26 janvier 2022Auteure : Catherine Perrin

Catherine Perrin: Le cou de la vie

C’est Serge Chapleau qui avait vendu la mèche – c’est fou comme un détail dans la posture peut ajouter du mordant à une caricature.



L’œil malicieux, il m’avait expliqué que les femmes dans la cinquantaine ont souvent le réflexe d’étirer le cou vers l’avant, en levant légèrement le menton. Pour les dodues, le double menton se répartit ainsi discrètement, pour les moins enrobées, la peau reste bien tendue, évitant le petit fripé.

J’étais alors dans la jeune quarantaine, bouche bée, incapable d’imaginer une telle gymnastique, certaine de ne jamais me l’infliger.

Quelques années plus tard, le maquilleur d’un plateau de télé m’avait dit: «T’es chanceuse, t’as encore un beau cou.» J’avais alors bien compris que quelque chose me guettait.

Trop occupée, je n’y pensais pas, les années passaient, puis un jour, une douleur persistante aux épaules m’a emmenée chez une physiothérapeute à l’œil de lynx. Son verdict: le problème venait de la colonne cervicale. Coupable? Une mauvaise posture, le cou étiré vers l’avant, le menton levé. Je l’avais fait… sans même m’en rendre compte!

J’écris ces lignes dans une ergonomie parfaite, solidement assise devant mon ordinateur, les angles de 90 degrés bien découpés aux genoux, aux coudes, au menton. Je me fous des petits plis dans mon cou, ayant investi des dizaines d’heures d’exercices et des centaines de dollars en physiothérapie pour corriger ma posture et, enfin, sortir des capsulites à répétition.

Que disent ces petits plis sur mon cou? Que j’ai l’âge d’avoir des enfants qui sont de jeunes adultes que j’aime profondément. J’ai l’âge pour parler sans malaise, à la radio, de la beauté de la vie et de l’art avec un homme qui va recevoir l’aide médicale à mourir.

Tout ce que j’ai vécu est un terreau pour ce métier que j’adore: aller à la rencontre d’humains aux parcours toujours divers, toujours nouveaux.

Tout ce que j’ai vécu est un terreau pour cet autre métier que j’apprivoise depuis quelques années: écrire.

Mais j’envie parfois les hommes dont la barbe bien taillée habille le cou vieillissant. J’envie les gens qui portent bien le col roulé, me disant que je devrais l’apprivoiser. J’aime les foulards, fluides en été, chauds en hiver.

Pourrai-je un jour dire «j’aime les petits plis de mon cou, qui racontent ma vie»?

Pas sûre, mais j’y travaille.

En attendant, si vous me voyez à la télé, il se peut que j’étire légèrement le cou vers l’avant, en relevant un peu le menton.

Photo: Julie Artacho

À propos de Catherine Perrin

Catherine Perrin est claveciniste, communicatrice et auteure. Comme claveciniste, on a pu l’entendre des formations telles que l’Ensemble contemporain de Montréal, les Violons du Roy et I Musici de Montréal. Son premier disque solo, 24 Préludes, paru chez Atma (1998), a été accueilli avec enthousiasme, tout comme son disque intitulé Ah! vous dirai-je maman! (2003). Depuis une dizaine d’années, elle se produit avec Bataclan, un trio avec basson et bandonéo.

Sur les ondes de Ici Radio-Canada Première, Catherine Perrin a animé Médium large (2011 à 2018) et est maintenant à la barre de l’émission Du côté de chez Catherine.

En 2014, elle publie un premier récit, Une femme discrète (Québec Amérique), qui raconte le destin singulier de sa mère. Elle publie son premier roman, Trois réveils, en 2020 (XYZ) et son deuxième, L’âge des accidents, l’année suivante.

Catherine Perrin était l'une des invités de notre Rendez-vous Le Salon avant le Salon 2021. Voyez ou revoyez-le ici :