Pour le salaire… maximum!
Le débat sur le salaire minimum est reparti de plus belle à la mi-août à l’occasion du Forum social mondial à Montréal. Débat fort justifié, car le salaire minimum devrait être plus proche de 15$ que de 10,75$ (son niveau actuel). Nous devons, comme société, faire en sorte que ceux qui travaillent gagnent autant que possible.
Il y a 50 ans, le salaire minimum était de 99¢ l’heure. Le patronat pousse les hauts cris chaque fois qu’il est question d’une hausse, même minime, mais la catastrophe n’a pas eu lieu. Oui, un salaire minimum trop élevé et mal appliqué peut susciter des problèmes, mais il est globalement bénéfique de le rehausser.
C’est Henry Ford qui avait compris, il y a plus d’un siècle, que de meilleurs salaires profitent aussi aux entreprises en suscitant la consommation. Plus près de nous, c’est ce que formulait le financier Alexandre Taillefer lorsqu’il affirmait le printemps dernier: «Le fait de hausser le salaire minimum de 10,75$ l’heure à 15$ permettrait à des milliers de travailleurs, principalement des femmes, de vivre plus décemment et de dépenser dans leur quartier.»
Quant à savoir si ce salaire doit absolument toucher le montant symbolique de 15$, c’est une autre histoire. Ce débat sur le salaire à 15$ nous vient des États-Unis, et notamment de Seattle, où la ville a décidé de le hausser de 9,32$ à 15$ d’ici 2020. Seattle, ce n’est pas Montréal, et l’Oregon, ce n’est pas le Québec. Le Canada fait beaucoup plus que les États-Unis en matière de redistribution de la richesse; et le Québec davantage que la moyenne canadienne. Un bas salarié au Québec en arrache nettement moins qu’un Américain dans la même situation.
Au-delà de la cible elle-même, la vraie question est: à quelle cadence? Une hausse trop lente revient à simplement indexer les salaires au coût de la vie. Une hausse trop rapide peut déclencher l’inflation et coûter des dizaines de milliers d’emplois. Elle peut même encourager le décrochage scolaire, un problème endémique que personne ne souhaite aggraver. Pour éviter que le remède tue le patient, il faudra donc y aller avec doigté… mais sans y aller du bout des doigts non plus!
Cela dit, le débat sur le salaire ne devrait pas se limiter au minimum.
Nous devrions également réfléchir collectivement sur ce que représente un salaire décent. Qu’est-ce qu’un salaire indécent? Y a-t-il des patrons ou des salariés qui gagnent trop? Les Français répondent que oui: ils ont limité le revenu des PDG de sociétés publiques à 20 fois celui du plus bas salarié de l’entreprise. Donc, si le plus bas salarié gagne 400$ par semaine, le patron a droit à 8 000$ — de quoi mettre du beurre sur les épinards. Compte tenu de toutes les échappatoires fiscales, il est possible qu’un fort taux de taxation soit un meilleur moyen de récupérer cet argent, mais l’idée du salaire maximum mérite qu’on s’y attarde, en considérant la panoplie d’outils dont dispose un État moderne.
Peut-être aussi devrions-nous réfléchir à nos pratiques d’embauche qui encouragent les emplois à temps partiel, bien souvent rémunérés au salaire minimum et sans aucune protection sociale, pour favoriser des semaines de 40 heures assorties de fonds de retraite et d’assurances conséquents.
En fait, le salaire minimum serait plus acceptable s’il n’existait pas tout un train d’échappatoires permettant aux employeurs de se soustraire à leurs obligations.
Par exemple le franchisage, dont on abuse sous nos latitudes. Cette pratique permet à de très grandes organisations, comme Macdonald, de se soustraire à certaines obligations en sous-traitant leurs ressources humaines à une multitude de petits entrepreneurs, présentés comme des indépendants, mais qui sont en fait de simples gérants de marque… Il est anormal qu’on autorise cette pratique sans décréter des conditions minimales pour tous ceux qui y travaillent, au même titre que les ouvriers de la construction.
Ne soyons pas naïfs: trop de règles tuent l’emploi, comme les Français le savent très bien. Mais considérer le débat sur le salaire minimum en vase clos, sous le seul regard économique, sans considération sociale, ne sert à rien.