Surprenante Budapest
On ne comprend pas toujours pourquoi on tombe amoureux. Peut-être à cause d’une jolie façade. De l’aura de mystère qui l’entoure. De l’effet de surprise. On part en balade; on se retrouve les yeux écarquillés, prêt à tout pour prolonger l’instant. Plus on s’approche, plus la jolie façade révèle sa complexité. La curiosité se transforme en fascination. Et les papillons prennent leur envol. C’est ce qui m’est arrivé à Budapest.
On m’avait dit du bien de cette ville riche de plus de 1000 ans d’histoire, mais jamais je n’aurais pu soupçonner le ravissement que je ressentirais en arpentant ses rues piétonnières, en pénétrant dans ses cafés opulents et en l’explorant sous différents angles. «Budapest a été très riche, très belle, cosmopolite et prospère, et puis la fête s’est arrêtée pour laisser les diables de l’Histoire semer la terreur, écrit Le Routard. Blessée par les guerres, meurtrie par le nazisme, appauvrie par le communisme, lequel s'est acharné à tuer son âme, la grande dame a retrouvé son lustre à la faveur de son entrée dans l’Union européenne.»
Les bâtiments de style Sécession redéploient aujourd’hui leur splendeur. On s’émerveille de la rénovation d’une maison et on remarque, la seconde d’après, les cicatrices de la guerre sur celle d’à côté. De nombreux édifices laissés à l’abandon piquent aussi la curiosité. Que peut-il bien se cacher derrière leurs portes closes?
Des murs qui parlent
Tout, à Budapest, semble porter de multiples histoires, certaines superposées, d’autres enchevêtrées. Ce qu’on a sous les yeux n’est jamais «que ça». Comme cette drôle de bouche d’aération que j’apercevais de la fenêtre de ma chambre de l’hôtel Iberostar Grand Hotel Budapest, qui s’est avérée être l’entrée d’un bunker construit pour Mátyás Rákosi en cas d’attaque nucléaire pendant la Guerre froide («Bien des gens à Budapest ne le savent même pas, m’a raconté mon guide, Zsilt «Joel» Budai. Même ceux qui l’ont construit n’étaient pas au courant : les travaux se sont déroulés en même temps que ceux du métro»).
Comme la Mai Manó House, maison de la photographie construite en 1894, qui a servi de studio pendant quatre décennies avant d’être transformée en boîte de nuit de 1931 à 1944 (le légendaire Arizona), puis en appartements, avant de redevenir un lieu consacré à l’art. On raconte que tout le gratin artistique s’y retrouvait pendant les années folles, notamment Henry Miller.
Comme ce café qui se trouve dans une ancienne salle de bal, sur la chic rue Andressy, que plusieurs surnomment «les Champs-Élysée de Budapest» (d’ailleurs, il faut que je vous le dise : il m’agace, ce surnom de «Paris de l’Est» dont est affublé Budapest. La ville a son identité propre et une atmosphère unique malgré ses affinités avec la Ville Lumière!). «C’était le grand magasin parisien», m’explique Joël.
Párizsi Nagy Áruház – le centre commercial en question - a ouvert ses portes en 1910. Les pâtisseries goûtées me décevront, mais je me délecterai de chaque détail qui m’entoure. Alors que la façade de la bâtisse est un exemple d’Art nouveau, le café évoque plutôt la Renaissance. Les fresques du plafond ont été peintes par Károly Lotz, dont on peut aussi admirer les œuvres dans les salles du parlement et sur le plafond de l’opéra de Budapest.
Juste à côté, sur le toit, le très branché 360 bar me plonge dans un tout autre monde. Ici, la clientèle semble composée principalement de jeunes privilégiés. C’est, du moins, ce que les prix me portent à croire… La vue imprenable donne envie de se prélasser de longues heures sur cette splendide terrasse, sans doute l’une des plus invitantes de la ville. J’en profite pour trouver quelques points de repère, dont le Château, où se trouve la Galerie nationale, visitée la veille juste avant d’aller mariner dans les bains Szechenyi, les plus grands d’Europe (une très mauvaise idée en pleine canicule – ils étaient bondés!).
