Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Travailleurs: la pénurie prévisible

Les commerces, les hôpitaux, les usines, les hôtels, les restaurants, les CHSLD ont un mal de chien à trouver du personnel et la population, de plus en plus mal servie faute de main-d’œuvre, en arrache. C’est l’enfer partout. Une pénurie qui s’annonçait tout de même depuis 20 ans! Il est plus que temps que gouvernements et employeurs se réveillent.



Où trouver du personnel? La question de la rétention et de l’embauche de travailleurs expérimentés, âgés de plus de 60 ans, revient chaque année dans les revendications du Réseau FADOQ, que ce soit avant chaque budget ou avant chaque élection. Mais les gouvernements et les employeurs continuent de dormir au gaz sur cette question pourtant cruciale. On est là et il est parfaitement désolant de voir tout le monde en mode rattrapage.

Cela fait 20 ans que les statisticiens et les démographes savent que le vieillissement de la population, totalement prévisible, aura des conséquences sur le marché de l’emploi. On sait même qu’on n’a pas encore touché le creux de la vague, prévu pour 2030. D’ici sept ans, il faudra remplacer 1,4 million de travailleurs!

Pratiquement rien n’avance alors même que toutes les études montrent que les Québécois âgés de 60 à 69 ans constituent LE réservoir de main-d’œuvre le plus important et le plus immédiatement accessible.

Contrairement à ce que croient bien des gens, le taux d’activité des Québécois est supérieur à celui des Ontariens pour toutes les catégories d’âge. Bref, ça travaille fort au Québec…, sauf dans le cas des 60 ans et plus, qui sont moins actifs qu’en Ontario – à un taux de 36% contre 42,7% en Ontario.

Selon les calculs du Conseil du patronat du Québec, il serait possible de remettre jusqu’à 90 000 travailleurs sur le marché de l’emploi simplement en comblant l’écart du taux d’activité chez les 60 ans et plus. Cela représente plus du tiers du fossé de 253 000 postes vacants. Mieux: il s’agit de travailleurs prêts à travailler demain matin, pour peu que les politiques d’embauche leur conviennent, ce qui n’est pas le cas.

Photo: Umit Yildirim, Unsplash

Tenir compte du réel

L’enjeu n’est évidemment pas de forcer tout le monde à travailler toute leur vie ni de rehausser l’âge légal de la retraite, mais simplement d’enlever les contraintes organisationnelles, administratives et juridiques pour ceux qui ont encore le goût et la pêche de travailler.

Embaucher et retenir les travailleurs expérimentés est à la fois logique et souhaitable. Logique parce que, dans l’histoire du Québec, ce groupe d’âge n’a jamais été aussi en santé, éduqué et formé. Souhaitable parce que le prolongement volontaire de la vie active menée dans des conditions saines apporte des bienfaits considérables pour la santé physique, mentale et financière.

Le gouvernement du Québec a une très grosse part de responsabilité dans ce gâchis – à titre de principal employeur et de régulateur du marché du travail. Mais pas que lui: la crise sanitaire et le recours universel au télétravail ont montré que les employeurs sont capables de se retourner très vite pour changer complètement les façons de faire. Devant une telle réactivité, on est bien obligé de se demander ce qu’ils attendent pour retenir leurs vétérans et en embaucher davantage.

Le gouvernement et les employeurs continuent de maintenir des politiques de ressources humaines détachées du réel et des besoins actuels de la société et des travailleurs.

Il fut un temps où il y avait trop de main-d’œuvre et des taux de chômage aberrants, de l’ordre de 25 à 30% chez les moins de 30 ans. Toutes les politiques visaient à retirer les personnes âgées du marché du travail pour faire de la place aux jeunes. La nouvelle réalité est que ce sont les travailleurs qui sont devenus rares. Mais les politiques des gouvernements et des entreprises ne se sont pas encore adaptées pour les maintenir au travail aussi longtemps que possible – dans la mesure du raisonnable.

Des gestes à poser

Le mal étant fait, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) réagit en lançant un programme pour la rétention et l’embauche de travailleurs expérimentés dans les secteurs les plus malmenés (construction, fabrication, commerce de détail, hébergement et restauration).

Dans un premier temps, le CPQ étudiera chez une trentaine d’employeurs exemplaires les pratiques porteuses qui favorisent réellement la rétention et l’embauche des travailleurs expérimentés. Dans un second temps, l’organisme accompagnera 90 entreprises sur deux ans pour la mise en place de ces mesures, en plus de produire une trousse pour les employeurs.

Parmi les mesures porteuses, le CPQ s’attend à voir beaucoup d’horaires atypiques, de temps partiel, de temps partagé et de mentorat. «Il y a beaucoup à faire dans l’organisation du travail», dit Karl Blackburn, le PDG du CPQ. «Mais ça doit aller de pair avec des mesures fiscales, des programmes et des règlements appropriés.»

Bref, il y aura beaucoup de travail dans la cour du gouvernement, notamment pour qu’il rende le cadre règlementaire moins contraignant pour les travailleurs expérimentés.

Trop de règles découragent la poursuite du travail après 64 ans. Le CPQ, par exemple, demande que les travailleurs expérimentés ne soient plus obligés de contribuer au Régime de rente du Québec après 66 ans et que l’âge obligatoire pour décaisser sa rente passe de 70 à 75 ans.

Les diverses formes d’assurances mises en place sont aussi en cause. La plateforme électorale du Réseau FADOQ donne l’exemple de l’indemnité de remplacement de revenu en cas de blessure grave ou invalidante. Celle-ci est réduite de 25% à 65 ans, 50% à 66 ans, 75% à 67 ans, et touche le zéro à 68 ans. Or, dans des secteurs où les blessures sont nombreuses, comme la construction, la fabrication et la restauration, ça n’a aucun bon sens.

Et que dire aussi du cadre du travail? Pendant trop longtemps, le gouvernement a laissé les employeurs se concurrencer sur la base des salaires et des avantages sociaux. Et c’est ainsi qu’on en est venu à demander à des gens de travailler pour de mauvais salaires, sur des horaires affreux, n’importe quel jour, parfois sans aucune protection ni contribution à des caisses de retraite ou d’assurance. Il faudra certainement que le gouvernement impose des conditions minimales de travail à des secteurs entiers, un peu à la manière de la Suède, qui régit l’ensemble du commerce du détail selon un cadre qui garantit de bonnes conditions, quel que soit l’employeur.

Finalement, le gouvernement doit prendre ses responsabilités en tant qu’employeur le plus important au Québec. Or, depuis trop longtemps, il encourage la retraite précoce de ses propres employés, à 61 ans, un an de moins que la moyenne des Québécois (moyenne qui inclut les employés de l’État).

Combien d’infirmières, d’enseignants, de directrices d’écoles, d’ingénieurs, de techniciennes de laboratoire quittent le système parce que le cadre juridique et les conventions collectives interdisent les horaires flexibles ou le temps partiel?

Comme employeur, le gouvernement aura donc intérêt à mettre en place immédiatement des pratiques exemplaires pour les travailleurs expérimentés. Et ça presse!

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.