Monsieur Barrette, ne fermez pas le bureau du Commissaire à la santé et au bien-être!

Monsieur Barrette, ne laissez pas le Conseil du Trésor fermer le bureau du Commissaire à la santé et au bien-être le 13 août prochain. Cet office, créé en 2005, fait un travail utile d’évaluation de votre ministère et de ses établissements.



Certes, le Commissaire vous irrite parce qu’il dit des choses «que vous savez déjà».

Mais nous aimons bien, nous aussi, le savoir – nous qui ne sommes ni médecin ni ministre, mais de vulgaires citoyens et bénéficiaires. Nous trouvons utile de savoir que si nous attendons cinq heures à l’urgence, ce n’est pas faute d’argent ou de ressources, mais simplement parce que le service est mal organisé.

Le Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE) ne coûte pas cher: 2,7 millions de dollars par année. Le gouvernement ontarien, lui, dépense 30 millions par année pour une agence similaire, dont le mandat principal est d’évaluer le rendement du service de santé.

Faut-il voir dans l’irritation du ministre le dernier avatar d’une culture médicale qui résiste furieusement à l’évaluation? En Ontario, 66% des médecins acceptent de faire évaluer leur performance clinique, contre 13% au Québec!

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Au Québec, qui évalue la performance du principal poste budgétaire du gouvernement?

Robert Salois, qui est le Commissaire à la santé et au bien-être en titre, fait un travail très différent de celui du Vérificateur général, dont le regard est strictement comptable. Quant au Commissaire aux plaintes, il n’examine pas les milliers de cas de ceux qui endurent sans se plaindre. Seul le CSBE examine les statistiques de rendement sous le strict angle de la gestion de la santé.

Si le CSBE ferme le 13 août comme prévu, la tâche d’examiner la performance du ministère incombera au ministère… Certes, le CSBE fait double emploi par rapport au ministère. Mais il en va de même pour le Vérificateur général, qui fait double emploi par rapport au ministère des Finances! Se priverait-on d’un vérificateur général indépendant sous prétexte que son office redondant coûte quelques millions? Évidemment, non: il est là parce qu’il est redondant. Et c’est le même raisonnement pour le CSBE.

Et c’est grâce à la dernière «Étude comparative des urgences du Québec», rendue publique début juin par le CSBE, que l’on apprend le bilan atroce des urgences des hôpitaux québécois, les pires du monde occidental. Un patient sur trois y attend plus de cinq heures pour être vu par un médecin. Et ce bilan calamiteux serait encore pire si un patient sur dix n'était pas rentré chez lui avant d’avoir vu le médecin!

Mais si on lit bien ce rapport, c’est son aspect constructif qui ressort, puisqu’il nous informe que les problèmes actuels ne sont pas une fatalité, et qu’il ne s’agit que d’une moyenne. Car 20 des 113 urgences du Québec sont très bonnes, comme celle de l’Hôpital général juif, de l’Hôtel-Dieu de Lévis ou de Sainte-Croix à Drummondville.

Bref, la dernière étude du CSBE nous invite à nous inspirer de ce qui se fait de mieux ici. Nul besoin, donc, d’envoyer nos médiocres gestionnaires d’hôpitaux étudier les modèles danois ou britannique: il suffirait de leur organiser un stage à Lévis ou à Drummondville!

Cet espoir est de loin la dimension la plus fascinante du dernier rapport: on est capable!

Le dernier rapport du CSBE nous renseigne noir sur blanc que le défaut des urgences québécoises est strictement affaire d’organisation, pas de moyen. Robert Salois a visité cinq établissements parmi les meilleurs. Ceux-ci ont tous en commun une obsession de la direction générale d’offrir le meilleur service, de mobiliser médecins et personnel infirmier dans ce sens et de mesurer la performance pour améliorer le système.

Cela paraît une évidence, mais les mauvaises urgences font toutes le contraire: personne ne mesure rien, l’urgence est gérée en silo, les résultats des tests de laboratoires arrivent trop tard, et aucune décision de chirurgie n’est prise entre 8h et 16h parce que le chirurgien-chef passe à 7h30 et à 16h30.

Mieux organiser le service ne coûte pas un sou de plus. Sauf en ce qui concerne le cas des 1000 patients guéris qui occupent un lit d’hôpital en attendant une place en CHSLD. Mais même pour ce lourd problème, les meilleures urgences trouvent des solutions.

À deux mois de voir tomber la guillotine sur cette agence ô combien utile, espérons que le ministre Barrette ne laissera pas le dernier rapport du CSBE demeurer le dernier et qu’il aura le courage de laisser mesurer la performance de son ministère en toute indépendance.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.