Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Tant qu’il y aura des armes

La tuerie d’Orlando, en plus d’être un triste record, est un énième rappel que les États-Unis sont engagés dans une spirale de violence par les armes qui s’aggrave d’année en année.

La situation est inquiétante. Le nombre de personnes tuées par balle aux États-Unis en 2015, près de 33 000, évoque davantage l’Afghanistan ou l’Iraq que le champion des valeurs occidentales.

L’on s’étonne que le gouvernement canadien ne serve pas une mise en garde à ses ressortissants avant de s’aventurer au sud de la frontière. Après tout, le touriste canadien a plus de chances d’y mourir par balle que presque n’importe où ailleurs. Chaque Américain qui traverse la frontière devrait, logiquement, être considéré comme un danger potentiel.

Faut-il se contenter d’être épargnés par de tels débordements? Non, évidemment. C’est pourquoi notre position sur les armes à feu est sans compromis. Dans tout pays développé qui se veut une démocratie, les armes à feu devraient être interdites ou limitées très sévèrement.

Les armes à feu ne sont pas un bien de consommation comme les autres: elles sont destinées à tuer de façon efficace à distance. Elles ne servent à rien d’autre.

alt="arme"

À l’heure où les services de sécurité s’obsèdent de la menace terroriste, il est anormal qu’on ne contrôle pas davantage le port d’arme partout, et même au Canada, au Québec plus particulièrement. Certes, le taux de mort par balle au Canada – 2 pour 100 000 – ne représente qu’un sixième de celui des États-Unis, mais il demeure nettement plus élevé qu’en Australie, au Royaume-Uni ou en Nouvelle-Zélande.

C’est pourquoi les mesures suivantes nous paraissent logiques:

  • Un registre des armes à feu pour tout type d’arme, sans exception.
  • L’interdiction formelle d’acheter, de vendre ou de posséder une arme destinée à un autre usage que la chasse.
  • L’obligation d’obtenir des permis distincts pour la possession, le port d’arme et l’achat de munitions; ces permis seraient renouvelables annuellement et conditionnels à une évaluation psychiatrique favorable.
  • L’entreposage obligatoire des armes et munitions dans un arsenal public hors du foyer, sauf permission exceptionnelle.
  • La création d’un système d’assurance spécial pour la possession et le port d’arme, avec compensation pour les victimes.
  • Le contrôle strict aux frontières des ressortissants des pays considérés comme une menace.

Nous concevons que certaines mesures soient plus efficaces et économiques que d’autres, et qu’il faille ménager certaines exceptions, comme pour l’autodéfense et surtout la chasse, très pratiquée un peu partout au Québec. À condition de raison garder: une mitraillette d’assaut ne peut pas être considérée comme une arme de chasse, ni un chargeur de plus de trois balles. Et le besoin d’autodéfense, aboli par les conservateurs, devrait être légitime et approuvé par un juge.

Certains se plaindront du coût de telles mesures. Mais dans une démocratie libérale, le choix de posséder une arme n’est ni une obligation, ni une nécessité – sauf peut-être pour la chasse et l’autodéfense. Mais si le coût de ces mesures est assumé par ceux qui en sont responsables - les propriétaires d’armes -, il n’en coûtera rien au public.

Les libertaires font valoir que bon nombre de crimes sont commis avec des armes volées et que les criminels sont notoirement peu coopératifs. C’est une tautologie. L’existence du crime ne devrait jamais justifier l’inaction. Le Code de la route et la surveillance routière sont nécessaires même si – et même: parce que – des individus conduisent au mépris des lois et règlements.

Nous convenons également que ces mesures ne pourront jamais éradiquer complètement le meurtre par balle du simple fait que chaque pays a sa propre culture du meurtre. Les Américains ont beaucoup moins d’inhibitions à fusiller leur prochain, mais les Canadiens ne sont pas des anges non plus – ni les Québécois d’ailleurs.

Cependant, les mesures devraient être proportionnées au fait que la paranoïa, l’idéologie et les groupes d’intérêts pro armement ont beaucoup moins de prise au Canada qu’aux États-Unis. Nous n’avons pas à souffrir d’une industrie de l’armement aussi riche dotée d’un lobby aussi puissant. Nous ne soutenons pas non plus le discours antiétatique à tous crins, qui alimente notamment des milices et des sectes lourdement armées, sans compter un vieux courant apocalyptique mal compris, peuplé de survivalistes obsédés par l’autodéfense. Parce que le Canada n’a jamais été touché par la ségrégation, le discours sur les armes ne sert pas non plus de façade à un discours raciste qui ne dit pas son nom.

En raison de la domination éhontée des médias américains, il est étonnant que leur libertarisme en matière d’armement n’ait pas débordé au nord. Mais il ne faut pas non plus s’asseoir sur nos lauriers, ni à Québec, ni à Ottawa.

Certes, nous n’avons pas autant d’armes ni une histoire aussi chargée, mais nous ne serons jamais non plus à l’abri d’un glissement dans l’échelle des valeurs, qui libérerait les inhibitions. D’où l’importance de nous méfier de nous-mêmes et de contrôler les armes sévèrement.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.