Chiffrement des téléphones: entre vie privée et sécurité

Est-ce que la police ou les gouvernements devraient pouvoir avoir accès aux données enregistrées sur votre téléphone intelligent? Et si oui, à quel prix? Voici tout ce qu’il faut savoir sur l'épineuse question du chiffrement des téléphones, qui est revenue en force dans l’actualité techno au cours des dernières semaines.



 

Qu’est-ce que le chiffrement des téléphones?

La plupart des téléphones intelligents sont depuis quelques temps pourvus d’une fonctionnalité qui permet de les chiffrer, c’est-à-dire de les protéger par un mot de passe et de rendre leur contenu inintelligible pour quiconque ne possède pas ce mot de passe.

Pour ceux qui possèdent un iPhone, cette fonctionnalité est activée par défaut dès qu’ils protègent leur appareil d’un code, et ceux qui possèdent un téléphone Android récent peuvent l’activer eux-mêmes dans leurs paramètres.

Chiffrer son téléphone intelligent a de nombreux avantages pour les utilisateurs. Ces appareils contiennent pratiquement toutes nos données les plus importantes, et cette mesure de protection empêche par exemple un voleur d’accéder à nos informations personnelles afin d’effectuer par la suite une fraude ou un vol d’identité.

Certains veulent affaiblir cette protection

Le chiffrement des téléphones est toutefois à ce point puissant qu’il n’empêche pas que les voleurs d’accéder aux données sur un appareil. Il bloque aussi les gouvernements, les fabricants et les corps policiers.

Si un enquêteur obtient un mandat de perquisition pour accéder aux données enregistrées sur un téléphone, personne à l’heure actuelle ne peut lui permettre de déchiffrer l’appareil.

L’identité d’un terroriste est cachée sur un téléphone chiffré? L’adresse d’un distributeur de pornographie infantile? Peu importe l’importance des données qui s’y trouvent, le téléphone est impénétrable.

En août dernier, le bureau du procureur du district de Manhattan avait d’ailleurs en sa possession 101 iPhone reliés à des enquêtes auxquels ils ne pouvaient accéder.

C’est pour cette raison que de nombreuses voix se sont élevées contre le chiffrement au cours des derniers mois, et encore plus au cours des dernières semaines, depuis les attentats de Paris.

Un projet de loi britannique pourrait par exemple empêcher la vente d’appareils dotés d’un système de chiffrement impénétrable, et plusieurs procureurs importants ont demandé cet été que les entreprises comme Google et Apple ajoutent une porte dérobée à leurs systèmes, pour leur permettre de déverrouiller un téléphone bloqué.

Les dangers d’une telle porte d’accès

L’ajout d’une porte dérobée peut sembler une requête raisonnable. Personne ne souhaite particulièrement protéger les terroristes, et l’accès à cette porte pourrait être protégé par les mêmes droits qui empêchent les policiers de faire des fouilles sans mandat de perquisition.

Les défenseurs des libertés numériques se sont toutefois levés contre une telle possibilité, tout comme des journalistes et les patrons des grandes compagnies technos.

Pourquoi? Tim Cook, le PDG d’Apple, résume la question en expliquant qu’«il est impossible d’avoir une porte dérobée qui n’est que pour les bons».

En gros, si une telle porte est créée, celle-ci pourrait éventuellement être utilisée par les pirates, par exemple, mais aussi par les autres gouvernements. Un gouvernement autoritaire pourrait même légalement demander accès à cette porte, et s’en servir contre les franges dissidentes de sa population.

Les experts semblent s’entendre sur les risques d’un tel adoucissement des protocoles de sécurité actuels. En juillet, 15 experts du Massachussetts Institute of Technology ont notamment affirmé que de telles demandes devraient provoquer «des risques de sécurité substantiels, des coûts en ingénierie et des dommages collatéraux».

Et comme l’explique le journaliste Walt Mossberg du site spécialisé The Verge, rien n’indique que les téléphones des terroristes de Paris étaient chiffrés de toute façon. Et même s’ils l’avaient été, et qu’une porte dérobée avait existée, ils auraient pu chiffrer leurs communications et se protéger ainsi des services d’espionnage.

Un argument qui ne tient évidemment pas la route quand on tient compte des 101 iPhone chiffrés qui bloquent les enquêtes du procureur du district de Manhattan, mais qui rappelle quand même qu’une porte dérobée pourrait nuire aux utilisateurs partout dans le monde, tout en ayant un impact positif plus limité que certains pourraient le croire.

Voilà donc une situation franchement complexe, qui fera certainement encore couler beaucoup d’encre au cours des prochaines années.