Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Budget Girard 2024: quelques beaux gestes, mais un peu court

Le ministre des Finances Eric Girard vient de déposer son nouveau budget pour l’année 2024-2025 avec à la clé un déficit record. On y retrouve quelques bons coups qui plairont aux aînés, notamment en matière de santé et de protection des personnes invalides. Mais on déplore l’absence de signal sur les grandes questions de l’heure: logement abordable, soins dentaires universels et transports en commun. Le ministre mérite donc un B-: peut faire mieux.



La santé rafle une grosse part du gâteau en recueillant les trois quarts des nouvelles dépenses, soit 3,7 milliards $, dont 1,1 milliard $ sera consacré directement aux aînés. Environ 500 millions $ seront consacrés à renforcer l’offre des résidences privées pour aînés (RPA), au déploiement des nouvelles Maisons des aînées et au conventionnement des centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) privés. Mais un autre 581 millions $ sera affecté directement aux soins à domicile. On espère ainsi répondre aux besoins de près de 20 000 personnes additionnelles, soit une hausse de 5%, en leur consacrant 26% plus d’heures de service.

On ne crachera pas dans la soupe, mais rappelons tout de même que cette hausse des budgets pour les soins à domicile est la moins considérable des augmentations depuis 2018. Toutefois, les aînés profiteront largement d’autres augmentations, comme les 457 millions $ pour des mesures alternatives à l’hospitalisation (les deux tiers pour la convalescence à domicile), et encore 306 millions $ pour de nouveaux lits.

Le ministre des Finances vient également corriger une grande injustice, longtemps décriée par le Réseau FADOQ: la réduction de la rente pour les personnes invalides. Depuis 1997, le gouvernement du Québec réduisait la rente de retraite des personnes ayant préalablement réclamé la rente d’invalidité sous prétexte qu’elles n’avaient pas cotisé à Retraite Québec. Le Québec était la dernière province à maintenir cette injustice flagrante, que le tribunal administratif du Québec avait jugé discriminatoire l’été dernier.

En 2021-2022, le gouvernement avait déjà baissé de 36% à 24% le seuil de réduction. Mais devant le concert de protestations (et la menace de poursuites), le ministre s’est rendu à l’évidence. La rente maximale de ces personnes augmentera d’un coup de près de 4 000$, soit 32% de plus, pour atteindre le plafond de 16 375$. En apparence, cette mesure ne touche que 77 000 personnes, mais elle utilise 135 des 160 millions $ de la marge de manœuvre des surplus actuels du Régime de rentes du Québec (RRQ). Le ministre peut se féliciter pour son geste, même si on ne peut guère parler de générosité. Après tout, il ne fait que corriger une injustice flagrante alors qu’il a le dos au mur. D’autant que la mesure n’est applicable qu’à compter du 1er janvier prochain et ne sera pas rétroactive.

Une autre bonne nouvelle vient du côté du Curateur public. Même si la mesure est modeste, tout juste 3 millions $ par an sur cinq ans, cet argent servira à prévenir et détecter les abus sur les personnes faisant l’objet d’une tutelle privée. On ignore les détails, mais le Curateur public aurait apparemment trouvé le moyen de renforcer ses contrôles sans que cela coûte les yeux de la tête. Les aînés en situation de dépendance vis-à-vis de tuteurs abusifs en profiteront certainement.

Le ministre des Finances vient également corriger une grande injustice, longtemps décriée par le Réseau FADOQ: la réduction de la rente pour les personnes invalides. Photo: Dominik Lange, Unsplash

Arracheurs de dents et mauvais charpentier

Mais après les fleurs, le pot – car il faudra attendre encore pour voir un peu d’action sur d’autres fronts.

Depuis trois ans, les mises en chantier de logements déclinent gravement au Québec – passant de 67 000 en 2021 à seulement 38 000 en 2023. La Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) prévoit que le Québec aura besoin de construire 1,2 million de nouveaux logements de tous types d’ici 2030. Or, au rythme actuel, le Québec se prépare à rater la cible de 860 000!

