Pas de pitié pour les aînés

Québec et Ottawa ont tour à tour infligé un soufflet aux aînés la semaine dernière. Explications de Jean-Benoît Nadeau.



Québec et Ottawa ont tour à tour infligé un soufflet aux aînés la semaine dernière. Le ministre Girard a annoncé la disparition du crédit d’impôt de 1400$ promis aux travailleurs de 60 à 64 ans. Et tout ça sur fond de pénurie de main-d’œuvre! Mais les aînés n’étaient pas au bout de leurs peines. Justin Trudeau a fait une annonce de père Noël le 21 novembre, annonçant un congé de taxe sur les produits et services (TPS) et un chèque de 250$ qui sera envoyé en avril aux travailleurs canadiens qui font moins de 150 000$ par année. Et vous serez sans doute étonné de savoir que les millions d’aînés qui n’ont pas travaillé en 2023 n’y auront pas droit! Quand on connaît la précarité financière d’un grand nombre de retraités… Non seulement cette annonce qui arrive de nulle part est condamnable par son côté parfaitement arbitraire, mais elle est tout aussi irresponsable qu’électoraliste. Et elle se soldera par une facture de 6,3 milliards $! Quand on pense à tous les besoins criants et au refus du gouvernement de majorer le Supplément de revenu garanti (SRV) pour les aînés les plus démunis…

Des cadeaux empoisonnés

L’annonce de Justin Trudeau comprend un cadeau de Noël et un coco de Pâques. Pour commencer, il souhaite suspendre la TPS pour une période de deux mois du 15 décembre au 15 février. Pendant cette période, il n’y aura plus de TPS sur les chips, les gâteaux, la bière, le vin, votre facture de resto et de bar, les vêtements, les couches et bien sûr les arbres de Noël.

Cette mesure dont profiteront également les aînés coûtera 1,6 milliard $, estime-t-on à Ottawa. En fait, elle pourrait même coûter plus cher si les consommateurs canadiens en profitent pour anticiper leurs dépenses afin de stocker plus de chips, de bière et de couches.

La seconde mesure est celle du bon vieux chèque électoral pudiquement appelé «remise pour les travailleurs canadiens». Au début du printemps, 18,7 millions de Canadiens qui ont travaillé en 2023 recevront un beau coco de Pâques sous la forme d’un beau chèque de 250$. Coût du coco: 4,7 milliards $. Cette remise exclura toutefois les aînés qui n’ont pas travaillé… mais qui continuent de payer des impôts, qui votent aussi et dont le revenu est pour un grand nombre insuffisant pour faire face au coût de la vie.

Mis ensemble, le cadeau et le coco coûteront la bagatelle de 6,3 milliards $ qui seront saupoudrés sur l’électorat canadien sur une période d’un peu plus de quatre mois.

Si l’on fait abstraction du camouflet servi aux aînés, on est saisi de vertige devant un tel déni du bien commun. Le chèque, en particulier, n’est qu’une vulgaire opération de saupoudrage d’argent que les contribuables ont versé en impôt afin que l’État assume ses responsabilités. Comment comprendre que le gouvernement libéral retourne à certains, mais pas à d’autres?

Et l’on sait depuis les élections québécoises de 2022 combien ce genre de cadeau est empoisonné. Rappelez-vous: le premier ministre François Legault avait assuré sa réélection avec deux chèques de 500$ qui ont coûté 7 milliards $ au trésor public qui n’arrive pas à maintenir correctement les services de santé, d’éducation, de logement ou même de francisation des immigrants.

Le gouvernement fédéral persiste à ne pas honorer sa promesse d’augmenter les prestations mensuelles du Supplément de revenu garanti (SRG) pour les 65 ans et plus qui gagnent moins de 22 000$ par an (!), soit le seuil de la pauvreté. Photo: Depositphotos

Que faire avec 6,3 milliards $?

Qu’est-ce que Justin Trudeau aurait bien pu faire avec 6,3 milliards $? Il aurait pu aider les provinces à financer, sans conditions, plus de logement social. Il aurait pu faire un cadeau aux systèmes de santé provinciaux, déjà saccagés par les coupes dans les transferts fédéraux. Il aurait aussi pu garder l’argent dans sa cour – en entretenant mieux les infrastructures fédérales.

Mais tant qu’à émettre un chèque, pourquoi ne pas l’avoir réservé aux plus démunis, aux aînés, aux familles monoparentales, à qui l’on aurait pu remettre bien davantage que 250$? Non, l’argent ira aux travailleurs, incluant les «pauvres citoyens» qui gagnent jusqu’à 149 999$ par an! Donc un couple gagnant un revenu familial de 200 000$ ou 280 000$ recevra 500$, mais l’aîné qui n’a que ses rentes publiques pour vivre n’aura droit à rien!

Ce mauvais plan, indigne et bête, révèle également une sorte d’indifférence à l’endroit des aînés, qui ont pourtant les mêmes dépenses que tout le monde.

La claque est d’autant pénible, rappellent les organismes comme le Réseau FADOQ, que le gouvernement fédéral persiste à ne pas honorer sa promesse d’augmenter les prestations mensuelles du Supplément de revenu garanti (SRG) pour les 65 ans et plus qui gagnent moins de 22 000$ par an (!), soit le seuil de la pauvreté. Et il refuse obstinément de réparer une autre injustice de 2022 alors qu’il avait réservé aux personnes de plus de 75 ans la bonification de 10% de la rente de la Sécurité de la vieillesse. Désolé, on n’a pas d’argent!

Le tordeur à Québec

Les aînés sont également les premiers à passer dans le tordeur à Québec. Dans sa mise à jour économique de jeudi dernier, le ministre Eric Girard a confirmé la rumeur voulant que le gouvernement révise actuellement les 277 crédits d’impôt gouvernementaux. Même si le ministre refuse de dire qu’il s’apprête à engager le Québec dans une politique d’austérité, il faut reconnaître qu’il est juste que le gouvernement révise ses critères de temps à autre.

Là où le bât blesse, c’est qu’il n’a pas attendu le résultat final des études pour couper dans le «crédit d’impôt pour prolongation de carrière». Quelque 194 000 travailleurs expérimentés âgés de 60 à 64 ans perdront donc un crédit d’impôt de 1400$ dès l’an prochain.

Eric Girard justifie cette décision hâtive par le fait que ce crédit visait à combler le retard québécois sur l’Ontario en matière d’âge de départ à la retraite. Or, le rattrapage a eu lieu: l’âge moyen de départ à la retraite est passé de 61 ans à presque 65. Le problème étant corrigé, explique le ministre, il veut concentrer l’avantage sur les travailleurs plus âgés.

Ainsi, ceux qui continueront de travailler après 65 ans verront, eux, leur crédit augmenter de 1540$ à 1750$. Le plafond d’admissibilité au crédit maximal sera rehaussé de 42 090$ à 56 500$. Mais ce faisant, le ministre rehausse aussi le plancher: pour avoir droit au crédit, il faudra désormais avoir gagné 7500$ au lieu de 5000$. Autrement dit, si vous faisiez 300 heures par an pour profiter du crédit, vous auriez besoin d’en faire 450 l’an prochain! Au lieu de six heures par semaine, il faudra en faire neuf.

Mais si vous avez moins de 65 ans, tant pis. Peu importe votre situation, vous serez parmi les 194 000 travailleurs aînés à qui l’on avait promis un crédit de 1400$ et qui viennent de le perdre.

Ottawa et Québec semblent non seulement ignorer la réalité financière des aînés, ils leur tournent carrément le dos!

 

Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.