Les États-Unis vont-ils s’autodétruire?

Quand on considère les 300 millions d’armes qui circulent de façon quasi incontrôlée sur le territoire américain, l’érosion de la classe moyenne, l’obscurantisme religieux, les profondes divisions raciales, le populisme d’un Donald Trump, les expéditions militaires ratées, on est bien en droit de se demander si les États-Unis peuvent s’autodétruire.

La réponse est malheureusement oui.

Il est inquiétant de voir que la course à l’investiture du parti républicain est actuellement dominée par un bouffon sinistre, Donald Trump, qui n’a aucune réserve à jouer la carte du populisme le plus primaire. Ses déclarations sur l’interdiction des musulmans sont en dessous de tout. Et il aura fallu un acteur, Harrison Ford, pour lui rappeler la différence entre la fiction et le réel.

On est également dans l’irréel le plus fou quand on considère la libre circulation des armes à feu aux États-Unis, une hydre que le gouvernement est incapable de contrôler – le veut-il seulement –, alors que le taux de meurtres par armes à feu atteint des proportions dignes de l’Afghanistan. Et chaque meurtre pousse de nouveaux fous à se monter un arsenal.

Et que dire du grand rêve de Martin Luther King? L’élection d’un Barack Obama avait permis de rêver qu’il règlerait la question raciale: mais sur les campus et dans les villes, la tension n’a pas été telle depuis 50 ans.

On assiste même depuis 20 ans à une montée en force de l’obscurantisme religieux à travers des sectes riches qui remettent tous les acquis de la science en question. Pour elles, le monde a réellement été créé en six jours. Ces sectes influencent même la politique étrangère. Au Canada, l’obscurantisme antiscientifique du gouvernement conservateur était distinctement d’inspiration évangéliste, comme l’expédition américaine en Iraq.

Il n’est pas question ici de se complaire dans ce que les Allemands appellent la Schadenfreude, c’est-à-dire une espèce de joie malveillante devant le malheur des autres, animés par un antiaméricanisme primaire. Même les Québécois qui n’aiment pas les Américains n’auraient aucun intérêt à voir cette grande nation s’effondrer. Ne serait-ce que par intérêt: car notre sort est lié à notre seul voisin. Si les États-Unis coulent, nous coulerons avec eux.

Malgré cette impression d’observer le déraillement d’un train au ralenti, l’erreur serait de ne voir que le pire. Les tendances centrifuges qu’on observe aux États-Unis sont compensées par une forme de liant qui tient toutes les parties ensemble.

Les États-Unis sont encore capables du meilleur: leurs savants, leurs créateurs, leurs inventeurs, leurs diplomates, leurs artistes continuent de s’illustrer. Même si les États-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient au moment de la chute du mur de Berlin, ils n’en demeurent pas moins un modèle à bien des égards, que tous tentent d’imiter.

Il y a presque deux siècles, le philosophe français Alexis de Tocqueville avait écrit une première description savante des États-Unis, La démocratie en Amérique. Il y expliquait comment cette société, qui avait inventé non seulement un nouveau mode de gouvernement, mais un nouveau mode économique et même un mode de pensée, comment cette société demeurerait toujours en équilibre précaire parce que, justement, elle n’a jamais voulu reposer sur un modèle stable garanti par une noblesse d’épée. Les États-Unis sont en fait un vélo qui demeure en équilibre tant qu’il roule.

Pris individuellement, un Donald Trump ne peut pas venir à bout des États-Unis. Même au temps d’un Tocqueville, le populisme médiocre à la sauce Donald Trump faisait déjà partie des meubles. L’érosion progressive de la classe moyenne est sans doute un problème plus grave. Dans son livre Effondrement, le professeur Jared Diamond avait fait une excellente analyse de ce qui amenait le déclin d’une civilisation. Il ne fait aucun doute que toutes les grandes civilisations carburent à une sorte d’orgueil qui les pousse à continuer à avancer tout en sachant que leurs choix sont invivables: c’est cette pesanteur, cette inertie, qui détruira les États-Unis.

Alors oui, les États-Unis s’autodétruiront, mais il serait présomptueux de croire que cela arrivera de notre vivant parce qu’un bouffon triomphe à l’investiture de son parti. Rome ne s’est pas faite en un jour, et elle ne s’est pas autodétruite en un jour non plus.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.