20 août 2024Auteure : Emilie Laperrière

Pour des villes résilientes à l’eau

Pluies fortes, inondations, précipitations plus fréquentes: la gestion des eaux représente tout un casse-tête pour les villes, en particulier dans le contexte des changements climatiques. Comment peut-on s’adapter à cette nouvelle réalité? Pistes de réflexion et solutions d’ici et d’ailleurs.



Des vagues de chaleur aux cyclones, en passant par les feux de forêt, les villes d’aujourd’hui doivent jongler avec des événements météorologiques qui deviennent de plus en plus intenses et imprévisibles.

Comme on l’a vu dans les dernières semaines avec les pluies diluviennes, le Québec n’est pas épargné par le phénomène. Le réseau des grandes villes C40 estime d’ailleurs que les cités connaîtront des inondations de 10,5 millions de mètres cubes par année d’ici 2050, ce qui équivaut à quatre fois et demie le volume de la Grande Pyramide de Gizeh.

Les villes ne sont pas totalement démunies pour autant. Des solutions existent déjà pour y faire face. En voici quelques-unes.

Pavés climatiques

Le Danemark, souvent à l’avant-garde du design, a récidivé en 2018 avec la création de pavés climatiques. C’est l’architecte Flemming Rafn Thomsen, cofondateur de l’agence Tredje Natur, qui en a eu l’idée.

Conçues pour être utilisées le long ou à la place des trottoirs existants, les dalles sont parsemées de trous, de tunnels et de crêtes. Ces tuiles collectent et gèrent l’eau de pluie, la canalisant loin des trottoirs vers une autre utilisation, comme l’irrigation des plantes voisines. Elles permettent surtout d’alléger la pression sur le réseau d’égouts en cas de pluies abondantes.

Le premier projet pilote a été inauguré en 2018. Selon l’architecte, ces dalles ont beaucoup à offrir. En plus de protéger contre les inondations, elles offrent l’occasion de végétaliser cette jungle de béton qu’est la ville et d’augmenter l’attractivité d’un quartier.

Les dalles parsemées de trous, de tunnels et de crêtes. Photo: gracieuseté Tredje Natur

Parcs éponges

Plutôt que de jeter l’éponge, pourquoi ne pas s’en inspirer? C’est ce que certaines villes ont fait en se tournant vers les parcs éponges.

À première vue, un parc éponge ressemble à n’importe quel autre parc, à une différence près: il est aménagé à un niveau plus bas que les rues qui l’entourent. En cas d’orages violents ou de fortes pluies, toute l’eau des rues avoisinantes peut ainsi y être redirigée. Quand le beau temps revient, l’eau est relâchée dans le réseau d’égouts rapidement et le parc reprend ses fonctions habituelles.

Montréal en compte sept pour l’instant et l’initiative semble porter ses fruits. Selon la Ville, les parcs éponges ont permis la rétention d’environ 1 870 000 litres d’eau lors des pluies torrentielles du 9 août dernier, soit un peu moins qu’une piscine olympique. Ces infrastructures se multiplieront un peu partout sur l’île, puisque Montréal prévoit aménager 30 parcs et 400 trottoirs éponges – qui sont en fait des saillies de trottoir – sur son territoire d’ici 2025.

Si elle se présente comme une cheffe de file dans le domaine, la métropole n’est pas la seule à aménager de telles éponges. Plusieurs grandes agglomérations en Chine ont notamment implanté ce concept au cours des dix dernières années.

Le parc Pierre-Dansereau est l'un des sept parcs éponges de la ville de Montréal Photo: Facebook Ville de Montréal

Les leçons de Rotterdam

La ville de Rotterdam, aux Pays-Bas, est particulièrement vulnérable aux aléas du climat, près de 80% de la métropole étant situé sous le niveau de la mer.

La municipalité a donc mis en place une série de mesures pour gérer ses eaux. L’installation de places d’eau et de bassins souterrains, l’enlèvement des pavés de même que les parcs sur les toits ou les toits verts contribuent à améliorer sa résilience.

Water Square, en bordure du centre-ville, est sans doute le projet phare de la ville en la matière. Conçu par le designer urbain Dirk van Peijpe, il comprend trois agoras qui servent à la fois d’espace public et de bassins de rétention lors de fortes pluies. Ces trois bassins peuvent retenir près de deux millions de litres d’eau. Comme dans un parc éponge, l’eau est renvoyée dans les égouts quand le calme revient. D’autres squares semblables parsèment la ville.

Le port, de son côté, est protégé par deux bras géants articulés, pensés pour se fermer en cas d’événement pouvant conduire à une inondation. Le Maeslantkering (le nom de l’infrastructure) est piloté automatiquement par un ordinateur et peut se fermer en deux heures.

Le Water Square, en bordure du centre-ville de Rotterdam, comprend trois agoras qui servent à la fois d’espace public et de bassins de rétention lors de fortes pluies. Photo: Wikimedia

Vivre avec l’eau

La commune de Romorantin-Lanthenay n’est peut-être pas la plus connue de France, mais elle pourrait en inspirer plus d’une en ce qui concentre la gestion des crues.

Sa capacité à résister aux inondations, la ville la doit à l’architecte Éric Daniel-Lacombe. Celui-ci a réfléchi autrement à la question. Plutôt que d’empêcher l’eau de passer, à l’aide d’une digue par exemple, il l’a laissée venir.

Dans le quartier Matra, situé en pleine zone inondable, les résidents habitent dans des maisons dont la forme rappelle celle des bateaux. Elles sont construites sur des pilotis de 1,50 m. De longs espaces de stationnement inondables forment devant un canal de rétention. Des trottoirs et des passages surélevés permettent aux habitants de sortir de chez eux, même quand il y a beaucoup d’eau.

Résultat: le quartier a résisté à des inondations sans précédent en 2016, alors que la rivière Sauldre est montée à 1,45 m. L’eau est restée vingt-quatre heures, puis s’est retirée, sans causer de dégâts.

En entrevue, l’architecte a expliqué qu’on doit apprendre à vivre avec ces phénomènes. «[…] Dans les années à venir, il va falloir être capable d’appréhender les aléas climatiques, de se mettre à l’abri et de vivre avec les bouleversements de la nature. Je crois en une architecture qui engage une convivialité avec la nature.»