Un Québec pour tous les âges: un plan d’action louable… mais bien vague

C’est une politique ambitieuse que Francine Charbonneau, ministre responsable des Aînés, a annoncé le 5 juin à Trois-Rivières. Le plan d’action 2018-2023 «Un Québec pour tous les âges» promet plus de 85 mesures qui engageront 20 ministères et organismes et qui coûteront la coquette somme de 12,3 milliards $ sur cinq ans.



Le Québec vieillit très vite: les 65 ans représentent 16% de la population, soit davantage que les enfants de moins de 15 ans. En 2031, ils seront 25% de la population. Parce que les premiers baby-boomers ont maintenant 73 ans, le Québec est déjà engagé, bon gré mal gré, dans le «papy-et-mamy-boom».

Il était donc important que le gouvernement actualise sa politique des proches aidants, améliore les soins à domicile, favorise la participation des personnes âgées dans le marché du travail et la vie communautaire et améliore les connaissances sur le vieillissement.

Mais si le plan est louable, on peut cependant déplorer sa vocation strictement électorale. Car on n’y trouve aucun calendrier précis ni engagement budgétaire ferme. Bref, rien qui engage l’action. C’est d’ailleurs un des bémols qu’a émis le Réseau FADOQ, qui a été parmi les principaux organismes consultés dans le processus ayant conduit à ce plan. Le Réseau FADOQ, regroupant 500 000 membres âgés de plus de 50 ans, salue l’esprit du plan, mais a choisi de réserver son analyse, étant donné le peu de détails sur la répartition de l’enveloppe budgétaire annoncée et sur les moyens concrets d’action.

Et on peut comprendre cette réserve. De fait, le texte de ce plan, présenté le 5 juin, présente le total des engagements financiers — très précisément 12,271 milliards $ — sur une demi-page, sans plus de détails. Et malgré nos demandes, il a été impossible ni de parler au ministre ni d’obtenir plus d’informations. De quoi étonner de la part d’un gouvernement qui vante sa rigueur.

D’ailleurs, aurait-on voulu enterrer le plan qu’on ne s’y serait pas mieux pris: une annonce «nationale» dans une résidence pour personnes âgées autonomes, sans retransmission aux médias. Lesquels ont d’ailleurs superbement ignoré la nouvelle. Même Le Nouvelliste, le quotidien trifluvien, n’a pas jugé bon d’en parler.

Quoiqu’en demi-teintes, ce rapport frappe pourtant dans le mille sur un point très important. Le Québec doit actualiser sa politique sur les aînés pour tenir compte de la réalité, des données probantes et des connaissances acquises sur le vieillissement.

Car depuis la publication du Rapport mondial sur le vieillissement et la santé par l’Organisation mondiale de la santé en 2016, on ne peut plus nier qu’il faut repenser en profondeur des systèmes de santé et de retraite conçus il y a trois générations alors qu’à peine 5% de la population touchait les 65 ans.

La population mondiale vieillit et les systèmes de santé publique, partout sur la planète, ne peuvent plus seulement viser une approche «curative» centrée sur l’hôpital et la rente de retraite. Le vieillissement, ce n’est pas une maladie. C’est un état évolutif, qui touche 15, 20 et bientôt 25% de la population. Il s’agit donc d’en retarder les effets chez les individus et sur une population entière. Les données probantes le démontrent: des soins et des services à domicile, c’est ce qui coûte le moins cher et ce qui marche le mieux. Au Québec, 96% des aînés vivent chez eux et souhaitent vieillir chez eux.

Mais il y a loin de la théorie à la pratique.

Pour parvenir à respecter ses engagements auprès de plus d’un million d’aînés, et bientôt deux millions, il faudra reconnaître que l’assurance maladie universelle et le système de rente ne suffisent plus. Le plan d’action 2018-2023 est donc très clair: il faut augmenter et améliorer les soins et les services à domicile; faciliter la vie des proches aidants; faire de la prévention; réduire l’insécurité financière; pouvoir adapter le logement rapidement; continuer la recherche; et améliorer la concertation.

À cet égard il est d’ailleurs impératif que les 20 ministères et organismes concernés dans le plan d’action collaborent au lieu de travailler en silo. Un souhait clairement exprimé par le Réseau FADOQ. Détail qui tue: en réponse à nos demandes d’entrevue, l’attachée de presse du ministre Barrette nous a dit que cette annonce ne relevait pas de son ministère, bien qu’il soit signataire du communiqué! Comme quoi les silos auront la vie dure…

Photo: Shutterstock
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Pour un Québec digne de ses aînés

C’est à la lumière de ce plan d’action mi-cuit que l’on mesure toute l’importance de la «plateforme commune de revendications» préparée par le Réseau FADOQ et quatre autres organismes signataires* en avril dernier. Intitulée «Pour un Québec digne de ses aînés», cette plateforme est en fait un appel clair adressé aux partis politiques à l’approche des élections d’octobre.

Le document de huit pages, de lecture facile, est tout ce que le plan d’action 2018-2023 n’est pas: concret, facile à lire, précis. Il présente 16 revendications qui ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. En clair, ces revendications démontrent à quel point le Québec peut se montrer indigne de ses aînés.

