Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

La médecine à domicile, ça presse!

Cela fait 30 ans que l’on sait que tous les patients, quel que soit leur âge, préfèrent être soignés chez eux plutôt qu’à l’hôpital. Et alors que la population vieillit à vitesse grand V, le nombre de cas chroniques ou en morbidité s’alourdit. Or, parce que le système refuse de faire des actes médicaux à domicile, les hôpitaux et les groupes de médecine familiale (GMF) sont actuellement assaillis de cas de plus en plus nombreux et de plus en plus lourds. Et comme en témoigne la crise à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, le système centré sur l’hôpital ne suit plus.



Si les urgences débordent et que les services hospitaliers craquent de partout, c’est parce que, depuis 30 ans, la médecine à domicile est sous-développée au Québec.

Le système et les Québécois en auraient pourtant le plus grand besoin – à commencer par les soins intensifs à domicile (SIAD) sur le modèle de ce que le CLSC de Verdun a implanté.

Trois réalités distinctes

Pour bien comprendre ce qui se passe, précisons d’emblée que ce que l’on appelle «les soins à domicile» recoupe trois réalités distinctes, à ne pas confondre, et qui sont à des stades divers de développement.

1- Les services à domicile

Les «services à domicile» concernent l’aide à la personne – le ménage, l’entretien, habiller les gens, nettoyer. Ce sont des services de niveau «préposé aux bénéficiaires», dispensés par les 350 CLSC et 84 entreprises d’économie sociale d’aide à domicile (EÉSAD) et une nuée d’organismes à but non lucratif (OBNL) en tout genre, y compris un grand nombre de résidences pour aînés. Rien que les 84 EÉSAD embauchent presque 10 000 préposés. Ça fonctionne même si le financement manque.

2- Les soins à domicile

Les «soins à domicile» proprement dit, de niveau infirmier, concernent des malades qui ne nécessitent pas une réévaluation médicale fréquente. On change un pansement, on fait une prise de sang, on vérifie la pression. Ces soins sont coordonnés par les quelque 350 CLSC qui les dispensent, avec le soutien de divers organismes et entreprises. Le système est en mode rattrapage à cet égard, mais il est structuré.

3- Les soins médicaux à domicile

Là où ça accroche réellement, c’est au niveau des «soins médicaux à domicile». Sur les 9800 omnipraticiens québécois, on n’en compte pas plus d’une vingtaine d’«équivalents temps plein» qui dispense de tels soins pour tout le Québec.

Si les urgences débordent et que les services hospitaliers craquent de partout, c’est parce que, depuis 30 ans, la médecine à domicile est sous-développée au Québec. Photo: Unsplash

Un modèle à suivre

C’est au CLSC de Verdun, à travers les SIAD, que la médecine à domicile est la plus développée au Québec. Quelques autres CLSC offrent des SIAD. Certains CLSC, comme celui de Windsor, en Estrie, coordonnent avec leur groupe de médecine de famille universitaire (GMF-U) un service de médecine à domicile, mais de manière non systématique. Et c’est absolument tout. Rien d’autre.

Les SIAD ne s’adressent pas à tout le monde. Ils ciblent une clientèle précise: les gens en fin de vie, ceux qui ont besoin de soins palliatifs en oncologie, ceux qui souffrent d’une insuffisance cardiaque ou d’emphysème qui exige de l’oxygène, ou ceux qui ont d’autres organes qui flanchent.

Ces patients ont besoin d’un suivi médical continu pendant de longs mois, mais pas assez pour que l’hôpital veuille les garder. Les SIAD assurent une garde 24/7 et la coordination entre les infirmières, les médecins et divers intervenants comme le 911. Si le patient étouffe ou entre en convulsion, l’infirmière ou l’ambulancier contacte le médecin qui visite ou prescrit par téléphone un nouveau dosage ou un traitement différent.

Rien que sur le territoire du CLSC de Verdun, ils sont 1200 sur la liste qui sont suivis par les 14 médecins des SIAD et qui assurent trois «équivalents temps plein». Certains patients sont vus chaque jour, parfois plus d’une fois. Et pour 65% des cas, on évite ainsi l’hospitalisation parce que les patients sont tout simplement suivis en amont de l’urgence.

Là où il n’y a pas de SIAD ou de soutien médical à domicile, que se passe-t-il? C’est simple. Si le patient va bien, le système de soins infirmiers réguliers suffit. Si le patient voit sa condition empirer et qu’un acte médical est requis, l’équipe infirmière ne peut rien, sauf d’appeler l’ambulance ou de l’envoyer voir son médecin. Et c’est précisément le genre de cas lourd qui, s’il n’est pas traité en amont, vient occuper des lits aux urgences et remplit des étages. Une fois que le patient est stabilisé, l’hôpital le retourne à la maison – jusqu’à la prochaine urgence, le jour ou la semaine suivante.

