjà plongés dans le travail. Le pas pressé des passagers l’après-midi, qui courent pour ne pas rater le train ou une réunion. Et puis, une fois que chacun a rejoint son siège et rangé ses affaires, le silence qui s’installe. «En fait, écrit David Médioni, voyager en train, même dans les TGV ultra-rapides, c’est s’accorder un temps de pause. Un temps dans un espace confiné qui, en se laissant porter par le roulis, invite à une forme de méditation.»
Certains déplient un journal ou dégainent un magazine. Certains clichés s’imposent: la lectrice du Figaro et son sac Louis Vuitton, celle de Libération avec un tote bag en toile, l’air studieux du lecteur du Monde, l’entrepreneur de start-up et ses deux téléphones, deux ordis et un numéro de Wired…
Toute une galerie de personnages prend place dans les wagons au fil des pages. Il y a le hipster méthodique qui s’assure de ne manquer de rien, allant jusqu’à déposer cinq livres sur sa table pour un trajet Paris-Lille, l’homme tiré à quatre épingles qui semble sortir d’un épisode de Mad Men, le passager qui écoute Dispacito, le fumeur qui entre en trombe dans le wagon, suivi par l’odeur de tabac tiède, les gens qui parlent trop fort au téléphone… L’Europe s’entend parfois comme dans un film de Klapisch, avec ses langues et ses accents. Chacun peut être n’importe qui, criminel ou héros. Nous faisons partie du voyage des autres et vice-versa. Nos voisins nous renvoient le reflet de nos propres habitudes.
Au-delà des descriptions, c’est surtout dans les multiples réflexions qui surgissent au détour des rencontres que se trouve l’intérêt d’Être en train. On en retient les cancans des mémés en cavale, l’écho d’un groupe de scouts, les échanges furtifs entre étrangers qui semblent aux antipodes, la langueur des trains de nuit... Des bouts de vie attrapés ici et là.
À la fois transporté dans les lieux décrits et dans la tête de l’auteur, on se rappelle ce bon vieux cliché toujours si juste: ce n’est pas la destination qui compte, mais le voyage.
Être en train: récits sur les rails, David Médioni, Éditions de l’Aube, 2020, 180 pages