Le ministre des Finances ne vient pas arranger les choses en ne proposant rien. Et les mesures concernant plus spécifiquement le logement abordable ne sont guère convaincantes. Certes, il prolonge le programme Allocation-logement, une aide de 100$ par mois aux ménages à faible revenu – soit 200 millions de plus sur trois ans. Mais si ces ménages ne trouvent plus à se loger, à quoi bon? Le ministre se défile en disant qu’il a annoncé 8 000 logements abordables pour 1,8 milliard $ l’automne dernier. C’est très bien, mais compte tenu des besoins, il faudrait non seulement soutenir la cadence, mais l’augmenter de toute urgence.

L’autre bizarrerie concerne les soins dentaires. Il est déjà incompréhensible que l’assurance maladie du Québec n’ait jamais inclus les soins dentaires dans sa couverture universelle, sauf pour les enfants en bas âge et quelques exceptions. À croire que le législateur québécois raisonne encore comme au temps des arracheurs de dents.

Or, maintenant que le gouvernement fédéral déploie enfin son Régime de soins dentaires, le gouvernement du Québec veut se prévaloir de son droit de retrait avec pleine compensation. Pour faire quoi? Le ministre n’affiche aucune intention à cet égard. Rien. Nada. Zilch. Zéro. Ça n’a aucun sens.

Maintenant que le gouvernement fédéral déploie enfin son Régime de soins dentaires, le gouvernement du Québec veut se prévaloir de son droit de retrait avec pleine compensation. Pour faire quoi? Photo: Jon Tyson, Unsplash

Flou artistique et bouts de chandelles

Un budget est toujours un jeu d’équilibriste, que le déficit record de 11 milliards $ rend encore plus périlleux. Mais le ministre n’a que lui-même à blâmer: c’est lui qui a réduit les revenus de l’État l’an dernier en supprimant un point d’impôt en plus d’envoyer en 2022 à chaque électeur 1000$ en chèque, un cadeau électoral de 7 milliards $. Les critiques sont justifiés d’être féroces sur ce point.

Sa marge de manœuvre est d’autant limitée que les Québécois exigent qu’il investisse davantage en santé et en éducation, les deux goliaths qui accaparent les deux tiers d’un budget de 161 milliards $. Ce qui force le ministre à tenter de rogner partout ailleurs. 

En matière de transport en commun, il dit vouloir attendre les audits financiers des sociétés de transports en commun. Or, ceux-ci n’ont été commandés qu’en février, ce qui le dispense effectivement de devoir faire une annonce au budget. On voudrait noyer le poisson qu’on ne procéderait pas autrement.

Côté culture, il déçoit le milieu culturel notamment pour les arts de la scène, mais il parvient néanmoins à se dégager un peu de marge de manœuvre, notamment du côté de l’audiovisuel, avec une hausse des crédits d’impôt, plus de 20 millions additionnels sur deux ans à Télé-Québec et encore 200 millions pour la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) cette année.

La surprise vient de là où il va chercher l’argent: le gros des réductions budgétaires concerne les crédits d’impôt aux entreprises ou les dépenses des sociétés d’État, qui permettront au gouvernement de récupérer 2,9 milliards $.

Du côté des aides fiscales aux entreprises, il compte tirer 1 milliard $ de crédits d’impôt en technologie, mais également du Crédit d’impôt pour le maintien en emploi des travailleurs d’expérience (CMETE), qui est censé profiter aux aînés. L’abolition du CMETE permettra de dégager des économies de l’ordre de 251,9 millions $ sur cinq ans.

On justifie cette décision par le fait que les entreprises y avaient très peu recours de toute façon. Mais on s’étonne qu’une partie de cette somme ne soit pas dirigée vers le crédit d’impôt pour la prolongation de carrière, versé directement aux travailleurs expérimentés, un crédit jugé beaucoup plus efficace puisqu’il a été maintenu et qu’il profite à plus de 350 000 contribuables par année.

Bref, le ministre aurait pu faire mieux.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.