Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

La culture Dolan

Nous devrions tous être fiers des honneurs qui pleuvent sur Xavier Dolan, qui vient de recevoir le Grand prix du Festival de Cannes pour son dernier film, Juste la fin du monde.



Xavier Dolan le doit d’abord à son génie et à son énergie hors normes. Mais, derrière ce prix cannois, il y a des politiques culturelles, sous forme de bourses, de crédits d’impôt, de mécanismes de perception, de redistribution, de politique audiovisuelle, de politique de l’édition – que les gouvernements à Ottawa et à Québec s’apprêtent à réviser de fond en comble.

Photo: Facebook Juste la fin du monde
Photo: Facebook Juste la fin du monde

Et derrière ces politiques culturelles, il y a aussi un peuple qui constitue un écosystème où un Xavier Dolan peut exister. Les Canadiens anglais, même s’ils ont des politiques culturelles similaires à celles du Québec, n’ont jamais accouché d’un Xavier Dolan pour la simple raison que Xavier Dolan n’est pas possible à Toronto.

Si l’audiovisuel canadien est largement québécois, c’est d’abord parce que les Québécois tiennent, davantage que les autres Canadiens, à se voir et à s’entendre au cinéma, à la télé et à la radio. Cela se manifeste de manière évidente dans le fait que le Québec a doublé le système canadien en se dotant de ses propres politiques culturelles, à commencer par son propre Conseil des arts et une Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), unique en son genre.

La culture est gérée par un ministère dédié, mais elle est foncièrement identitaire. C’est à travers sa production artistique qu’un peuple exprime ses aspirations, construit sa vision du monde et produit les monuments qui résisteront au passage des siècles, bref, rayonne. La culture renouvelle et actualise ce que l’on donne en pâture à nos élèves et à nos étudiants. Elle sert aussi de carte de visite à nos diplomates, à nos PDG et à nos chefs d’État. La culture est le liant du tissu social. Rien ne fait sens en dehors d’elle: elle est partout parce qu’elle est tout.

C’est pourquoi nous profitons de la victoire de Xavier Dolan pour servir un avertissement aux ministres responsables de la culture: Madame Joly, Madame David, ne ratez pas vos réformes des politiques culturelles!

Certes, les deux Conseils des arts, à Ottawa et à Québec, ont su réviser la totalité de leurs programmes et de leurs procédés. Ils ont éliminé l’exigence de recevoir toutes les demandes pour un programme à date fixe. Un auteur, par exemple, a besoin d’une bourse d’écriture au moment où il obtient son contrat d’édition, et non pas une fois par année, le 1er avril. Il est tout à l’honneur des deux Conseils des arts de l’avoir compris.

Mais, la politique culturelle va très au-delà des bourses et des crédits d’impôt: c’est un facteur qui touche le droit d’auteur, les écoles, les universités, les politiques de radiodiffusion, voire la diplomatie culturelle. Une telle révision de la politique culturelle doit impliquer une demi-douzaine de ministères: celui de la Culture, certes, mais aussi celui de l’Industrie, de l’Éducation et de la Diplomatie. D’autant plus que cette réforme devra tenir compte du nouvel environnement technologique, qui bouleverse la façon dont la culture est produite, diffusée et rentabilisée.

De tels enjeux et pareil nombre d’acteurs donnent aux deux ministres responsables toutes les occasions de briller. Mais ils leur fournissent aussi toute la corde qu’il leur faut pour se pendre.

On se rappellera qu’en 2012, les prédécesseurs des ministres actuels ont totalement manqué le bateau dans la modernisation de la Loi sur le droit d’auteur. Le gouvernement fédéral avait alors «affaibli» le droit d’auteur canadien en autorisant l’utilisation de produits créatifs à des fins éducatives sans compensation. Les créateurs sont sortis meurtris de cette opération.

Malgré la complexité apparente des enjeux, la réalité de la création est simple: le premier organisme subventionnaire de la culture, c’est d’abord ses artisans, et rien n’existerait sans eux. Les artistes ont besoin du mécénat public, certes, mais tout autant de mesures qui ne leur nuisent pas.

Les gouvernements sont les seuls à pouvoir agir sur le cadre légal et réglementaire de l’action artistique. La réforme de la politique culturelle, avant de se soucier des gadgets, devrait commencer là. C’est pourquoi, les réformes qui se préparent, peu importe leurs ramifications, devront s’appuyer sur trois impératifs:

1) Le renforcement du droit d’auteur, pour permettre aux créateurs (et aux ayants droit) de tirer un revenu décent du fruit de leur travail.

2) L’imposition d’un nouveau cadre aux grandes plateformes de diffusion, par exemple, Netflix, Apple Music, Spotify ou autres iTunes. Dans le système actuel, qui s’apparente au Far West, les artistes ne reçoivent presque rien – parfois moins d’un dollar pour 100 000 téléchargements. Cela n’aurait pas lieu d’être.

3) Le développement des mécanismes de contrôle et de perception pour les détenteurs de droits d’auteur. Le Web facilite énormément la diffusion des produits culturels. Il appartient au gouvernement d’imposer des mesures de contrôle.

Il en va des Xavier Dolan de demain.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.