La misère des retraites
Le gouvernement fédéral doit absolument revoir son projet d’augmenter de 10% la prestation pour la Sécurité de vieillesse (SV) pour les aînés de 75 ans et plus. Le Réseau FADOQ (550 000 membres), de concert avec deux autres grands organismes, qui représentent ensemble plus d’un million de retraités, dénonce cette mesure pour son caractère discriminatoire. L’annonce, qui était un des points saillants du dernier budget fédéral, crée deux classes de retraités: ceux qui ont plus de 75 ans et les autres. Et la mesure, injuste et mal pensée, ne va pas profiter aux plus pauvres.
Avec cette disposition qui répond à une obscure promesse électorale de 2019, le gouvernement introduit une discrimination fondée sur l’âge alors que, depuis sa création en 1952, le régime de la SV se veut universel.
Actuellement, toute personne de plus de 65 ans a droit à 618$ par mois.
Les écarts de rente sont actuellement fondés sur le revenu: si une personne gagne plus de 77 580$ par an, sa prestation diminue pour atteindre 0$ à 129 260$ de revenus.
L’autre nuance fondée sur le revenu concerne le Supplément de revenu garanti (SRG), lancé en 1967. Le prestataire vivant seul aura droit à une somme additionnelle maximale de 924$ par mois si son revenu est inférieur à 18 744$ – il y a d’autres seuils pour les ménages selon la nature du revenu.
De plus, les prestataires du SRG ont le droit de travailler et peuvent profiter d’une exemption totale ou partielle jusqu’à 15 000$ de revenu de salarié ou de travailleur indépendant.
Mais la mesure annoncée vient introduire une discrimination sur l’âge, laquelle n’est pas acceptable. La logique serait, semble-t-il, que les gens auraient plus de dépenses après 75 ans. Ce genre de distinction pourrait être justifié s’il existait des études qui le prouvent. Or, il n’y a rien. En réalité, les millions de personnes âgées de 65 et 74 ans ont aussi plus de dépenses. Un bon nombre d’entre eux, qui n’ont ni épargne ni régime de pension de leur employeur, ont du mal à joindre les deux bouts. Et ils sont nombreux à ne plus avoir ni le cœur ni la force de travailler. Proposer une hausse de prestations aux uns sans l’offrir aux autres n’a pas beaucoup de sens.
Et cette mesure, en plus d’être injuste, est mal pensée. Pourquoi donner 10% de plus à tous les aînés de 75 ans et plus, plutôt qu’à ceux qui en ont le plus besoin? S’il voulait réellement aider les moins nantis, il aurait dû d’abord majorer le SRG, qui est destiné à ceux qui n’ont rien, ou presque, plutôt que de majorer la prestation universelle de base des 75 ans et plus.
Et s’il voulait réellement régler le problème de pauvreté auquel il prétend s’attaquer, le gouvernement fédéral devrait augmenter tout de suite la prestation de base – et le SRG –, et ce, pour tous les prestataires sans égard à l’âge.
Ces deux mesures permettraient à un retraité touchant le SRG de gagner 19 848$ par an, soit la fourchette basse du seuil de pauvreté, établi entre 19 564$ et 21 132$ par an selon le lieu de résidence.
Notez bien qu’un prestataire qui n’a d’autre revenu que la SV et le SRG gagne 18 506$ par an, soit entre 5 et 12% de moins que le seuil de pauvreté, selon les deux extrémités de la fourchette. Et c’est encore pire si l’on sait que ce seuil de pauvreté, calculé sur la base de la Mesure du panier de consommation (MPC) de Statistique Canada, exclut la portion non couverte du coût des médicaments ainsi que les soins dentaires et oculaires.
Pingrerie universelle
En 2013, le comité d’experts sur le système de retraite du Québec, dirigé par l’actuaire Alban D’Amours, avait constaté que le taux de remplacement du revenu des retraités par les régimes publics correspondait à 41% du salaire moyen, contre 53% pour les pays de l’OCDE.
Malheureusement, le gouvernement fédéral ne fait rien pour corriger le problème: il contribue même à l’aggraver en «grattant la piastre» pour économiser sur le dos des prestataires.
La cagnotte de retraite (et/ou de vieillesse) des Canadiens est constituée de trois sources de revenus. La première: la SV (avec le SRG pour les moins nantis). Ce qui représente environ 16% d’un salaire moyen. Ce revenu est le seul qui soit universel et non lié au travail.
La nuance est importante, car les deux autres formes de revenus ne sont pas universelles. À commencer par celui de Retraite Québec (la fameuse RRQ); ou celui du Régime de pension du Canada (dans les autres provinces). Il s’agit de régimes publics, mais financés par les salariés et les employeurs, qui visent à couvrir environ 25% du salaire moyen de la personne. Donc on comprend que seules les personnes ayant travaillé y ont droit et que leurs revenus de ces régimes dépendent du niveau de salaire qu’ils avaient.
La troisième catégorie de revenus est le régime de pension de l’employeur et les autres épargnes individuelles (REER, CELI, RVER et autres). Encore là, rien d’universel. D’une part, à peine 35% des Québécois ont accès à un régime de pension de leur employeur. D’autre part, le niveau d’épargne est lié aux revenus de travail et à la situation financière, qui est très variable.
Depuis quelques années, Retraite Québec et le Régime de pension du Canada ont annoncé leur intention de bonifier le taux de remplacement du salaire de 25% à 33,3% du salaire d’ici 2065. C’est un grand pas pour nous rapprocher de la moyenne de l’OCDE.
Sauf que le gouvernement fédéral, lui, recule. Les hausses de la SV et du SRG suivent l’inflation, mais cela est insuffisant. Le rapport D’Amours a estimé que, d’ici 2052, la part fédérale dans le taux de remplacement du salaire baissera de 16% à 13% du salaire moyen. Autrement dit, le fédéral se traine la patte et annule une partie du rattrapage prévu à travers le système de rente.
Pour corriger le tir et vraiment aider les Canadiens de plus de 65 ans, le gouvernement fédéral doit faire deux choses.
D’abord, ajuster la SV et le SRG au seuil de pauvreté réel, alors qu’ils se situent en dessous de manière systématique. Pour ce faire, il doit élargir la hausse de 10% de la SV à tous les prestataires et ajouter 50% par mois au SRG.
Deuxièmement, le gouvernement devait rembourser les soins dentaires et auditifs et la proportion des médicaments non couverts des 65 ans et plus selon leurs revenus, via un crédit d’impôt remboursable, qui profiterait ainsi aux moins nantis.
À défaut de cette aide pour ces soins de santé, le gouvernement fédéral devrait actualiser sa mesure du seuil de pauvreté. Minimalement, il devrait ajuster le MPC de 7% pour tenir compte des frais de médicaments et de soins, qui sont exclus du calcul et qui ne sont pas réellement un luxe. Les connaissances économétriques ont beaucoup évolué. Par exemple, Statistique Canada, outre le MPC, a développé un autre barème, le MFR-50 (ménage à faible revenu), qui correspond à 50% du revenu médian des ménages. Ce système a l’avantage de suivre les revenus plutôt que l’inflation. L’Institut national de recherche socioéconomique a également mis au point un autre seuil, beaucoup plus juste, qui est fondé sur la notion de revenu viable assurant un niveau de vie digne sans pauvreté.
Les solutions existent. Et il est urgent que le gouvernement fédéral cesse d’essayer de faire des économies sur le dos des citoyens à faibles revenus qui mériteraient mieux en arrivant à leurs 65 ans ou à leur retraire que d’en arracher dans l’indifférence des élus fédéraux.