Budapest est en fait le mariage de deux villes : Buda et Pest. D’un côté du Danube, Buda la sage, et de l’autre, Pest, plus canaille. Je prendrai plaisir à explorer les deux, selon mon état d’esprit du moment.
La fête d’abord
Je pénètre ensuite dans mon premier romkocsmáks ou romkert qu’on traduit par «bar de ruine», Instant. Je sais, au moment où je franchis la porte, que la plupart des attractions touristiques qui se trouvent sur ma liste de choses à visiter ne seront pas cochées ce voyage-ci. Il me faut «vivre» ces pubs de ruines à la créativité bouillonnante, qui se trouvent dans des lieux abandonnés. M’étourdir à satiété dans ces terrains de jeux pour adultes. Grâce à mon guide, j’effectue une petite tournée de ces lieux nés après le changement de régime en 1989.
Instant est gi-gan-tes-que («le plus grand», selon son site Web). En plein après-midi, seules quelques salles sont accessibles. Au total, 26 pièces aux atmosphères éclectiques accueillent les fêtards en soirée, dont sept bars, deux jardins et sept scènes. Oui, des concerts sont aussi présentés dans les bars de ruines.
Le premier établissement du genre à avoir vu le jour, Szimpla Kert, reste le plus populaire. Le dimanche, il se transforme même en marcher fermier! Sa déco recyclée, son côté bric-à-brac, ses couleurs éclatantes et ses graffitis ont fait école. Bien entendu, les touristes ont pris possession des lieux depuis belle lurette. Qu’à cela ne tienne : les pubs du genre pullulent. «Certains ne restent ouverts que quelques mois», m’apprend Joel. À deux pas, on trouve aussi Karavan, lieu de rencontre des adeptes de cuisine de rue.
Aujourd’hui, même les nouveaux bars et restaurants «ordinaires» sont influencés par la tendance des bars de ruine. En pénétrant dans le magnifique restaurant israélien Mazel Tov, je pose la question à la serveuse. Est-ce un bar de ruine, comme le clame ce site Internet? «Pas vraiment, dit-elle. Certains disent que oui, mais ce n’en est pas un.» Pas toujours évident de faire la différence pour les non-initiés.
Un coup de cœur : Anker’t, près de l’opéra. «Anker, c’est le nom de la rue, mais en ajoutant le «t», cela veut dire «mon jardin», m’explique Joël.
Je me souviens
En me baladant d’un pub de ruines à l’autre, des tas d’images s’entrechoquent. Les bars alternatifs des années 1990 et 2000 de Montréal et San Francisco. La tendance urbex («exploration urbaine»), visite de lieux abandonnés déjà populaire il y a une vingtaine d’années et qui n’a cessé de gagner des adeptes depuis. Les cirques d’une autre époque, qu’évoquent certaines enseignes.
L’ambiance éclatée contraste avec certaines bâtisses, liées à une période plus terne. L’excès pourrait rappeler ces vieilles femmes trop fardées qui tentent de cacher les sillons de leur mélancolie. J’ai plutôt l’impression de me trouver face à l’adolescent avide de nouvelles sensations qui aurait eu de multiples vies, façon jeu vidéo.
Ici, on ne maquille pas pour camoufler: on se sert plutôt de ce qui est pour créer ce qui sera. On a envie de jouer, mais on ne fait pas semblant. On s’éclate, mais on n’oublie pas.
Ce sont, du moins, les impressions que je rapporte, pêle-mêle, de ce séjour éclair dans cette ville qui mérite qu’on s’y attarde beaucoup plus longtemps. Ça, et une envie folle de célébrer la vie.
En vrac:
• Une visite guidée de la ville en début de voyage permet d’avoir quelques repères pour explorer ensuite. Excellente expérience avec Budapest Underguide, qui propose notamment des visites axées sur les bars de ruines (pas faciles à trouver pour les néophytes). Il existe aussi des visites guidées gratuites. C’est le cas de celle-ci, notamment (pas testée par l’auteure de ces lignes).
