Recyclage: ne baissons pas les bras

Alors que le Groupe Tiru, le pire joueur de l’industrie du recyclage, annonce la fermeture des centres de tri de Saint-Michel et Lachine, il serait tentant de pointer vers la Chine, et maintenant l’Inde, qui ne veulent plus de nos ballots de papiers contaminés, pour leur imputer la crise actuelle du recyclage au Québec.



Une industrie non concertée, une nouvelle politique de récupération et de recyclage que nous avait promise le ministre de l’Environnement Benoit Charette pour décembre et qui se fait toujours attendre, des acteurs du milieu incapables de dresser une image exacte de la situation… autant de facteurs qui alimentent cette crise. Pourtant, il n’y a aucune raison pour que la récupération, le tri et le recyclage ne fonctionnent pas au Québec, mais pour y arriver il est impératif que le gouvernement prenne ses responsabilités.

Toutes les personnes qui connaissent le milieu vous le diront: le Groupe Tiru, qui exploite les centres de tri de Montréal, Châteauguay et Saguenay, est depuis longtemps le canard boiteux des 23 centres de tri du Québec. Et l’annonce la semaine dernière que ce dernier cesserait ses opérations à brève échéance pour des raisons financières inquiète tout le monde. À raison.

Une crise mondiale

Avant de s’emporter, il importe de réaliser que les problèmes du Groupe Tiru ne sont pas ceux de l’ensemble du Québec. Le Groupe Tiru gère le quart des rebuts domestiques recyclables, mais les 19 autres centres de tri québécois ne vont pas si mal – même si ce n’est le Pérou pour personne.

Et la «crise du recyclage», car il y en a bien une, n’est pas que québécoise: elle est mondiale. Le refus des pays asiatiques d’importer des ballots de matières récupérées mal triées affecte tous les centres de tri d’Europe et d’Amérique du Nord.

Les prix se sont effondrés pour la totalité de la filière papier, qui représente plus de la moitié du volume du recyclage. Mais certains gros centres québécois, comme Tricentris (basé à Lachute et qui dessert plus de 240 municipalités québécoises) et Société VIA (qui dessert Québec, Lévis et Rivière-du-Loup), tirent leur épingle du jeu.

Il est donc faux de dire que tout ce qui arrive à Montréal est la faute de la «crise chinoise». Comme il est faux de prétendre que la décision de la Chine a pris tout le monde par surprise.

Pendant presque toute la décennie 2010, les Chinois ont en effet prévenu l’ensemble de l’industrie qu’ils cesseraient d’autoriser l’importation de rebuts mal triés, et ils ont mis leur menace à exécution en novembre 2017! Les centres de tri les plus clairvoyants avaient commencé à s’y préparer. Société VIA, par exemple, ne produit aucun «papier mélangé», qui est le bas de gamme. Ses équipes réussissent à tout séparer – carton, papier fin, etc. – Les prix de ces ballots sont nettement meilleurs. On saura peut-être un jour pourquoi le Groupe Tiru a été incapable de s’ajuster, alors que d’autres ont su le faire.

Pendant presque toute la décennie 2010, les Chinois ont prévenu l’ensemble de l’industrie qu’ils cesseraient d’autoriser l’importation de rebuts mal triés, et ils ont mis leur menace à exécution en novembre 2017! Les centres de tri les plus clairvoyants avaient commencé à s’y préparer. Photo: Bas Emmen, Unsplash

Des améliorations en vue

La filière québécoise de récupération et de recyclage est partiellement victime de son succès. Le Québec récupère les deux tiers de ses ordures et 99 % des foyers sont desservis par la collecte sélective. Mais ce succès, dont on a lieu d’être fier, crée forcément un problème de débouchés qui ne se règle pas en criant lapin. Cependant, dans une économie moderne comme celle du Québec, le problème est réglable. Et quand on se donne la peine de regarder au-delà de Montréal, on voit que bien des centres ont pris les choses en main.

Concernant le verre, par exemple, des investissements intelligents en recherche et en développement et l’implication de Recyc-Québec, d’Éco Entreprises Québec, de quelques universités et de quelques gros centres sont en train de renverser la situation.

Tricentris, à Lachute, a développé un nouveau produit – le verre pulvérisé – qui va chercher 160 $ la tonne (alors que les autres centres doivent payer 20 $ la tonne pour se débarrasser de leur vieux verre concassé dont personne ne veut).

Depuis deux ans, des efforts dans le même sens pour le plastique commencent à donner des résultats. Le même travail s’amorce pour le papier, mais avec du retard, et il faudra quelques années pour corriger un problème qui n’affecte pas seulement le Québec, mais qui est mondial.

Les problèmes de Montréal masquent aussi le fait que le Québec, dans son ensemble, résiste mieux qu’ailleurs à la crise provoquée par la fermeture du marché asiatique.

C’est parce que le Québec, il y a 15 ans, a institué le principe du «pollueur-payeur». Les 3400 entreprises qui produisent des emballages, du papier, des bouteilles, des contenants et des sacs sont membres d’office d’Éco Entreprises Québec (ÉEQ). À travers ÉEQ, ce sont les consommateurs qui paient quelques sous pour la récupération de chaque pot, de chaque bouteille ou de chaque revue qu’ils achètent. Et c’est ÉEQ qui rembourse les municipalités pour 85 à 90 % des coûts de récupération et de tri.

