Claude Cormier en trois actes
Claude Cormier s’est éteint le 15 septembre dernier, à l’âge de 63 ans. Retour sur trois projets marquants d’un architecte paysagiste qui a transformé le visage de Montréal et laissé son empreinte d’un océan à l’autre.
L’architecture de paysage est une discipline de l’ombre au Québec. À moins d’en connaître un personnellement, les noms de ceux qui façonnent le territoire et embellissent l’espace public échappent habituellement au commun des mortels. Claude Cormier était l’exception à la règle.
Son approche ludique et rigoureuse, sensible et audacieuse qui mise sur l’artificiel, mais jamais le faux, réussit à toucher le cœur des gens depuis 30 ans. Comme le souligne avec justesse sa firme CCxA, Claude Cormier sortait des sentiers battus. Habitué de se faire dire non, il persévérait, toujours, jusqu’à ce que ses idées voient le jour.
Ce «grand amoureux de la ville, de la culture et de l’art» invitait les passants «à rire, à se rassembler, à voir les choses différemment». En mêlant art conceptuel, couleur et abstraction, il insufflait une dose de lumière et de joie dans un océan de bitume. En voici la preuve en trois réalisations.
Boules roses/18 Nuances de gai
Impossible de dissocier le legs de Claude Cormier de Montréal. On lui doit de nombreux espaces publics, notamment le square Dorchester*, la plage de l’horloge et ses parasols bleus, les 52 arbres roses du Palais des congrès ou encore L’Anneau. Mais peu ont suscité autant d’émotions que l’installation flottant dans le Village.
Pas moins de 170 000 boules roses ont égayé la rue Sainte-Catherine Est sur un kilomètre pendant l’été, de 2011 à 2016. Elles ont ensuite cédé leur place à une enfilade de boules aux tons pastel, inspirées par le drapeau arc-en-ciel, de 2017 à 2019. Dix-huit couleurs pour célébrer les diverses identités de la communauté LGBTQI.
Quiconque a marché sous ce «ciel» de résine peut en témoigner: l’œuvre de Claude Cormier rendait un peu plus léger. Photographiées par une panoplie de visiteurs et de Montréalais, saluées par de nombreux médias dans le monde et récompensées par plus d’un prix, les boules sont devenues une attraction en soi. La mairesse de Montréal avait d’ailleurs dit qu’elle s’en ennuyait, un an après leur disparition.
Quelques chanceux — dont l’auteure de ces lignes — ont néanmoins pu mettre la main sur un morceau de ce que l’architecte paysagiste qualifiait de «rayon de soleil», lors de sa vente en 2019.
Love Park
Claude Cormier n’a pas seulement embelli le quotidien des Montréalais; il a aussi laissé sa trace à Toronto. Sa plus récente réalisation, le Love Park, a ouvert ses portes plus tôt cette année au centre-ville. Ce dernier se démarque par son immense bassin d’eau en forme de cœur, cerclé d’un banc en mosaïque rouge.
En entrevue avec le magazine Canadian Architect, Claude Cormier expliquait qu’à l’époque du concours d’architecture, en 2018, la ville était encore sous le choc de l’attaque au camion-bélier, qui a tué onze personnes. Il s’était alors demandé comment lui et son équipe pouvaient «apporter une ambiance positive, une notion de joie» à Toronto. C’est ainsi que l’aménagement du Love Park est né. Très vite, résidents, travailleurs et touristes de passage se sont approprié cette oasis de verdure.
Outre son élément distinctif, on aime aussi les statues d’animaux que l’on retrouve autour, dont un tamia avec son butin de cœurs dorés. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les petites bêtes figurent dans l’œuvre de l’architecte. Toujours à Toronto, le Berczy Park est célèbre pour sa fontaine de chiens (et d’un chat!).
Monument national de l’Holocauste
Reconnu surtout pour ses œuvres joyeuses, Claude Cormier a refusé à deux reprises de collaborer au Monument national de l’Holocauste, exactement pour cette raison. L’architecte Daniel Libeskind, qui a signé la conception, l’avait finalement convaincu d’embarquer dans le projet multidisciplinaire en lui disant qu’il avait besoin de son espoir et de son optimisme pour ne pas créer un gouffre sombre.
Les formes triangulaires en béton, qui rappellent l’étoile de David, sont entourées de conifères reflétant la forêt boréale. CCxA a voulu utiliser ces symboles «comme autant de fiers représentants, en sol canadien, de la résilience possible face à des conditions extrêmement rudes». Malgré le sujet on ne peut plus sérieux, on retrouve encore ici la sensibilité de Claude Cormier. Son apport balance en quelque sorte la solennité du mémorial, l’adoucit.
* À ce sujet, on vous recommande fortement, si vous maîtrisez l’anglais, ce portrait réalisé en 2020 par Brian Barth pour le magazine Landscape Architecture. La personnalité colorée de Claude Cormier ressort sans peine.