Prenez le cas des prothèses auditives. Le tiers des gens de 65 ans et plus ont des problèmes d’audition. Or, la RAMQ ne rembourse qu’une seule prothèse auditive. Et seulement le modèle bas de gamme par-dessus le marché. Mais pas la deuxième! Vous avez bien lu: une seule. Pourtant, on perd généralement l’ouïe des deux oreilles… Les données probantes démontrent qu’une prothèse seule, quand il en faudrait deux, peut produire des effets indésirables, comme la perte d’équilibre et la désorientation. Mais ce n’est pas grave: on a des «urgences»!

Autre indignité: il faut deux ans d’attente — deux — pour qu’un fonctionnaire autorise l’aide financière dans le cadre du «Programme d’adaptation de domicile». Pendant ces deux années, le premier intéressé ou ses proches aidants ont toutes les chances de finir à l’urgence, victimes d’une chute, d’épuisement ou de dépression. Les organismes signataires ne demandent pas le Pérou: juste une année d’attente au lieu de deux. Juste une année d’attente — attente d’autant plus inutile que le dossier a été ouvert parce qu’un professionnel a fait l’état des lieux et produit des recommandations… Faut-il y voir une mesure d’attrition indirecte ou de la simple médiocrité administrative?

Tout bonnement, le texte de la plateforme demande de corriger des aberrations et des injustices particulièrement criantes. Saviez-vous que les prothèses dentaires ne sont remboursables que par un crédit d’impôt? Une mesure qui n’avantage que les riches, puisqu’un crédit d’impôt ne profite pas aux classes à faible revenu. Dans un système qui serait juste, les prothèses dentaires devraient être couvertes par la RAMQ, par une subvention ou, à tout le moins, par un crédit d’impôt remboursable.

On dit qu’une société se juge à la manière dont elle traite ses aînés. Mais que faut-il penser de ce programme d’«aide au logement» non indexé depuis des lustres à 60$? (L’immobilier et le prix des logements ne cessent de grimper.) Et que dire de ces «prestations de décès» de Retraite Québec fixées à 2 500$ depuis au moins 30 ans? Et pourquoi limiter le crédit d’impôt pour les proches aidants à 1 176$ par an? (Crédit qui tombe à zéro si l’on gagne plus de 26 000$ par an.) Une misère, quand on sait que ce crédit d’impôt rembourse à peine ce qu’il en coûte en stationnement dans les institutions de santé. Stationnement qui devrait être gratis, au demeurant (revendication no 4 de la plateforme).

On peut se réjouir que le plan fasse une large place à la prévention et qu’il promette de bonifier de nombreuses mesures telles que le crédit d’impôt remboursable pour les aidants naturels d’une personne majeure, le programme d’exonération financière en services à domicile, et le crédit d’impôt pour les travailleurs d’expérience. On se réjouirait sans doute davantage si les ministères concernés s’engageaient sur des montants précis…

La plateforme de revendications «Pour un Québec digne de ses aînés» s’inscrit dans une tendance nouvelle de «militantisme constructif» — la même qui a permis aux infirmières, en février dernier, de convaincre le ministre Barrette d’établir des ratios de patients. Le Réseau FADOQ et les quatre autres signataires de la plateforme n’ont pas voulu faire de grandes revendications de principe, du genre «Réformons-le-système!». Chacune de leurs 16 demandes a été choisie parce qu’elle est quantifiable, calibrée et applicable immédiatement.

Il n’y a rien là-dedans qui coûte une fortune. Pour les prothèses auditives ou dentaires, et les lunettes, on parle d’un déboursé de 90 millions $. Le coût net serait en réalité inférieur, puisque l’on contribuerait à diminuer les problèmes d’isolement, de mobilité et de dénutrition, qui pourrissent la vie de très nombreux aînés et qui coûtent finalement très cher à tout le monde.

Actuellement, les critères d’admissibilité au programme Soutien à l’autonomie des personnes âgées ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre. Qu’est-ce que ça coûterait de les uniformiser? Et pourquoi ne pas adopter une définition légale du proche aidant?

Avant de rendre publiques leurs revendications, les cinq organismes signataires de la plateforme ont rencontré les porte-parole des quatre principaux partis — dont la ministre Charbonneau. Ils leur ont expliqué leurs demandes et les ont avisés: leur programme électoral sera scruté à la loupe et les porte-parole seront tous invités à un débat sur la question en septembre — dont la date sera annoncée dans les semaines à venir. Et les 700 000 membres des organismes signataires seront également invités à comparer les programmes et à écrire à leur député.

Ce n’est donc qu’après les élections du 1er octobre que l’on saura comment et par quel moyen le Québec voudra, enfin, être digne de ses aînés.

*Les cinq organismes signataires: Réseau FADOQ, l’Association des retraitées et retraités de l’éducation et des autres services publics du Québec (AREQ-CSQ), l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (AQRP), l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR) et le Regroupement interprofessionnel des intervenants retraités des services de santé (RIIRS).

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.