Aux États-Unis, où ce principe est absent, des centaines de villes n’ont pas les moyens financiers de résister à la crise chinoise et ferment carrément leur centre de tri. C’est l’existence de ce système, au Québec, qui va permettre de trouver rapidement un nouvel exploitant pour remplacer le Groupe Tiru.

Photo: Facebook Tricentris

Des choses à changer

Espérons que la politique de récupération et de recyclage qui repose encore sur la table de travail du ministre de l’Environnement, Benoit Charette, verra le jour bientôt, mais surtout qu’elle contiendra les éléments nécessaires pour sortir de cette crise. Le ministre devrait y inclure des mesures concernant deux problèmes pour lesquels le gouvernement n’a rien fait depuis 20 ans alors qu’il est le seul à pouvoir agir: réorganiser la filière pour lui donner plus de cohérence et imposer l’écoconception des emballages.

Réorganiser la filière pour lui donner plus de cohérence

La désorganisation de la filière est quasi proverbiale. Le ministre doit absolument trouver le moyen de forcer les centres de tri à se structurer.

Actuellement, les 23 centres de tri du Québec travaillent en vase clos, sans aucune concertation. Ils ne sont même pas regroupés en association. En mai 2018, au début de la crise chinoise, lorsque la ministre d’alors a réuni tous les intervenants à Québec, la plupart ne se connaissaient pas!

Dans un tel climat, il ne faut donc pas s’étonner qu’il n’existe aucune concertation, ni politique commune, ni mise en commun des services comme la commercialisation de certaines matières ou la mutualisation des efforts de recherche. Le ministre aurait le pouvoir de les forcer à s’associer et à se coordonner, et également celui de réglementer.

Autre absurdité: il n’existe aucune concertation entre ceux qui paient et ceux qui trient.

Actuellement, toute la récupération et le tri sont remboursés, à plus de 85 %, par les 3400 entreprises membres d’Éco Entreprises Québec et, à travers elles, par les consommateurs. Or, ÉEQ n’a rien à dire sur la collecte et le tri. Ce sont les municipalités qui réalisent les appels d’offres pour les centres de tri, et elles ne formulent aucune obligation de qualité, de rendement ou de traçabilité des matières. La plupart ne consultent même jamais ÉEQ. Bref, le Québec a raison d’être fier de son principe du pollueur-payeur, mais il s’est arrêté à mi-chemin.

Encore là, c’est le ministre qui a le pouvoir de forcer le jeu pour établir des règles qui imposeraient des critères de qualité aux appels d’offres.

Cette désorganisation fait qu’il n’existe aucun contrôle. Même Recyc-Québec, l’agence gouvernementale chargée de gérer la filière, a toutes les peines du monde à se faire une idée de l’état de la situation. En fait, elle a même du mal à obtenir des chiffres! En l’absence de toutes données, le gouvernement est incapable d’édicter des normes qui ont du bon sens et des contrôles.

Tous ces problèmes se ramènent au fait que le ministère n’a jamais réellement agi pour mettre de l’ordre dans cette filière.

Imposer l’écoconception des emballages

Le ministre doit également intervenir dans la conception des emballages – ce que l’on appelle «écoconception».

De très nombreux produits sont théoriquement recyclables, mais ils ne peuvent pas l’être en pratique parce qu’aucune norme n’est en place. Par exemple, les emballages composites, qui mêlent boîtes de carton et fenêtres en PVC, et autre combinaison de carton et de plastique, devraient être bannis, car ils ne sont pas recyclables.

Prenez encore les bons vieux sacs de croustilles. Il s’agit d’un plastique multicouche qui est présenté comme «recyclable». Sauf que chaque compagnie applique une recette distincte qui vient contaminer les autres dans le processus de recyclage, si bien que 90 % de ces sacs récupérés finissent à l’enfouissement. Il tomberait sous le sens que le gouvernement dise à tout le monde: vous utilisez tel plastique multicouche, point barre.

Même des plastiques aisément recyclables peuvent devenir impossibles à recycler parfois du jour au lendemain parce que les fabricants y mêlent des résines pour en modifier la texture et la couleur. Ces changements, gouvernés par le marketing, n’ajoutent rien au produit, et ils viennent compliquer toute la filière.

Il serait donc urgent que le ministre force une réelle écoconception des emballages. Cela devrait se faire en édictant des normes.

Le ministre Charette a déclaré qu’il préférerait y arriver en exigeant que les emballages contiennent un certain pourcentage de contenu recyclé. Ce procédé indirect n’est pas mauvais en soi, et il est juste de dire que les fabricants, obligés d’utiliser des matières recyclées, deviendront demandeurs. Mais la mesure serait plus efficace si les entreprises recevaient le signal aux deux bouts du processus: à la conception et à la fabrication de l’emballage.

De telles mesures d’écoconception reviendraient à moderniser la formule du pollueur-payeur, qui remonte à 2005. Actuellement, on fait payer les entreprises (et, à travers elles, les consommateurs) pour la filière de récupération, mais sans trop se soucier de savoir si ce qui est «récupérable» est réellement recyclable. De réelles mesures d’écoconception obligatoire forceraient toutes les entreprises à se poser la question et à se conformer aux normes.

Le Québec peut relever le défi du recyclage et de ses débouchés, mais pour cela le gouvernement doit faire preuve de leadership, notamment sur ces deux aspects, et les acteurs du milieu doivent se doter de normes, mais surtout de cohérence!

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.