Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Pauvres banques!

Le ministre des Finances, Bill Morneau, vient de retirer son projet de loi sur les banques devant la tempête qu’il avait provoquée au Québec. Ce projet de loi avait pour objet de simplifier la vie des banques en leur donnant un système de protection des consommateurs uniforme au pays.



Sauf que ce projet visait implicitement à arracher les dents à la Loi sur la protection du consommateur du Québec, la plus avant-gardiste et la plus favorable au Canada.

La loi québécoise, par exemple, interdit aux banques d’augmenter votre limite de crédit sans votre permission. Elle interdit les frais cachés. Elle autorise les recours collectifs contre les banques. Le projet de loi fédéral voulait effacer tout ça. Comme prix de consolation, le consommateur québécois y aurait gagné le droit de se plaindre à l’ombudsman, dont les recommandations ne sont pas exécutoires. La belle affaire!

Le public québécois, la Chambre des notaires, l’Assemblée nationale, le premier ministre Couillard et les sénateurs québécois ont eu raison de s’indigner. Les banques fédérales sont de loin les entreprises les plus rentables au pays. Elles enregistrent des profits record, réalisés largement sur le dos des consommateurs, qui n’ont pas vraiment le choix. Elles ne méritent pas du tout qu’on leur simplifie la vie, bien au contraire. On croira que l’environnement bancaire est pourri au Canada quand une banque canadienne déménagera ses pénates dans un autre pays. Ça n’arrivera pas parce qu’elles brassent des affaires en or massif.

Malgré cette reculade d’Ottawa, il faudra rester vigilants. Le ministre Morneau en a profité pour redire qu’il cherche la protection la plus haute et la plus uniforme. La plupart des autres provinces, sauf l’Ontario et la Colombie-Britannique, n’ont pas de mouvement consumériste organisé comme au Québec. Espérons cette fois que les 40 députés québécois du Parti libéral auront compris le message et qu’ils affirmeront que le modèle à suivre, c’est le Québec.

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On peut se demander quelle mouche avait piqué le ministre Morneau. Car en plus de fouler du pied les droits des consommateurs québécois, il créait de toutes pièces une crise constitutionnelle en faisant intrusion dans un champ de compétence provinciale. Plusieurs fois par le passé, la Loi sur les banques a tenté de contourner la loi provinciale. Chaque fois, la Cour suprême est venue redire que la Loi fédérale sur les banques et la loi québécoise protégeant les consommateurs font bon ménage.

Pour le «fédéralisme coopératif», «dans le respect des différences», à la sauce Justin, on repassera! Pourtant, c’est ce même gouvernement qui vient tout juste d’imposer un cadre canadien pour la taxation sur le carbone. Personne n’avait réussi à le faire avant lui. Et les fédéraux y sont parvenus sans atténuer la portée des meilleurs systèmes provinciaux, comme celui du Québec. Ce qui prouve bien que l’on peut imposer un cadre national tout en respectant la volonté des provinces d’en faire plus.

Il est légitime que le gouvernement fédéral veuille améliorer la protection du public canadien. Dans plusieurs provinces, les consommateurs sont très mal protégés par la loi existante. Mais avait-il besoin, pour ce faire, d’arracher des dents à la loi québécoise?

Que les banques canadiennes veuillent toujours plus, plus, plus, c’est de bonne guerre. C’est leur intérêt — sans jeu de mots —, mais la responsabilité du gouvernement devrait être de voir à l’intérêt général. Oui, il doit maintenir un système bancaire en santé, mais pas au détriment du public.

Le plus hallucinant dans toute cette histoire, c’est l’aisance avec laquelle Ottawa a adopté l’argumentaire des banques, pour qui les lois provinciales de protection des consommateurs sont une nuisance. Au fond, le ministre Morneau a conservé ses réflexes de financier de Bay Street, où l’on rêve d’imposer un seul cadre réglementaire à l’ensemble du secteur financier canadien — notamment en matière de valeurs mobilières. La tentation centralisatrice demeure toujours très forte à Ottawa.

Nous applaudissons l’indignation des Québécois et de leurs institutions, puisque de toute évidence, c’est elle qui fait avancer les choses. Le Québec ne serait pas un modèle en matière de protection des consommateurs s’il n’avait pas la pleine juridiction. Et tant pis pour les banques si elles trouvent cela trop compliqué: le but n’est pas de leur simplifier la vie, mais de protéger le public!

En fait, la position du législateur et du ministre des Finances devrait toujours être de dire aux banques de se méfier d’elles-mêmes. Il y a 20 ans, la mode parmi les institutions financières était à la libéralisation. Les banques canadiennes insistaient pour que le gouvernement fédéral rabaisse ses garde-fous et réduise ses contrôles. Le ministre des Finances, Paul Martin, en faisait une maladie, mais le gouvernement lui a dit non plusieurs fois.

La crise financière de 2008 a fait réaliser à tout le monde que la prudence d’Ottawa fut précisément ce qui a sauvé le système bancaire canadien — et le public en général — des graves déconfitures qui ont affecté le système bancaire ailleurs.

Comme quoi il ne faut jamais trop écouter les banques: elles finissent toujours par se nuire à elles-mêmes – et à nous à travers elles.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.