À la défense du brutalisme
Si l’on dressait un palmarès des courants architecturaux, le brutalisme se classerait sûrement bon dernier. Le mouvement, qui préconise les formes géométriques anguleuses et les matériaux bruts, est le mal-aimé de l’architecture. Envers et contre tous, le brutalisme fait néanmoins son retour.
Le brutalisme est né dans l’Europe d’après-guerre, à l’initiative des architectes britanniques Alison et Peter Smithson, qui ont tracé les grandes lignes du mouvement. Le terme fait référence à la Cité radieuse de Marseille, construite toute en béton brut par Le Corbusier. Celui-ci devait répondre aux problèmes sociaux de l’époque et se voulait honnête, direct et moderne.
Les bâtiments issus du style brutaliste sont solides, gigantesques et, à l’instar de celui de Le Corbusier, généralement en béton.
Une inspiration dans plusieurs domaines
L’architecture brutaliste a été populaire dans les années 1950 à 1970, avant de sombrer dans la disgrâce. Aujourd’hui, des sites web, des blogues Tumblr (comme F*** Yeah Brutalism), des architectes et même des tours guidés se dévouent à sa réhabilitation. Le brutalisme inspire aussi les cinéastes, les photographes et les designers.
On retrouve en effet cette tendance dans plusieurs films récents. Le dernier volet de la saga Hunger Games (La Révolte) a, par exemple, été tourné dans la Cité du Parc à Ivry, en banlieue parisienne. On pourrait aussi avancer que le personnage principal du film High-Rise, sorti plus tôt cette année, est un gratte-ciel de béton dans le plus pur style brutaliste.
Le mouvement architectural se faufile également dans la haute couture. Louis Vuitton avait misé sur un décor futuriste en béton brut pour faire défiler ses mannequins l’an dernier à Palm Springs.
Le photographe Laurent Kronental s’est intéressé au style architectural d’un autre temps avec son projet «Souvenirs d’un futur». Il a passé des années à photographier les immenses tours des banlieues parisiennes, et a réussi au passage à démontrer la splendeur du béton. Dans sa série, il fait par ailleurs la part belle aux résidents qui y ont vécu toute leur vie, et qui sont très attachés à leur immeuble.
Ce monde brutal
Signe d’une certaine résurgence du brutalisme, deux livres encore tout chauds s’y consacrent. Peter Chadwick a publié en mai dernier aux éditions Phaidon This Brutal World, un livre magnifique de 224 pages contenant plus de 600 images. Le bouquin rassemble des bâtiments brutalistes de plus de 60 pays. Les photos, uniquement en noir et blanc, laissent toute la place à la forme.
En plus d’illustrer la beauté des immeubles réalisés au temps fort du mouvement, l’auteur met en valeur les architectes du brutalisme nouveau, ceux qui ont été inspirés par ses lignes nettes. On retrouve notamment Zaha Hadid, dont on a déjà parlé quelques fois sur Avenues.ca, et son bâtiment Pierresvives, réalisé en 2012 à Montpellier. Le complexe De Rotterdam, conçu par OMA en 2013, est là aussi.
Nicolas Grospierre nous arrive pour sa part avec Modern Forms: A Subjective Atlas of 20th-century Architecture. Le photographe suisse a passé les 15 dernières années à documenter l’architecture moderniste sur cinq continents. Dans son livre sorti en avril 2016, il couvre le brutalisme dans un contexte plus large, rassemblant quelque 200 édifices qui partagent les mêmes formes et le même style. L’auteur s’est néanmoins surtout attardé aux diamants bruts qu’il a trouvés en Europe de l’Est, un terreau autrefois fertile pour les tours massives et gigantesques.
L’architecture qui divise se retrouve aujourd’hui au grand écran, au deuxième plan des défilés et sur les pages glacées. Grâce à toutes ces initiatives isolées, le brutalisme reprendra peut-être ses lettres de noblesse, un bloc de béton à la fois.