Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Indécence olympique. Le revers de la médaille

La tenue des Jeux olympiques d’hiver de 2022 à Beijing, à partir du 4 février prochain, nous amène à nous poser de sérieuses questions sur l’importance que l’on attribue au sport d’élite. Ces Jeux olympiques d’hiver n’auraient jamais dû se tenir en Chine et le Canada n’aurait jamais dû accepter d’y participer. Mais ce problème en cache un autre, qui nous force à nous demander si l’olympisme a encore un sens.



Le sport et la politique sont liés depuis toujours. Déjà, en 1896, l’organisation des premiers Jeux de l’ère moderne en Grèce témoignait de la volonté de ce pays de montrer qu’il pouvait se moderniser. Mais le festival Poutine des Jeux de Sotchi en 2014 nous a montré que la propagande étatique pouvait descendre très bas.

Il y a quelque chose d’indécent à ce que ces Jeux se tiennent en Chine. Certes, ce pays, en se proposant comme l’alternative entre l’Est et l’Ouest durant la Guerre froide, a longtemps incarné un certain idéal tiers-mondiste. Mais depuis, la Chine s’est poussé une place parmi les puissants et elle se comporte davantage comme une intimidatrice prête à tout pour se mettre en avant.

Le problème n’est pas tant la manière douteuse dont le gouvernement chinois a géré l’apparition de la COVID, ou sa diplomatie d’otages – les deux Michael – envers le Canada. Ni sa façon d’accuser le Canada pour l’arrivée d’Omicron chez elle. Le problème est qu’on est devant un état totalitaire qui ne respecte plus rien, à commencer par les droits de la personne, et pas même sa propre signature au bas des accords internationaux.

Mis à part le cas des Jeux de Moscou en 1980 (boycottés par tous les pays occidentaux) et ceux de l’Allemagne en 1936, on n’a jamais tenu de Jeux olympiques dans un État avec des pratiques génocidaires ouvertes. Comme si le sort de la minorité ouïgoure, parquée dans des camps de concentration (appelé camp de rééducation), n’était pas suffisant, souvenons-nous également de la vieille occupation du Tibet et de la manière sauvage dont le parti communiste chinois a cassé les velléités démocratiques de Hong Kong malgré tous ses engagements contraires.

Et que dire encore de la menace militaire chinoise sur toute la région, en mer de Chine d’abord? Toute la zone est menacée d’une guerre à plus ou moins brève échéance, qui pourrait facilement dégénérer en conflit mondial.

Les Jeux de Séoul en 1988 s’étaient tenus dans un pays qui n’était pas encore une démocratie, mais qui se destinait à l’être et qui l’est devenu. Mais le parti communiste chinois ne donne aucun signe de relâcher sa poigne. Selon Reporters sans frontières, la Chine est même championne pour le nombre de journalistes détenus, 127, soit plus du quart de tous les journalistes emprisonnés dans le monde!

Il faut donc se désoler de l’action timide du Canada, qui s’est rallié à un simple boycottage diplomatique orchestré par les États-Unis, avec le concours de l’Australie, du Royaume-Uni, du Danemark et des Pays-Bas. Mais on ne peut pas attendre la Lune à une époque où des chefs de gouvernement envoient leur ministre des Finances faire la danse du ventre au commissaire de la LNH et où Québec construit un amphithéâtre de 400 millions $ pour une équipe inexistante.

On ignore encore la taille de la délégation canadienne, qui ne sera dévoilée que le 25 janvier, mais si on se fie aux Jeux de Pyongyang en Corée en 2018, elle devrait compter environ 600 personnes, dont un bon tiers d’athlètes et le reste d’employés et de représentants des fédérations sportives.

Jean-Luc Brassard est l’un des rares ex-athlètes canadiens à prôner ouvertement le boycottage olympique de la Chine. Mais devant la veulerie généralisée du gouvernement, des fédérations sportives et des athlètes eux-mêmes, on est bien obligé de conclure, à l’instar de Jean-Luc Brassard, que tout ce beau monde n’a ni principe ni conscience politique.

Photo: Depositphotos

L’olympisme en question

Les athlètes et leur fédération défendent habituellement leur manque d’épine dorsale en ces termes: «On fait du sport, pas de politique.» Sauf que l’olympisme est avant tout politique, et quand il n’est pas politique, il incarne une forme de parasitisme à faire pleurer Pierre de Coubertin.

Si on fait abstraction du cas chinois, c’est tout l’idéal olympique que le Comité international olympique (CIO) a dévoyé. Malgré leur apparence sportive, les JO sont avant tout un immense studio dont l’enjeu premier est le profit du CIO. Accessoirement, il sert aussi de vitrine publicitaire pour la ville-hôtesse et de plateforme propagandiste pour les pays participants.

Sans oublier les coûts astronomiques de cet événement sportif, qui met à mal les finances des pays hôtes, surtout en regard de leurs problèmes sociaux. Le Québec a mis des années à se soigner de sa facture olympique. Le Brésil s’est quasi effondré sous l’effet de la facture des Jeux de Rio en 2016. Et que dire des 55 milliards $ qu’ont coûté les Jeux de Sotchi alors même que les Russes voient leur espérance de vie diminuer depuis 30 ans?

On ignore combien a coûté la délégation canadienne à Pyongyang en 2018 et on ne le saura guère plus pour Beijing. C’est parce que le CIO est une mafia, qui noyaute tout le sport amateur et qui gère sa marque dans une opacité quasi totale. Les villes-hôtesses sont liées au CIO par un contrat secret qui permet au Comité de drainer les profits des activités les plus lucratives comme les contrats de télédiffusion, et de porter toute la dette au budget de la ville-hôtesse. Quant aux comités olympiques nationaux, dont celui du Canada, ils sont tous très largement financés par le CIO, qui dicte ses conditions – à commencer par l’omerta olympique.

Jean-Luc Brassard a d’ailleurs bien raison de dire que ce sont les championnats mondiaux de chaque discipline, beaucoup plus modestes, qui incarnent le mieux l’esprit olympique.

Heureusement, le bon sens commence à poindre. Les villes-hôtesses sont, depuis 20 ans, moins nombreuses à se porter volontaires. À cause de la malédiction financière du contrat toxique du CIO, mais aussi à cause de ses pratiques de corruption.

Vous souvenez-vous de Québec 2002? Québec, pourtant favorite, a perdu les Jeux parce qu’elle n’a pas joué «le jeu». C’est finalement Salt Lake City qui avait remporté la mise en soudoyant les membres votants du CIO (avec des bourses universitaires offertes à leurs enfants). C’est ça, le jeu du CIO.

Depuis ce scandale et d’autres encore, on ne se bouscule plus au portillon et les villes-hôtesses sont de plus en plus réticentes à céder au chantage du CIO. Pour les Jeux de 2024, que se disputaient Paris et Los Angeles, le CIO a même dû se résoudre à couper la poire en deux. Paris recevra ceux de 2024, et Los Angeles, ceux de 2028.

Mais faudra-t-il attendre que seules des dictatures soient candidates pour finalement entendre raison? Malheureusement, la planète olympique s’est à nouveau laissée embobiner et vient de rater une belle occasion d’un grand nettoyage.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.