13 mars 2016Auteure : Emilie Laperrière

Le DIX30 et l’architecture éphémère

À peine 10 ans après son ouverture, le DIX30 fait table rase. Une partie du méga centre commercial sera démolie avant la fin de l’année. Avenues a fait le tour du web pour bien comprendre la question.



La Presse nous apprenait le 27 février dernier qu’une quinzaine de commerces du DIX30 seront détruits avant la fin de 2016 afin d’améliorer sa part de marché, sa densité et l’expérience des consommateurs. Un pâté complet de commerces situé au sud de l’avenue des Lumières, où on retrouve notamment Aldo, Browns et Dynamite, serait ainsi rasé. Les trois restaurants à l'angle des boulevards Leduc et du Quartier seraient également démolis.

Si certains de ces magasins changeront d’adresse, d’autres risquent de tout simplement disparaître.

Selon les informations obtenues par La Presse, les commerces démolis seraient remplacés par des «espaces conçus pour de grands magasins». Les propriétaires, Oxford et Carbonleo, seraient entre autres en discussion avec Saks, Nordstrom et La Baie. Le terrain laissé vacant par les restaurants serait de son côté transformé en stationnement. Un stationnement souterrain serait aussi ajouté.

L’occasion est belle pour les deux propriétaires du gigantesque centre commercial, puisque les baux de nombreux magasins viendront à échéance cet automne après 10 ans.

«On démolit pour reconstruire», a confirmé Michel Brouillard, vice-président responsable de la location chez Oxford, en entrevue avec le quotidien montréalais.

Le piège de la nouveauté

Appelé à commenter la nouvelle à l’émission Gravel le matin, Gérard Beaudet, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal, expliquait pour sa part que les effets de mode sont extrêmement puissants. Dans certains secteurs, comme le commerce au détail, la nouveauté s’impose. Le spécialiste croit que l’absence de nouveauté comporte d’ailleurs un sérieux risque de baisse de la fréquentation.

Ce dernier rappelle que rien au DIX30 n’a été conçu pour durer. Les matériaux paraissent nobles, mais ne le sont pas. Il souligne toutefois que le fait qu’on «puisse sacrifier des immeubles moins de 10 ans après leur construction montre bien qu’on est dans un registre de surconsommation avec des perspectives à très courte vue».

Ce brassage de cartes a aussi fait bondir Mathieu Bock-Côté dans le Journal de Montréal. Le chroniqueur bien connu se désole, en exagérant un brin, qu’on ne construise plus rien pour l’avenir. «C’est le culte de l’éphémère, du jetable et du friable», écrivait-il le 1er mars.

Sans surprise, le dossier a également fait réagir l’architecte et chroniqueur Marc-André Carignan. Dans sa chronique au 15-18, il soutient qu’il s’agit ici de développement jetable, alors même que le développement durable est sur toutes les lèvres. Même s’il convient que les commerces doivent faire face à de nombreux défis, il déplore que le site, d’un point de vue urbanistique, n’ait jamais été adapté aux réalités de l’époque. Le DIX30 a selon lui été construit sur un ancien modèle, où la voiture est reine.

Un bâtiment, combien de vies?

Loin, très loin de cette architecture jetable, on retrouve l’exposition Un bâtiment, combien de vies?, que l’on pouvait visiter à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine jusqu’en septembre dernier.

À travers huit thèmes, allant de l’héritage du béton à la reconquête du banal, l’institution parisienne proposait en effet plus de 70 exemples de bâtiments existants, en France et ailleurs, qui ont été recyclés ou réhabilités. Ces édifices qui ont bénéficié d’une deuxième ou même d’une troisième vie démontrent que l’on peut créer sans repartir à zéro.

Si on a récemment réinventé Paris, ne pourrait-on pas faire la même chose ici? Les architectes pourraient par exemple redonner un second souffle à plusieurs bâtiments de la métropole, du silo no 5 aux hôpitaux du CHUM qui seront désertés lorsque le nouveau sera complété. Même chose pour les immeubles délaissés et en manque d’amour un peu partout dans la province.

À cette époque où les questions d’environnement et de développement durable sont désormais incontournables, l’architecture jetable a-t-elle encore sa place? La question, à tout le moins, mérite d’être posée.