Éducation: adultes recherchés

«Les jeunes ne s’attendent pas juste à un service. Ils nous observent comme adultes.»

C’est en ces termes que le juge Michel Jasmin de la Chambre de la jeunesse commentait les interventions des avocats, des travailleurs sociaux et des parents à ce tribunal dont le but premier est le bien-être de l’enfant. Son observation s’applique à merveille à l’éducation, alors qu’une énième grève d’enseignants se prépare sur fond d’austérité.

Car voilà: à force de tirer la couverture dans ce qui a tout l’air d’une chicane de cour de récré, chacun – parent, enseignant, syndicaliste, commissaire scolaire, fonctionnaire, sous-ministre, ministre, premier ministre – oublie qu’il donne un bien mauvais exemple à la jeunesse. Certes, tout le monde fait sa job, mais qui au juste se comporte en adulte?

Dans ce très mauvais film dont nous sommes tous les héros, tout le monde a d’excellentes raisons de jouer le rôle qu’il tient. Les parents veulent ce qu’il y a de mieux pour leur enfant. Les enseignants mal payés reçoivent une charge de plus en plus lourde. Les commissions scolaires sont prises entre l’arbre et l’écorce. Et le gouvernement doit faire au mieux avec l’argent des contribuables.

Mais chacun a également ses torts: dans un établissement de 1000 élèves, il est fréquent de ne voir que 15 ou 20 parents se présenter à l’assemblée de parents. Les enseignants, les éducateurs, les directeurs ne sont pas tous bons, dévoués ou compétents. Les commissions scolaires surpolitisées se cherchent une pertinence. Et le gouvernement ne sait pas où il va.

Peut-être le temps est-il venu d’une nouvelle commission royale d’enquête sur l’enseignement, comme celles de 1961-1963, pour retrouver la poignée de la casserole.

C’est que le monde a bien changé depuis la création du ministère de l’Éducation en 1964. Internet, le web 2.0 et les technologies de l’information chamboulent toutes les méthodes. L’enfant est devenu roi. Les syndicats d’enseignants, devenus très puissants, sont plus corporatistes que professionnels. Les écoles privées conventionnées, qui auraient dû n’être qu’un épiphénomène, écrèment le marché. Les fonctionnaires ont confondu l’éducatif et le psychosocial. Le ministère de l’Éducation réforme les programmes plus vite que les enseignants les appliquent. On a créé les centres de la petite enfance, qui se veulent universels et pour lesquels les places sont limitées. Les taux de décrochage et d’illettrisme demeurent honteux. Et on ne parle même pas ici de l’enseignement supérieur – cégeps et universités – tout aussi dysfonctionnel, sous-financé, négligé. Sans compter l’attentisme du gouvernement, dont on ne sait s’il joue à l’autruche ou s’applique un programme qu’il ne veut pas dévoiler.

Les Québécois ont néanmoins une chance à saisir. Quand on considère les ressources matérielles, financières et humaines consenties, le travail consiste davantage à resserrer des boulons qu’à tout refaire. En 1964, c’est à coups de milliards qu’il fallait bâtir polyvalentes et cégeps et embaucher des dizaines de milliers d’enseignants. Cinquante ans plus tard, il s’agira – par exemple – de professionnaliser l’enseignement (on professionnalise bien la massothérapie), ou de s’entendre sur les exigences du programme – la liste des possibles est longue.

Le manque de leadership du gouvernement est ici flagrant. Il est troublant de constater qu’il n’a formé que deux commissions d’enquête depuis 2010, alors qu’elles étaient relativement courantes avant 2000. En fait, ce peu d’enthousiasme du gouvernement à enquêter sur les grandes politiques publiques nous ramène aux années sombres de l’Union nationale (deux commissions d’enquête en une décennie). Il est totalement anormal que l’action gouvernementale se fonde sur autant d’à-peu-près.

Il est donc urgent que le gouvernement nomme rapidement une personnalité de confiance à qui l’on donnera des pouvoirs et deux années pour entendre les parties prenantes et proposer des solutions applicables. On organise bien des commissions d’enquête pour quelques scandales de construction ou encore deux ou trois «accommodements raisonnables». Une commission d’enquête sur l’avenir de notre système éducatif ne serait pas un luxe.

Car l’enjeu, c’est l’avenir d’une nation minuscule qui n’aura jamais la force du nombre. Comment faire pour que chaque tête québécoise vaille deux têtes canadiennes, françaises, américaines? C’est le défi que nos grands-parents ont brillamment relevé au début des années 1960. Et c’est à nouveau l’exemple que nous devons donner à nos enfants.

Trouver le bon commissaire demandera du doigté, mais les candidats crédibles sont nombreux. On oublie trop souvent que le président de cette fameuse Commission royale d’enquête sur l’enseignement, créée en 1961, était un monseigneur, Alphonse-Marie Parent. Ce prêtre issu du sérail fut l’homme qui proposa la réforme du système dont il était pourtant le pur produit. En 2015, le bon candidat pour réaliser ce travail existe et il évolue dans le système.

La seule chose qui reste à voir, finalement, c’est si les intervenants dans ce dossier seront capables de se comporter en adultes. Chacun devra non seulement défendre ses intérêts, mais accepter ses torts ET prendre ses responsabilités devant le constat et les recommandations. Cela fait beaucoup, mais c’est généralement ce qu’on demande aux adultes. Plus qu’un système éducatif performant, c’est l’effort de le réaliser qui aura été, finalement, le meilleur exemple à donner à nos enfants et aux générations futures.

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.