Budget
Baisses d’impôt: quand les visées électoralistes l’emportent sur le sens de l’État
Il y a quelque chose d’indécent à voir le ministre Carlos Leitão saupoudrer un cadeau d’un milliard de dollars aux contribuables québécois, qui économiseront ainsi chacun… un gros 0,76$ par jour!
Des économies faciles, il n’y en a pas dans le système et les Québécois grincent des dents depuis quatre ans pour des mesures d’austérité qui ont beaucoup réduit les services publics.
Sans compter les milliers d’organismes qui donnaient un service méritoire qui ont perdu leurs subventions complètement ou en partie, et leurs bénéficiaires, par dizaines de milliers, en ont souffert — et en souffrent encore.
Et maintenant qu’un surplus nous récompense collectivement pour ces sacrifices, peut-être inutiles, on voit le ministre le dilapider par du saupoudrage. Le geste sent bon l’Union nationale des années 50, au temps où l’État offrait encore peu de services à un électorat moins éduqué.
Après quatre ans d'austérité...
Remarquez que Carlos Leitão fait exactement ce que son gouvernement avait promis: consacrer la moitié des gains à des baisses d’impôt. Et ça ne peut pas nuire que la moitié de ce que toucheront les familles viendra entre avril et septembre prochain, juste avant les élections d’octobre. Surtout qu’une partie des mesures sont rétroactives pour 2017, ce qui signifie que les familles recevront plusieurs chèques entre janvier et septembre 2018.
À la décharge du gouvernement, précisons que l’annonce d’hier est une mise à jour du budget présenté en mars. Celui-ci annonçait des investissements récurrents de 3,4 milliards sur cinq ans en santé et en éducation. La mise à jour y rajoutera un milliard, mais cela aurait pu être deux milliards, n’eût été la nouvelle distribution de cadeaux du Père Carlos.
De même, ce «mini-budget» nous annonce qu’un plan de lutte à la pauvreté de 2,4 milliards de dollars sera mis en place pour sortir 100 000 personnes du trou, mais les détails viendront plus tard. Avant les élections, souhaitons-le.
En 1997, après deux années d’austérité, on avait vu le gouvernement Bouchard récompenser la population en utilisant ses surplus pour créer deux programmes phares: les CPE et l’assurance médicaments, que l’Amérique du Nord au grand complet nous envie et dont personne ne se priverait.
En 2017, les idées ne manqueraient pas pour utiliser de façon constructive les surplus actuels et futurs: au lieu de quoi, le ministre Leitão les dilapide en baisses d’impôt et en cadeaux.
Il y a une injustice flagrante à refiler les surplus par des baisses d’impôt: depuis quatre ans, les personnes qui ont le plus souffert des compressions budgétaires — les gens aux plus faibles revenus, qui paient peu ou pas d’impôts, et qui étaient les premiers bénéficiaires des services dans lesquels le gouvernement a sabré — ne profitent pas de la redistribution de la manne.
Au lieu de redistribuer un milliard en baisses d’impôt, il aurait été beaucoup plus décent que le gouvernement partage ces sommes pour rebâtir ce qu’il a cassé dans les CPE, les services à domiciles en santé et les milliers d’organismes subventionnés.
Le seul bénéfice des dernières mesures d’austérité, c’est qu’on en aura fini avec l’idée des coupes faciles «dans le gras». Les dernières mesures ont fait mal parce qu’il n’y a plus de marge depuis longtemps. La réalité, c’est que le gros de l’argent est destiné à ses bénéficiaires, pas pour faire marcher la machine.
Mesure populiste
Carlos Leitão promet 278$ par contribuable en baisses d’impôt: pour une famille normale, ça ne servira qu’à payer une seule facture hebdomadaire d’épicerie, et on ne construit rien, collectivement, avec cela.
Autant les compressions étaient idéologiques, autant cette distribution de cadeaux l’est aussi. Derrière, il y a l’idée, niaiseuse, que les taxes et les impôts, c’est mauvais. C’est la même doctrine bête qui est derrière le deal annoncé par Mélanie Joly le mois dernier, où elle renonçait à taxer Netflix pour ne pas taxer davantage le contribuable.
C’est une idée populiste, et fausse, comme il en a tant et que des élus devraient avoir le courage de dénoncer. Les taxes comme les impôts, c’est bon pour tout le monde, y compris ceux qui en paient le plus. Car c’est à travers l’État que nous pouvons obtenir des services que personne ne peut obtenir individuellement.
Supposons que l’on élimine du jour au lendemain toutes les taxes, impôts et prélèvements. Il en coûterait plus cher à chacun de nous pour se donner l’équivalent de services. Avez-vous déjà essayé de bâtir une autoroute, un hôpital ou une école avec 278$? La seule manière d’y parvenir, c’est de se mettre ensemble: et ça s’appelle l’État, le gouvernement et les impôts.
Nécessaires, les impôts
Comme l’écrivait Alain Dubuc (La Presse+ 21-11-17): il n’existe pas de lien entre le fardeau fiscal et le succès d’une économie, à condition que ces revenus fiscaux soient bien dépensés, s’ils sont perçus comme légitime et si la façon de taxer est la meilleure. Mais il faut plus que ça, il faut un sens de la gestion du bien-être collectif, un esprit qui devrait animer ceux qui ont une charge publique. En clair, les ministres et les députés doivent avoir le sens de l’État. Si depuis 30 ans, nos écoles et nos routes sont si mal en point malgré tous les impôts que l’on paie, c’est bien parce que ceux qui ont la charge de l’État n’y croient pas tant que ça ou tournent le dos à cette responsabilité.
Les Québécois paient des impôts plus qu’ailleurs, mais s’il n’y a pas de véritable révolte fiscale, c’est qu’ils en ont plus pour leur argent que dans bien d’autres provinces. La grande majorité des contribuables québécois comprennent que les impôts nous permettent collectivement de nous offrir des services publics. Il y a fort à parier que si vous demandez à un contribuable québécois de choisir entre une baisse d’impôt de 0,76$ par jour et l’injection de 1 milliard$ dans l’éducation, la santé et les services sociaux, les garderies et autres services publics, il optera spontanément pour une amélioration de ces services.
Pour électoraliste que soit la mesure annoncée, elle comporte une contradiction flagrante que la population perçoit très nettement et qui pourrait coûter cher au gouvernement aux prochaines élections. C’était une doctrine de prudence qui justifiait la dernière vague de compressions, et que la population a largement entérinée par son stoïcisme. Mais l’action de distribuer les surplus nie cette idée. Car en l’absence de vision claire, la prudence aurait dicté que l’on conserve ces surplus — ne serait-ce que pour conserver la marge de manœuvre qui justifiait tout l’exercice.
Le Québec traverse actuellement des années de croissance exceptionnelles, mais la seule certitude, c’est que ça ne durera pas. La seule menace, très réelle, de l’abrogation de l’ALENA, qui peut provoquer une sérieuse récession, dicterait que le gouvernement se garde une réserve.
Au lieu de quoi, les pompiers pyromanes au pouvoir, après avoir éteint les feux, brûlent les surplus en pure perte.
On nous prend pour des idiots!