• On dénombre 123 sources naturelles sous la ville. L’expérience des bains fait partie des classiques. «Les Turcs ont occupé le pays pendant 150 ans, dit Joel, mon guide. Ils nous ont laissé trois belles choses : la culture des bains, les cafés et les roses.» J’ai personnellement préféré les bains Gellért, véritables bijoux Art déco visités très tôt le matin, à ceux de Széchenyi, où je me suis rendue en fin d’après-midi par une journée de canicule. Il en existe bien sûr plusieurs autres.
• Le monument de l’artiste Gyula Pauer, au bord du Danube, à deux pas du Parlement, porte au recueillement. Côte à côte, une soixantaine de paires de chaussures de métal rappellent depuis 2005 que pendant la Shoah, au même endroit, des Juifs de tous âges étaient fusillés avant de sombrer dans le fleuve. Des grandes, des petites, à talons hauts ou à la semelle fatiguée… Impossible de rester de glace. Notez qu’il est aussi possible de faire des visites guidées du quartier juif.
• Le New York Café de l’hôtel Boscolo est, à mon avis, à la hauteur de sa réputation. Splendide, peu importe où on regarde!
• Le Bastion des pêcheurs, à côté de la spectaculaire église Mathias, m’apparaît incontournable pour la vue imprenable. La terrasse du restaurant Halászbástya Étterem («Bastion des pêcheurs» en hongrois) permet d’admirer Pest dans toute sa splendeur. Par temps très chaud, on préfère toutefois l’intérieur, tout aussi invitant (et on y mange très bien).
• Vous verrez des statues partout à Budapest. Après 1989, tous les symboles du communisme ont été démantelés. Si le cœur vous en dit, sachez qu’il existe un parc rassemblant toutes les statues de l’époque, disposées avec beaucoup d’humour. Portez aussi attention aux différentes statues qu’on croise un peu partout dans la ville. La toute première statue non communiste est La Petite Princesse, assise sur la clôture du tramway, près du Danube.
• Rare symbole communiste à avoir survécu au changement de régime, la statue de la Liberté se trouve sur le mont Gellért. La vue, de là-haut, vaut franchement la montée (même en pleine canicule). On peut aussi en profiter pour visiter la citadelle.
• Prenez le temps de bien choisir votre croisière. J’ai personnellement détesté celle de fin de soirée réservée sur un coup de tête, où l’on entasse les touristes comme du bétail (sans parler de l’horrible buffet). En contrepartie, la balade en speed boat avec Dunarama - ridiculement chère : environ 120$ pour 30 minutes! – a constitué l’un des moments forts de mon séjour.
• On trouve de l’excellent vin en Hongrie (notamment le Juhfark, cépage typiquement hongrois). Suggestion de bar de Joel pour en déguster : Doblo.
• Ici aussi, la cuisine de rue a la cote. Outre les camions rassemblés dans l’espace Karavan, j’ai beaucoup aimé les sandwichs à la viande de Meat & Sauce, qui a pignon sur rue en plus d’avoir un camion.
• Tout le monde vous parlera de Gerbeaud, réputé pour ses pâtisseries et ses chocolats. Mon conseil : oui pour le (magnifique) lieu et pour un dessert (hors de prix), mais oubliez l’idée d’y luncher. Cher et plutôt décevant (du moins, pour le prix). J’avoue que cette vidéo donne malgré tout envie de s’y ruer.
• Pour les amateurs de musique : le Sziget Festival, qui a lieu chaque année en août, est un incontournable.
• Clin d’œil amusant : un bâtiment de Gustave Eiffel abrite aujourd’hui… un McDo.
• À la librairie Alexandra, on peut acheter des livres, mais aussi des bouteilles de vin!
• Le coût de la vie à Budapest est l’un des plus bas d’Europe.
• Le guide Budapest en quelques jours de Lonely Planet a été le compagnon parfait de ce court séjour. On y trouve un bon résumé des principales attractions. N’hésitez pas à poser des questions aux gens sur place et à compléter par des recherches sur Internet!
Merci à l’équipe du fantastique hôtel Iberostar Grand Budapest pour leur accueil exceptionnel, à Air Transat, qui offre des vols directs vers Budapest depuis cet été, à Dunarama pour la spectaculaire balade sur le Danube et à Budapest Underguide, qui offre des visites guidées sous différentes thématiques (en plusieurs langues, dont le français).