Lorsqu’il avait annoncé son plan de redressement du système médical l’automne dernier, le ministre Christian Dubé avait promis d’élargir la formule des SIAD à tout le Québec. Il suffirait, avait-il dit, de 200 médecins – ou plus précisément de 200 «équivalents temps plein» – pour couvrir le Québec.

Or, le développement des SIAD est à nouveau bloqué parce que le ministère leur préfère l’hospitalisation à domicile.

En soi, l’hospitalisation à domicile n’est pas une mauvaise idée. Plusieurs pays la développent, mais c’est après avoir d’abord développé la médecine à domicile. En voulant développer l’hospitalisation à domicile sans rien faire pour la médecine à la maison, on met la charrue devant les bœufs.

Pour avoir droit à l’hospitalisation à domicile, le patient devra répondre à une série de critères:

1) résider à moins de 10 km de l’établissement de santé;
2) avoir du soutien à la maison;
3) occuper un habitat propice aux soins et où l’on pourra brancher les appareils requis;
4) avoir une condition permettant un suivi à distance par moniteur ou caméra pour une partie.

(Les SIAD n’ont aucun de ses critères.) Et ce sont les médecins et les infirmières de l’hôpital qui se déplaceront – à grands frais, faut-il préciser.

Il est aberrant que l’on puisse imaginer qu’un système hospitalier débordé se désengorgerait en utilisant ses propres ressources défaillantes pour donner des soins très particuliers qui ne touchent que des cas d’exception.

La chose logique à faire serait de confier à des équipes de médecins ambulants la tâche de voir les patients dont on sait qu’ils reviennent dans le système semaine après semaine durant de longs mois. Évidemment, il y a plein de gens qui ont besoin d’aller aux urgences de manière imprévisible, mais les patients en fin de vie, qui demandent beaucoup de services, sont facilement identifiables et leurs problèmes sont même prévisibles. Si on veut désengorger durablement les urgences sans cesser de soigner les gens, travailler en amont de l’urgence est la seule chose à faire.

De puissants groupes d’intérêts s’y opposent

Cela fait 30 ans que le gouvernement parle de ramener la médecine à domicile, qu’il s’agisse du «virage ambulatoire», des SIAD et plus récemment de l’hospitalisation à domicile. Chaque fois, le projet meurt dans l’œuf.

Les raisons du sous-développement de la médecine à domicile au Québec sont multiples.

La première s’appelle la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). La FMOQ est, de facto, un syndicat qui joue de son influence pour imposer au gouvernement des conditions de pratique à l’avantage de ses membres, qui préfèrent l’hôpital et le bureau. Depuis 2007, toutes les politiques de rémunération des médecins favorisent la médecine hospitalière ou en clinique, à l’encontre de la pratique domiciliaire.

Mais que fait le gouvernement? Ne peut-il rien imposer? Il le pourrait, certes, mais à deux conditions: il faut un ministre convaincu et un ministère qui accepte. Gaétan Barrette a voulu des SIAD, tout comme Christian Dubé, mais tous deux se sont butés aux diverses directions ministérielles. Il y a dans ce blocage beaucoup de postures idéologiques et de groupes d’intérêts qui ne voient justement qu’à leurs intérêts au détriment de l’ensemble.

La troisième raison, la gestion en silo, découle de la précédente. La coordination des acteurs – CISSS/CIUSSS, hôpitaux, CLSC, GMF/GMF-U, organismes et entreprises en tout genre à commencer par le 911 et le 811 – est très difficile. Les dossiers circulent mal, les décisions sont constamment remises en question. Si le SIAD de Verdun fonctionne depuis 15 ans, c’est aussi en raison de sa culture unique qui assure une collaboration entre tous les acteurs du territoire. On ne voit pas beaucoup cela ailleurs et ce genre de problème ne se règle pas par décret.

On peut rêver en couleur au Docteur Marcus Welby, pour reprendre le titre d’une populaire série des années 1970. Mais il faudra bien des changements pour qu’un jour 1000, 2000 «Marcus Welby» québécois partent chaque matin avec leur petite valise pour effectuer des visites de routine à domicile sur appel – comme cela se fait en France ou ailleurs.

Au lieu de se braquer avec sa nouvelle marotte d’hospitalisation à la maison, le gouvernement serait mieux avisé de commencer par le commencement: les cas les plus lourds, en fin de vie, déjà identifiés, et qui demandent relativement peu de ressources en amont de l’urgence. C’est une question d’humanité et de bon sens.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.