Moratoire sur les évictions de locataires: l’épiphanie de la ministre Duranceau

La ministre responsable de l’Habitation France-Élaine Duranceau a causé la surprise avec son nouveau projet de loi (LP65) qui règle deux graves problèmes en matière d’habitation. D’abord, elle modifie la loi «Françoise David» en renforçant la protection des locataires aînés. Ensuite, elle crée un moratoire de trois ans sur toutes les évictions de locataires. Bien que salué par l’opposition et le milieu communautaire, parce qu’il force un temps d’arrêt sur la spéculation immobilière et donne une chance de respirer aux ménages moins nantis, le PL65 ne règle pas l’ensemble de la crise du logement, qui demeure criante.



C’est tout un retournement pour une ministre qui s’était illustrée par ses propos cassants et son manque de sensibilité en 2023 alors que son précédent projet de loi 31, qui modifiait plusieurs dispositions en matière d’habitation, dont les règles en matière de transfert de bail, était vertement critiqué de toute part. Cette fois, elle a reçu l’entière collaboration de Québec solidaire, ce qui n’est pas rien.

Depuis une vingtaine d’années, le marché immobilier s’est progressivement tendu, au point que tous les locataires, quel que soit leur revenu, ont du mal à trouver à se loger. Grâce au PL65, les ménages locataires québécois, au nombre de 1,8 million, y gagneront donc une pause mentale considérable.

Enfin un répit pour les aînés

Les aînés dans le besoin sont les grands gagnants du PL65, qui met à jour plusieurs critères de la loi dite «Françoise David» de 2016. Cette loi interdisait la reprise de logement de locataires âgés de 70 ans ou plus si ceux-ci l’occupaient depuis au moins 10 ans et s’ils touchaient moins que le revenu maximal d’admissibilité à un logement à loyer modique.

Le Réseau FADOQ, qui demandait la modification de ces trois critères, en a obtenu deux: le seuil d’âge est réduit de 70 à 65 ans et la limite de revenu admissible est rehaussée à 125%.

Il reste à espérer que le gouvernement corrigera le troisième irritant majeur en réduisant le critère de durée d’occupation de 10 à 5 ans. Mais il faut rendre à Cléopâtre ce qui lui revient: la réforme a déjà pour effet de quasiment doubler le nombre de ménages protégés, qui augmentera de 24 000 pour toucher les 60 000. Et ces modifications sont permanentes.

Une pause pour tous les locataires

D’autres dispositions du PL65 toucheront l’ensemble des ménages locataires. Il interdit pour trois ans toute éviction aux fins de subdiviser un logement, de l’agrandir ou de changer son affectation. La seule possibilité demeurera la reprise pour raison familiale.

Bien que cette nouvelle loi ne soit pas rétroactive, elle s’applique dès la date du dépôt du projet de loi, le 22 mai. Il n’y aura donc aucune possibilité d’une «course aux évictions». Le gouvernement s’est engagé à ce que ce projet de loi 65 passe à la vapeur pour adoption d’ici au 7 juin.

Selon le PL65, ce moratoire, valide pour trois ans, sera levé avant si le taux d’inoccupation publié par la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) passe la barre des 3%, un taux réputé être celui d’un marché en équilibre. On est encore très loin du compte partout. Dans le Grand Montréal, les mises en chantier étaient en baisse de 35% en 2023.

Cette suspension de plusieurs dispositions du Code civil vise à tenir compte d’une crise exceptionnelle. Sera-t-elle prolongée si le marché immobilier ne suit pas? Seul l’avenir le dira.

Grâce au PL65, les ménages locataires québécois, au nombre de 1,8 million, y gagneront donc une pause mentale considérable. Photo: Depositphotos

Et les rénovictions?

Certains observateurs ont déploré que son projet de loi ne s’attaque pas au problème des rénovictions, mais la ministre Duranceau a raison de dire que cette omission est justifiée. En effet, les rénovictions sont déjà interdites par le Code civil, mais dans les faits, elles ont bel et bien eu lieu, surtout au cours des trois dernières années.

Ce qui vient souligner la principale faiblesse de la loi québécoise en matière de bail: les locataires connaissent très mal leurs droits et leurs recours. Trop de hausses de loyer injustifiées et trop de reprises de logement illégales ne sont jamais contestées au Tribunal administratif du logement. Il serait souhaitable que la ministre prenne la peine d’envoyer une belle lettre en termes simples et vulgarisés aux 1,8 million de ménages locataires pour les informer.

À noter, ce moratoire exclut les résidences privées pour aînés (RPA) qui obtiennent de Santé Québec la révocation de leur statut de RPA. Selon le Tribunal administratif du logement, la protection offerte est alors celle prévue aux articles 1955.1 et 1959.2 du Code civil. Il est inique que le gouvernement persiste à autoriser ce changement de vocation, qui revient à une rupture de contrat, mais il s’agit d’un autre dossier, qui relève du ministère de la Santé plutôt que de celui de l’Habitation…

À quand une politique sociale du logement?

Le PL65 est un acte de bon gouvernement qui ne coûte rien à l’État. Mais il faudra faire plus pour corriger le problème fondamental: celui de l’offre. Cet obstacle majeur est exacerbé par la pusillanimité des politiques gouvernementales en matière de logement, par une immigration massive et mal contrôlée, par des promoteurs immobiliers peu soucieux des dimensions sociales de leur travail et une industrie de la construction fort peu productive.

La ministre Duranceau a affirmé haut et clair que son PL65 s’en prend directement aux spéculateurs qui affectent le marché immobilier sans contribuer à améliorer l’offre constructive. Ce faisant, elle lance un message aux promoteurs pour qu’ils relèvent le défi de l’habitation, qui est immense.

Si le gouvernement veut rehausser durablement le taux d’inoccupation à 3%, le Québec aura besoin de construire de 1,2 million de logements de tout type d’ici 2030, selon les chiffres de la SCHL. Cela représente quatre fois la cadence actuelle de la construction résidentielle.

Le projet de loi 51 du ministre Jean Boulet, qui modernise les lois du travail dans le secteur de la construction, ne suffira pas. Certes, il facilitera le mouvement interrégional des travailleurs et autorisera les plâtriers à poser de la céramique, entre autres assouplissements, mais le secteur de la construction demeure plombé de méthodes quasi artisanales et très improductives.

En 2023, on avait peu parlé des autres dispositions du projet de loi 31 de la ministre Duranceau. Or, cette loi a donné des pouvoirs spéciaux additionnels à la Société d’habitation du Québec et permet aux villes d’assouplir leur règlement d’urbanisme pour accélérer la cadence.

C’est un pas dans la bonne direction, mais on attend toujours la grande politique sociale de l’habitation, notamment en ce qui concerne les aînés, afin d’assurer plus de diversité dans le modèle des RPA. Davantage de RPA sur le modèle coopératif ou des organismes à but non lucratif (OBNL) d’habitation favoriseraient un habitat exempt de la course au profit et de la spéculation, les deux plaies du marché immobilier.

Cette tâche est clairement dans le pré carré de la ministre responsable de l’Habitation, mais il est à souhaiter qu’elle saura peser sur son collègue de la Santé et des Services sociaux pour modifier le cadre réglementaire des RPA, afin que cessent les changements de vocation et que les aînés qui y vivent soient mieux protégés.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.